Interview Vrais Savent : Di-Meh

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Tête de proue du rap suisse, Di-Meh a sorti le 14 mai son premier album studio. Après de nombreuses mixtapes publiées chaque année depuis 2013, il s'est laissé un an de plus cette fois pour revenir avec une nouvelle formule. Fruit du travail de deux années, Mektoub confirme sa singularité et son talent. À l'occasion de cette sortie, il est revenu avec nous sur cette longue attente, son travail avec le beatmaker Klench Poko et ses références.

Di-Meh Mektoub
Di-MehMektoub

Tu fais du rap depuis pas mal d’années. Depuis 2013 tu sors des projets tous les ans, et l’année dernière, un peu contre toute attente, tu n’as rien sorti à part un clip. Qu’est-ce que ça t’a apporté de faire une pause comme ça dans ta musique pour revenir globalement deux ans plus tard ?

Ça m’a apporté plus de temps, plus de concentration. Plus de temps pour se recentrer, pour l’écriture, voilà, c’est ça en gros.

Ce disque, il te permet d’encore step-up. Il y a eu une première grosse évolution à l’époque avec Focus Vol.1, une autre avec Fake Love, mais là tu incarnes enfin Di-Meh, avec ton propre style, tes propres codes. Tu penses que tu as dû passer par quoi pour te trouver comme ça ?

Le travail, c’est que le travail, vraiment on a travaillé dur.

Est-ce que c’est venu par un déclic ou c’est à force de faire des morceaux que l’évolution s’est faite ?

Y a eu des déclics. Quand j’suis allé au Maroc. Quand j’suis revenu à Genève pendant le Covid, ça m’a fait un déclic. Du coup j’ai eu vraiment le temps pour travailler l’album et revenir mieux.

L’album doit sa cohérence aussi à Klench Poko, qui a fait quasiment toutes les prods. C’est un producteur avec qui tu bosses depuis un moment. C’était important pour toi qu’il soit sur tout le projet ? Et il a sûrement aidé dans la direction artistique.

On a composé l’album ensemble. Y a que Let’s Go composé par un beatmaker hollandais qui s’appelle Jael Unworthy, Full Drip avec Vladimir. YoungK sur Bleu Pâle, et Arma Jackson aussi qui a aidé à la confection du projet. Mais oui c’était nous deux sur la vision des prods. Je trouvais ça cool parce que lui et moi on arrive à aller dans tous les univers, donc j’avais pas besoin d’aller chercher un beatmaker pour un style particulier.

Une des singularités de Klench, c’est de faire parfois des prods assez particulières, à la limite de l’electro expérimentale, comme sur Planète des Singes ou 4×4 Diplomatique. Comment tu te retrouves à poser sur des prods comme ça ?

C’est des années de travail. J’essaie de rentrer dans son délire. Après il a des techniques bien à lui, il aime bien les sons trashs tu vois ? Que tu peux retrouver dans la techno ou dans la house, ça va avec son identité. On essaie que de créer de la nouveauté lui et moi, on est en constante recherche de nouveauté.

Sur le disque, tu laisses aussi place énormément à tes origines. Que ce soit dans les instrus, ou tous les passages que tu peux chanter et rapper en arabe, avec même parfois des titres comme Balader où même au niveau de l’intonation tu te rapproches de ces sonorités. Tu l’as voulu dès le départ ? Comment c’est arrivé dans la construction de l’album ?

J’avais déjà le nom de l’album avant de le commencer. Du coup c’était bien parce que je pouvais tout rediriger vers ce nom-là. Et voilà après Balader, Mektoub, c’est des morceaux un peu plus représentatif du projet et je trouve ça lourd.

Pourquoi tu les as pas clippés du coup ?

On a fait les autres d’abord, mais là on est en train de voir.

Une autre particularité qui appuie un peu ce côté-là c’est l’utilisation des interludes. Qui est cette personne à qui tu parles dans ces interludes ? Et tu trouves que ça apporte quoi au disque pour en avoir mis autant ?

C’est un Uber ! La conversation je l’ai mis tout au long du projet parce que je la trouvais intéressante et qu’elle allait bien sur le projet. Et ça créé un lien entre les titres.

Il y a essentiellement deux types de sons dans l’album, les bangers, qui sont en majorité, et ce qu’on appelle communément les “zumbas”. Je trouve qu’il n’y a pas nécessairement de morceaux à “thème” ou bien qui soient un peu introspectifs, qu’on aurait pu potentiellement attendre dans un premier album, comment tu as fait cette sélection ?

Mektoub un peu, même Olala je trouve aussi.

Mais c’est pas ce qui caractérise l’album.

Non du tout, le but c’était la diversité ! Je voulais une diversité des pays aussi. Y a tous styles de sons. Y a le bail du funk avec Week-End, avec Vladimir Cauchemar une sorte de reggaeton électro. Avec Gatée c’est afro-nigérienne, Turn Up aussi ça rejoint ces thèmes-là.

Tu t’es retrouvé dans tous ces types de sons à chaque fois ?

Après ça fait longtemps que j’écoute ces styles-là et je m’en suis imprégné. En fait, je fais la musique que j’aime écouter.

Une particularité de l’album c’est le placement des titres. Tu enchaînes parfois plusieurs « zumbas » de suite. Et surtout, chose extrêmement rare ces derniers temps, tu as décidé de finir par l’album un banger, avec 4×4 Diplomatique, comment tu as choisi l’ordre ?

Comme si j’étais sur scène en fait.

C’est pour ça que tu voulais finir par le banger qui retourne toute la salle ?

Exactement ! Arriver avec du sale, finir avec du sale. En vrai je laisse pas de temps de répit. J’arrive avec Automatique, Destiny c’est encore là à fond, ensuite on se détend avec Mektoub mais c’est encore du turn up tu vois. Balader un peu moins. Après y a Let’s go et Olala on revient dans du truc sauvage. Bleu-Pâle, Planète des singes ça envoie du sale. Après Follow ça se détend, Marocchino, Turn Up et Gatée ça se détend, Week-End ça se détend. Full Drip ça envoie du sale mais dans un autre bail, Daytona aussi et ça finit par 4×4 Diplomatique

Justement tu as pu commencer à bosser la scène ?

Pas encore mais ça arrive fort !

Pour la musique tu es resté essentiellement en famille avec Klench, mais au niveau des featurings, il n’y a aucun Suisse ou Belge de ton entourage auquel on aurait pu s’attendre. Pourquoi ils sont absents de la tracklist?

En vrai c’est le temps tu vois. On avait déjà fait des morceaux auparavant mais ils avaient pas leur place dans l’album. Après ce qu’est bien c’est qu’on met la lumière ailleurs, comme sur Klench. Et les featurings avec Lefa et Vladimir Cauchemar ils sont assez inattendus.

Pour finir sur les collaborations, les deux premiers clips qui sont sortis, 4×4 Diplomatique et Bleu Pâle, ils sont faits par Léon Santana et Natas 3000, avec qui tu as l’habitude de bosser. Ils ont un côté cinématographique, ne serait ce que par le fait qu’y a une “intrigue”. Ça, c’est assez nouveau, c’est venu de toi ou des réalisateurs ?

En vrai c’est moi. C’était un peu ma démarche de ramener des clips un peu mieux fait, qui dépassent les mixtapes. Du coup voilà on a envoyé.

Une des références présente dans le texte de 4×4 Diplomatique c’est Tenet. C’était une inspiration pour le clip aussi ?

Un peu, un peu. C’est ces films là, le building, le big boss en haut du bâtiment, moi qui suis en bas et qui gravit les étages quoi.

Pour aller directement dans le vif du sujet, on va parler du coup de certaines références qu’on peut trouver dans l’album.
Par exemple dans Full Drip tu parles du MS13, dans Daytona tu dis “Crips & Blood comme à Compton”. À ton avis, comment se fait-il que l’univers des gangs soit aussi présent dans le rap en général, et dans ta musique ?

MS13, c’est “j’arrive en gang comme MS13” c’est juste parce qu’ils sont beaucoup. Et pour les Crips & Blood c’est vraiment de l’égotrip.  

Mais à ton avis pourquoi tu penses directement à ces références-là quand tu écris ?

Parce que c’est des références latinos. C’est pour ça en fait, dès que c’est un son latino, même je prends un accent quand je dis “MS13”. C’est juste pour la thématique un peu latine.

Dans le même genre il y a aussi le milieu de la mafia, qui est évidemment un grand classique dans le rap et qu’on retrouve un peu parsemé dans l’album. “Mafieux comme Savastano”. Ou même quand tu dis “j’veux qu’elle m’appelle Al Pacino” sur Holala, viennent en tête directement ses rôles de mafieux. Donc même question au final d’après toi d’où vient ce goût pour cette culture là ?

Franchement c’est vraiment ma culture cinématographique qui se retranscrit dans mes sons. Après moi comme je t’ai dit, à Genève y a beaucoup de Latinos donc je suis beaucoup inspiré de cette culture, on a beaucoup aussi d’Albanais, d’Italiens, j’ai un gars à moi qui vient de Calabre. Donc je suis assez proche de ces trucs tout en étant assez loin en même temps.

De manière générale, tu fais énormément référence à des œuvres ou des personnages qui incarnent une certaine violence et souvent des personnages qui ont un goût prononcé de la victoire. Comme quand tu dis “J’suis Ragnar, t’es Rollo”, ou “J’arrive empereur comme Gengis Khan ou Kubilay”.

En fait, j’aime trop l’histoire ! J’me documente grave, j’aime bien regarder… J’sais pas un reportage sur l’empire Ottoman ou l’empire Mongol. Ça m’intéresse un peu de voir les conquérants à l’ancienne tu vois. Et moi avec ma musique je me vois comme un conquérant aussi. C’est pas pour sponso leur violence, c’est vraiment pour ce délire de conquérant. J’veux pas m’incarner en eux, et y a pas d’admiration non plus. Al Pacino par exemple c’est plus pour sa carrière d’acteur, c’est pas forcément pour les personnages.

Dans le même genre tu cites énormément de sportifs, Usain Bolt, Kobe, Lomachenko… Ces sportifs-là, ils incarnent aussi un goût de la victoire. Tu fais partie de ces rappeurs pour qui le rap c’est comme un sport ?

Je suis pas spécialement en compète avec les autres. Ça reste sport mais c’est sain. En fait, je suis en constante évolution mais c’est toujours avec moi-même. C’est pas contre les gens.

Tu parles aussi de rap directement, notamment sur Daytona. Tu fais référence à Gucci Mane, au Rat Luciano, tu dis “On fait de la drill comme à New York” et comme à London. Rien que dans ce texte on a plus ou moins trois écoles différentes avec Le Rat Luciano d’un côté, Gucci Mane de l’autre et pas loin la drill. Tu dirais que de ces références-là, laquelle t’inspire le plus, et d’après toi ta musique se rapproche le plus de quoi ?

Franchement Le Rat Luciano, et après Gucci Mane. J’suis plus Atlanta. Moi c’est vraiment trap trap, je fais pas trop dans la drill.

Tu surfes pas sur la tendance, tu fais juste ton propre son.

Voilà, même Marrochino, la prod on dirait une prod old school de Perpignan. On dirait une prod de Demi-Portion presque. Et au final je mets de l’autotune, je mets un truc, et ça ramène une autre identité, un autre univers. Y a même du boom-bap dans le projet, pour moi Destiny c’est du boom-bap.

Toute dernière question, le site s’appelle VraisSavent en référence au titre Les vrais savent de Lunatic. D’après toi c’est quoi LA chose essentielle que les vrais devraient savoir ?

Laisse personne entrer dans ta vie, surtout dans la musique. Trust Nobody, comme Tupac.

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