Interview Vrais Savent : Grödash
InterviewsPlus de 20 ans que Grödash, la légende des halls du 91 nous assènes de rimes aiguisées. Après une légère pose au milieu des années 2010, il est particulièrement de retour depuis 2019 avec plusieurs EP, un album en commun avec Swift Guad et une compilation avec Flymen Music. Son dernier projet fin mars, Monnaie Time 2 est l'exemple même de ce retour : énormément de kickage et de morceaux sans thèmes particuliers, mais toujours avec du sens. À travers ces deux épisodes de Monnaie Time en particulier, Grödash est revenu avec nous sur sa productivité, les violences policières et les manifestations récentes, la situation (en particulier des femmes) au Congo, son rapport à la nouvelle scène du rap, au cinéma, et à Van Gogh.
Pour commencer, histoire d’introduire un peu. Tu fais du rap depuis plus de 20 ans. T’as été assez productif pendant toute ta carrière, mais là depuis 2 ans t’as multiplié les projets, entre Monnaie Time 1 & 2, la compilation de Flymen Music ou l’album en commun avec Swift Guad l’année dernière. C’est quoi la recette pour arriver à être aussi productif après toutes ces années ?
Franchement, c’est une bénédiction. J’y pense souvent. Et je remets ça entre les mains de Dieu de nous offrir toujours de l’inspiration. J’pense aux artistes qui se réveillent et qui ont des pannes sèches devant la feuille. C’est ce qu’il m’était un peu arrivé en 2015. J’étais arrivé à la fin du stylo. Y avait plus d’encre, plus d’écriture, j’étais plus du tout inspiré. J’me forçais à rapper comme si j’soulevais des palettes. Donc c’est là que j’ai décidé d’arrêter, de me retirer, aller vivre des nouveaux trucs, me rapprocher de ma culture, retourner au Congo, refaire de l’humanitaire, du social, et ça m’a redonné la pêche. Quand y a eu le confinement j’me suis remis à beaucoup écrire. J’ai fait, pendant cette période, quasiment 60-80 morceaux, qui m’ont permis de retrouver un bon rythme de croisière.
T’avais peut-être besoin de revivre des trucs pour écrire !
Exactement. Dans un morceau qu’arrive je parle de cette période un peu. J’dis “sacrifier ma vie pour la vôtre, j’suis pas ton Michael Jackson”. Les gars qui nous ont procuré tellement de plaisir à travers la musique, mais leur vie privée est chaotique parce qu’ils ont tout donné pour cette passion. Donc faut quand même, des fois, arriver à faire la part des choses, surtout quand on est en panne d’inspiration. Du coup, ça m’a rechargé les batteries. Plein de nouvelles histoires, plein de nouvelles anecdotes. Un nouvel œil sur le monde. Une nouvelle manière d’aborder les choses, en essayant de garder des formules qui ont été appréciées au cours de ces années.
Est-ce que les formats ça t’as pas aidé aussi ? Parce que si on prend tes premiers albums, t’en sortais un peu moins mais par contre ils étaient hyper fournis. Est-ce que pouvoir sortir des EP, et des projets courts, ça aide pas à la productivité ? Au moins vu du public.
Pour moi, franchement, c’est d’la rigolade de faire des 10 titres, des 7 titres, des 5 titres. Comme tu dis, le premier je crois y en avait 17, le deuxième y en avait 18 ou 19, le 3e y en avait 30. Quand tu rentres dans les Mixtapes des Halls et compagnies c’est du 35. Après c’est pas des morceaux entiers, mais voilà. Y a beaucoup d’artistes pour qui ça a été difficile de passer de groupes à solo, parce qu’il faut écrire plus. Moi, j’suis de la génération du 3e couplet, donc maintenant quand les morceaux ils font deux couplets, un couplet… C’est quelque chose que j’avais déjà lancé depuis 2008, des morceaux de 2min avec Freestyle 2019. C’était un truc un peu révolutionnaire dans l’époque. Je prédisais comment le rap serait dans 10 ans. Et c’était voilà, un gros couplet unique avec un refrain autotuné. C’était vachement avant-gardiste pour l’époque. Et ça s’est confirmé. C’est des formats plus courts, plus de kickages. Et c’est pas pour nous déplaire, c’est pratique de travailler comme ça.
Et ça permet de concevoir les projets d’une autre façon aussi. Parce que quand tu fais un double album sur 30 titres, la musique tu la vois pas de la même façon.
Forcément ouais, donc là, c’est plus spontané, et puis ça nous permet, en un couplet, d’avoir la moitié de la chanson. Avant c’était plutôt le tiers voir le quart de la chanson. Parce qu’il te restait encore à développer le thème et tout. Après, les thématiques aussi sont beaucoup moins présentes dans le rap. C’est un truc aussi qui facilite le travail. J’en parlais dans le premier album avec Ego Street. Je parlais de cette manière de parler de la rue, de faire des egotrips de rue. Egotrip thématique où y a pas vraiment de thème général, mais tu parles un peu de ton vécu tout ça. Donc c’est quelque chose qui nous plaît bien.
C’est vrai que sur ces derniers projets, y a moins de morceaux thématiques qu’avant comme t’as pu faire sur les premiers projets. Tu fais des morceaux où les phases sont pas forcément toutes connectées, mais elles sont connectées parce que c’est la même personne qui les écrit.
J’appelle ça des true lines. Des lignes de vérité, où c’est concret parce que c’est toi et c’est des vérités qui te concernent. Après j’ai toujours plein de thèmes, mais je sens que les gens, ils accrochent moins. Dans Monnaie Time 1 y en avait quelques-uns. J’pense au morceau Caroline qui est pour moi un de mes meilleurs textes. Et c’est pas quelque chose qui a choqué les gens. Ils sont passés dessus, y en a qui vont le découvrir aujourd’hui, dans deux ans. Ils vont dire « ah ouais truc de ouf« . En attendant, ils étaient sur Thérapie. Donc en attendant que je ressorte un vrai album, pour l’instant on va en parsemer par-ci par-là. Mais on va dire que je suis plus dans un délire de kickage. Parce que je vois que ça réclame le kickage, que c’est de retour, et ça m’arrange.
T’as parlé de true lines, justement, y a un truc important avant de glisser vers les références du disque, surtout avec le contexte politique actuel. Dans l’album, tu abordes pas mal notamment la question des dérives policières. Est-ce que tu penses que la police est pire qu’avant, ou c’est juste qu’on la voit enfin au grand jour, notamment avec les manifs ?
J’suis un peu divisé moi-même sur le sujet. Dans le sens où j’sais qu’à l’époque, dans le rap français, tout le monde était unanime pour dire « la police, les dérives, les bavures, la stigmatisation, le contrôle au faciès » C’était vraiment unanime. Et puis y a eu les attentats, Charlie Hebdo etc… Quand j’suis revenu en 2018-2019, on a fait la première partie d’ATK, avec Ul’team Atom, on a un passage qui dénonce un peu les violences policières, et à ce moment-là, j’ai pas senti la foule vraiment véhémente contre la police. La police ils nous ont quand même sauvés tu vois. C’était un peu malaisant. Et après y a eu l’épisode des gilets jaunes, où on va dire, la France blanche a connu les dérives policières, les éborgnés, les meurtres et tout. J’pense que ça a réveillé certaines personnes qui ne connaissaient pas cette stigmatisation. Mais voilà, le climat de terreur qu’ils ont fait régner ces dernières années, fait en sorte que les gens ont quand même peur. Ils ont peur de dénoncer la police, peur de parler de toutes ces dérives. Aujourd’hui, la première chaîne d’info BFM ne parle jamais de ça. Pareil au niveau des tribunaux y a pas de sanctions incroyables. C’est toujours des mutations, des machins… Donc, en vérité, comme on dit « rien ne change à part les saisons« . L’opinion du peuple peut s’adoucir ou s’endurcir mais la matraque en tout cas, elle reste toujours aussi ferme. Et moi ça me fait vraiment penser, de plus en plus, aux dictatures africaines quoi. Où quand tu sors pour manifester, tu sais que tu vas te faire casser la gueule, tu vas te faire tirer dessus. Donc j’me dis quand même que la France est en train de faire un sacré pas en arrière sur le plan démocratique.
Surtout quand ils nient tous les faits. C’est sans doute ça le pire. Quelle que soit la bavure, ils font semblant qu’elle existe pas.
C’est ça, et qui dit pas de condamnation, dit nier les faits, aucune responsabilité. Tu verras jamais un policier dénoncer un autre policier. Donc après, peut-être que c’est leur déontologie. Je sais pas les codes qu’ils apprennent dans leur école. Mais ça ne fait qu’amplifier le sentiment de faire des généralités avec la police. Bien sûr y en a qui font du super travail. Aujourd’hui, on a toute une génération aussi issue des quartiers qui se retrouve dans la police. Mais j’ai l’impression que des fois ça va en défaveur des jeunes des quartiers. Que ce soient encore des jeunes des quartiers qui les contrôlent, etc. Et que ce soient des jeunes qui écoutent la même musique qu’eux. Au lieu de nous rapprocher, ça a plutôt tendance à nous éloigner encore plus.
Le problème avec des dérives pareilles, c’est que j’ai l’impression qu’une partie du peuple a peur. Les derniers sondages disaient quelque chose comme 50% des gens osent pas aller dans la rue à cause des violences policières. Mais c’est intéressant parce que, les manifs pour la retraite elles sont là depuis plusieurs mois. Et aujourd’hui, on va avoir la réponse avec le Conseil constitutionnel (interview réalisée le vendredi 14 avril). Mais du coup, tu penses qu’il manque quoi au peuple pour se révolter plus fort qu’il ne le fait déjà ?
J’pense que le peuple, il manque peut-être de leader. Des leaders qui n’ont rien à perdre. Malheureusement toutes les luttes, tous les mouvements comme ça se font récupérer par les plus filous, les plus politisés, les plus intellectuels, ceux qu’on peut facilement recevoir dans les bureaux, et qui décident qu’en vérité, toute la lutte ne se résume qu’à trois-quatre points à signer, et puis après ça lance des listes électorales. Franchement, les révolutions ça se passe dans la rue, et faut tenir. Maintenant, on est dans une aire où les révolutions se passent aussi dans les médias. J’ai l’impression qu’y a aussi du floutage d’informations, entre le nombre de participants réel, les chiffres selon ceci, selon cela, les blacks blocs, etc. J’espère qu’ils vont tenir, parce que la retraite c’est un sujet très très grave. Quand tu vois déjà comment on traite les retraités en France. Qu’en plus maintenant faudrait y aller deux ans plus tard. Quand tu sais toutes les grosses fortunes qu’il y a et qu’il suffirait de les taxer à peine quelques pourcents en plus pour combler ces choses-là. Je pense que c’est assez dégueulasse ce qu’est en train de se passer ici. Mais voilà, le truc c’est que, t’as vu la vidéo des gens qui sont en train de manger quand y a le feu dehors ? C’est ça la France en fait. C’est incroyable. Ils sont en train de dîner, en train de souper. Dehors, ça brûle, et y a pas quelqu’un qu’est en train de dire « ouais c’est un truc de fou, il serait peut-être temps d’écourter ce repas, qu’est-ce qu’on est en train de faire » ? Non en fait, chacun veut garder son petit privilège. En fait, celui qui s’estime mieux que l’autre, il va pas descendre dans la rue, et il va pas se sentir concerné par le combat de celui qu’est un peu plus en bas. Donc ça crée des classes et des classes et on va arriver à un système un peu à l’américaine. Où ça va péter pour un oui, pour un non, pour un débat d’idées. Et c’est vrai que c’est pas rassurant parce que tout ça, ça fait un boulevard pour l’élite. Y a plus de peuple en fait. Y a des peuples, en fonction des classes sociales, de la réalité de chacun. Donc y a pas d’unité dans la révolution comme à l’époque des prises de la Bastille ou trucs comme ça, où c’était vraiment tout le monde. Ils te mettent à la télé des voitures qui brûlent, et les gens veulent pas y aller, ils se disent que c’est chaud. De plus en plus de gens restent chez eux. Les éborgnés, j’pense pas qu’ils aient reçu de primes de compensation de je ne sais quoi. Ça devient risqué. Ça me rappelle les manifestations au Congo. Au Congo quand y a manif on dit pas “y a manif”, on dit “y a ville morte”. Ville morte ça veut dire : personne ne sort. Si tu sors, c’est que t’es un manifestant et t’es prêt à te prendre une balle. Donc tu vois, quand y a jour de manifestation au Congo, y a que les vaillants qui sortent. Des mecs musclés comme pas possible, ils courent dans la rue avec des bâtons, des branches. J’pense que c’est vers ça qu’on va arriver, parce que les faibles, ils pourront plus. Les infirmières se sont fait défoncer la gueule à Châtelet comme des rugbymen.
Et le pire, c’est que ces derniers temps, on a vu des moments où justement, y avait des gens qu’étaient dans la rue, juste parce qu’ils étaient à Paris, et ils se faisaient quand même gazer. Ça devient chaud effectivement. On commence à dériver vers ce truc où, ouais, tu peux plus sortir même si t’es pas forcément manifestant.
Bah ouais. Du coup les gens, ils y vont plus, et on dit “aaah le chiffre est en baisse, la colère est en baisse”. Les gens, ils croient que c’est un top album. “Y a plus de buzz en ce moment, ça stream plus trop la manif”. Eh, la colère, elle est là, c’est pas une question de tant de chiffres, tant de ventes, tant de machins. Les gens, ils ont peur pour leurs vies. Tu vois des mamies se faire traîner sur 200m, par terre, mais on est où là en fait ? Personne n’est jugé pour ça, tout est toujours légitime, tout est justifié. Donc ça crée une peur généralisée qui s’installe depuis les attentats et tout. Ça y est, on est dans la peur, parce que quand on a peur on est plus manipulable. Bon c’est une manière un peu de tourner tout ça en dérision quand j’en parle dans mes textes. “Toute l’année c’est l’bal masqué, les bavures sont déguisées”. C’est une manière d’en rire parce que, si tu es violent vis à vis de ça, les gens vont le prendre de travers. Donc on essaie d’en rire et d’apporter des clés, des raisons à ce mal-être.
Justement, toi qui as quand même assez de “revendications politiques” dans tes textes. Est-ce que c’est un truc que tu déplores un peu le fait que le rap, toute proportion gardée, s’est mis petit à petit, à avoir moins de “revendications” ? J’ai l’impression qu’avec les années, et notamment à partir de la trap, mais c’est peut-être pas lié, ça s’est égrainé un peu, et ça revient de temps en temps, mais c’est quand même moins une constante qu’avant.
Dans le rap qui passe à Skyrock ou dans le rap en général ? C’est ça aussi !
Non c’est clair, mais même comme ça, le rap qui marchait avant, dans les années 2000. Diam’s par exemple elle passait à la radio, elle a vendu un million d’albums, mais elle a un morceau qui s’appelle Marine. Tous les rappeurs qui marchaient à cette époque-là tapaient sur Sarko, et c’était normal. J’ai l’impression qu’effectivement c’est plutôt le rap qui marche et qui passe sur Skyrock qui va moins en parler. Mais mine de rien, ça en parle moins de manière générale, parce que quand t’as moins de représentations, t’as moins de chance de le faire.
Moi, j’le traduis qu’en fait, le rap, il s’est démocratisé. À l’époque, c’était quand même quelque chose qu’était réservé à une certaine “élite” intellectuelle. Parce qu’en vrai de vrai pour être politisé faut être intelligent de ouf. Faut être cultivé, faut avoir lu. C’est pas que ça l’intelligence, y a plein d’intelligence. Mais faut avoir de la culture générale, regarder des reportages et tout. On va dire, les gens de notre génération, même les banlieusards, y en a beaucoup qui ont eu des parents universitaires, licenciés, qui ont eu des doctorats. Et aussi y a pas mal de rappeurs de notre génération qui ont été pas mal loin dans les études. Donc ça justifie qu’on peut avoir ces positions-là, ce niveau-là aussi qui était peut-être un peu plus élevé au niveau scolaire. On était moins perturbés par les téléphones et toutes ces bullshit. Autant les élèves que les enseignants. Ensuite, y a eu la période de la trap. Mais la trap en vérité, pour moi, c’est la démocratisation du rap. Dans le sens où ça a permis à tout le monde d’en faire, de dire ce qu’il avait à dire, sans que ta phrase soit hyper bien construite, tu la répètes deux fois, c’est bon, ça passe. Mais dire “je suis dans le bendo, 14 minuit, ça détaille”, j’pense pas que ce soit non plus vide de revendications sociales. Ils sont dans une réalité. Peut-être qu’ils savent pas comment traduire ce mal-être sur un point géopolitique, ou socialo-culturel. Mais le mal-être est tout aussi présent. Là, j’parle d’artistes trap, mais dans le rap plus boom-bap et tout, je découvre tous les jours des artistes qui ont des textes incroyables, qui viennent de sortir hier ou avant-hier. Donc j’pense que, comme de toute façon chaque fois que le mouvement grandit, la lumière va être mise sur les futilités, forcément les trucs qui ont un peu moins de contenu. À notre époque, on avait Manau, on avait Réciprok, on avait Alliance Ethnik et tout. C’est eux qui cartonnaient en chart. Y a aussi Doc Gyneco, il a tout cassé, pourtant y a un mal-être dedans. En vérité c’est assez délicat. Donc j’pense qu’aujourd’hui le rap, il est devenu accessible à tous. Et chacun interprète le truc à sa manière. Et d’un autre côté quand tu vois un peu tous les rappeurs de notre génération, on a parlé des politiciens, on les a critiqués. Mais au final qu’est-ce que ça a donné ? Youssoupha il a gagné contre Eric Zemmour, mais Eric Zemmour il s’est présenté aux présidentielles depuis. En vrai, est-ce que ça sert à grand chose de citer ces gens-là, de parler d’eux, de politiser son rap ? J’pense qu’aujourd’hui ce qu’est le plus important c’est d’avoir des putains de disques d’or dans le ghetto, des gens qui puissent sortir leurs familles d’une condition difficile. Des gens qui puissent s’émanciper dans la musique, dans leur passion, sans suivre le diktat des diplômes, de la course à l’excellence, à être meilleur que les autres. Voilà je trouve que c’est un moyen, surtout aujourd’hui, de s’en sortir avec ses potes. De sortir sa famille d’un bourbier, d’un crash-test annoncé. C’est le positif que je garde de tout ça.
Tu viens de parler de politiciens. Pour aller vers les références, et rester sur la question politique. Sur Monnaie Time 1 & 2 y a quelques références à des hommes politiques africains importants (Sankara, Mandela, Mobutu…). C’est évidemment pas depuis ces disques que tu cites ces gens-là. Mais est-ce que quand tu cites des personnes comme ça l’idée c’est pas aussi, un peu, de faire de la passation de savoir, pour que les gens oublient pas ?
On va dire, qu’est-ce qui rend un humain éternel ? C’est son œuvre. Autant Mandela que Hitler. C’est des gens qui sont éternels. Donc aujourd’hui ils inspirent le bon comme le mauvais. Ça veut dire que moi, dans mon écriture, j’vais pas chercher à parler du dernier truc à la mode parce que tout le monde le dit, ou en parle, ou que ça ferait réagir du monde. J’vais vraiment parler du truc qui m’est propre à moi, et qui fait partie de mon tronc. Mais je reste persuadé que mon tronc, que ce soit en Europe, en Afrique, en Amérique, y a plein de gens qui ont grandi avec des valeurs comme les miennes et qui s’y reconnaîtront. Ensuite, ceux qui connaissent pas, peut-être que la tournure de la phrase, les emmènera à aller chercher de qui je parle. Mais j’ai pas vraiment un désir d’apprendre quoi que ce soit à quiconque dans mes textes. J’écris et puis je pense que c’est universel.
Moi je sais que c’est le rap qui m’a fait m’intéresser à ces personnes-là, et je pense que j’en aurais jamais entendu parler avant, surtout en tant que blanc, pauvre, de province. Est-ce que le rap, c’est aussi quelque chose qui t’as permis d’en apprendre plus sur des personnes comme ça ? Et peut-être qui t’as amené à t’y intéresser ?
En fait, nous, on a toujours aimé ça. Que ce soit Time Bomb, IAM, tout ça. Ils citaient toujours des noms où tu te disais “oh mais c’est qui ce mec ?”. Quand j’reprends Florence Rey, c’est Booba qui en a parlé la première fois, et la première fois que j’en ai entendu parler. Je connaissais pas. Il lui faisait une genre de dédicace dans un freestyle de Générations. Et ça m’a poussé à chercher qui est cette meuf. Parce que la manière dont il le dit tu te dis “j’aimerais trop savoir de qui il parle”. Donc c’est quelque chose qui est inhérent au rap en général. Et c’est vrai que c’est toujours un plaisir d’aller faire ce petit travail de recherche, ou d’éclairer quelqu’un sur des bonnes personnes, ou des belles histoires. C’est toujours gratifiant. Nous ça nous fait plaisir de pouvoir partager ça avec des gens de cultures différentes. C’est vraiment nos classiques, on a grandi avec ça, on a même pas idée qu’y ai une personne qui connaisse pas quand on en parle. Donc à nous d’arriver à en parler pour donner l’envie à ceux qui connaissent pas, d’aller voir. Et que ce soit pas un truc genre “ouais, j’sais pas, il parle de son oncle au village, ça a pas l’air d’être quelqu’un de super important”. Moi je suis pas le rappeur le plus cultivé, mais ce que j’ai appris, les personnalités que j’ai connu et apprécié j’essaye d’en parler, soit en les citant, soit en mettant un bout de discours à eux. Comme dans Parias je crois, je commence avec une phrase de Thomas Sankara “faudra choisir entre le champagne pour quelques-uns, et l’eau potable pour tous”. C’est une phrase tirée d’un de ses discours, je trouve ça énorme.
Ça allait justement être ma prochaine question ! Pour rester sur ces questions-là. T’as des phases où tu parles du coltan. Et dans la même veine que cette phrase-là, tu dis “mon Afrique est milliardaire, pour cent qui palpent, combien qui chialent ?”. Sans forcément parler de ce qu’il s’est passé avant parce que le passé, c’est le passé, comment on pourrait faire changer les choses ?
Je pense que la clé, c’est la diaspora. Mon passage en Afrique m’a vraiment fait constater que c’est un petit peu à nous d’aller changer les mentalités là-bas du place. De taper un peu dans la fourmilière. De leur montrer qu’on a un continent magnifique, qu’on a un gros potentiel. Parce que tu vois ceux qui sortent le coltan des mines, 95% n’ont aucune idée d’à quoi sert cette pierre. Et si c’est pas nous, c’est pas les escrocs là-bas qui vont aller leur expliquer que grâce à cette pierre-là, on construit des super téléphones qu’on revend à 2000 balles. Donc c’est un petit peu comme ça pour tout, pour toutes les thématiques. L’Afrique, tout le monde profite qu’il y ait ce manque de connexion internet, d’informations. Ça a ses bons côtés de pas être archi connecté, mais y a des mauvais côtés. Donc c’est un petit peu à nous, la diaspora, d’aller faire de la transmission là-bas. D’aller leur donner de la confiance, du love, des idées, pour reconstruire notre fierté. Et s’occuper de notre continent, au lieu de le fuir. J’en parle dans le morceau sur la compil International MC, où j’avais mis pas mal de mes featurings avec des rappeurs internationaux. Y a un morceau avec le rappeur MV Bill qu’est un peu l’équivalent de Kery James au Brésil. C’est une méga star du rap conscient là-bas, il est de la cité de Dieu. On parle un petit peu de cette thématique. Au début, c’est mon père qui fait l’intro, qui parle en swahili, qui raconte que l’Afrique s’est réveillée un jour et y avait des assaillants qui étaient là. Et du coup au début t’as le brésilien qui raconte qu’il se réveille, il est en Amérique, il comprend pas ce qu’il fout là, pourquoi il a atterri ici, lui, c’est un Africain. Il est là dans un autre pays, dans une autre langue, il comprend plus sa culture. Et moi je raconte que je suis l’Africain qui est resté et que depuis qu’on a pris les esclaves, qui sont partis en Amérique, nous, on rêve que de quitter l’Afrique. On veut s’enfuir à tout prix, on veut aller en Europe. On cherche des visas, on fait les migrants, comme si ça nous avait traumatisés, cette séparation. Donc je pense que la clé elle est peut-être dans ces retrouvailles-là. Que chaque diaspora essaye de rentrer dans son pays, remettre les choses en place. C’est ce qui se passe un peu avec l’Angola, qui est en train de reprendre le contrôle, de racheter même le Portugal. Y a des belles choses qui se font, mais il faut de la patience, de l’amour et puis retourner sur place, essayer de monter des projets avec toute la compréhension du monde.
Ouais et puis prendre vraiment le temps pour ça.
Logiquement. Prendre le temps, prendre l’argent et voir ce qu’il y a à faire. Analyser, faire des business plan, des analyses de terrain, tout comme on fait ici. On fait tout ça ici pour ouvrir une laverie, mais au bled pour sauver quelques âmes, on veut que ce soit du direct. “Ah ouais, mais j’y ai été une fois, ça s’est mal passé j’y retourne plus”. Non faut de la patience, beaucoup de compréhension. Nous on représente le rêve européen, le rêve américain pour ces jeunes d’Afrique. Quand ils nous voient faire des concerts avec plein de gens de communautés différentes qui viennent nous soutenir, c’est leur rêve. Mais faut qu’on leur explique que la suite de notre rêve à nous, c’est de retourner là-bas aussi, construire des trucs avec eux, les impliquer.
Et être dans leur réalité aussi.
Totalement, parce que si on leur apporte des solutions occidentales, c’est pas des solutions. Faut comprendre leurs problèmes africains, pour apporter des solutions africaines. Mais on est sur une bonne voie. Avec des films comme Wakanda Black Panther et tout. Ça a mis des tartes un peu aux gens. Autant que ce soient les Français, les Américains, les Congolais. Quand ils voient un peu tout ça, c’est des manières de reprogrammer l’individu sur ces ressources-là, africaines, qui sont convoitées, pillées. Il faudrait un partage plus équitable des richesses, mais ça, on va pas nous l’offrir. Quand tu vois ce que les pays arabes ont fait juste avec le pétrole, en une 50aine d’année. Alors que nous au Congo on a 40% des richesses du monde. En vrai de vrai, il faudrait à peine 10 ans, 20 ans et on pourrait devenir la première puissance mondiale. Mais c’est des mentalités à changer, il faut le déclic.
Dans cette idée de faire changer les choses, toi t’as une fondation, dédiée aux femmes au Congo. Dans un morceau tu dis aussi “Féministe comme Genghis Khan”. Et j’ai vu une interview de toi où la présentatrice te présentait comme féministe. Comment cette cause-là, des femmes du pays, s’est amenée à toi ?
Via ma mère, tout simplement. Qui est vachement impliquée dans la lutte pour les droits des humains. Donc la fondation s’appelle GBS Foundation. GBS comme le nom de ma mère, Georgette Biebie Songo. Ça faisait très longtemps qu’elle était impliquée dans tout ça, qu’elle faisait déjà le tour du monde, pour parler des femmes congolaises et des femmes de toute la planète. Elle a fait entrer deux articles pour la parité dans la constitution congolaise. Et quand je suis rentré en 2015, quelques semaines après mon arrivée, elle reçoit un prix de l’ONU femme, pour son engagement. Donc là, avec ma femme, on lui conseille de monter cette association, cette fondation. Au début, elle est un petit peu réticente, mais on arrive à la convaincre. Quelque temps après, suite à la vidéo que je lui fais de cette remise de prix, on est invité à Hong Kong pour présenter notre projet dans un Ted Talk. C’est là que ça a pris naissance, vraiment, concrètement, ce projet de GBS fondation. On a pour but de créer une banque sociale de femmes au Congo. Une banque par les femmes, pour les femmes, mais les hommes y sont les bienvenus bien sûr. Ce serait un petit peu pour casser les stéréotypes. Là-bas, comme ici, le côté misogyne est très très très important. Donc pour des femmes c’est très dur d’obtenir des crédits, même juste des comptes en banque. Du travail payé, être cheffe d’entreprise. Y a vraiment énormément de bâtons dans les roues donc c’est un peu pour casser tous ces stéréotypes-là qu’on leur fait des formations gratuites en marketing, en comptabilité, qu’on leur offre des subventions, des prêts. On les organise sous forme d’association et à la fin de l’année ça leur permet de se dégager un 13e mois, ce qui est une révolution pour les femmes de Kikwit. On s’occupe déjà de plus de 1000 mamans.
Comment t’as eu cette idée précisément de faire cette fondation ? Parce qu’y aurait pu avoir plein d’autres axes possibles finalement.
Moi, j’avais l’idée d’aider. J’ai toujours voulu mettre mon savoir à disposition des autres. En arrivant au Congo, peu de temps après j’monte Flymen Vision Africa, je commence à m’occuper d’artistes. Ensuite, on monte 243 Street avec un pote là-bas. On signe une artiste qui a fait une téléréalité avec Akon au bled. Et à partir de là on signe encore une quinzaine d’autres artistes, on se met à s’occuper d’eux, du matin au soir. Moi j’ai arrêté la musique mais je suis toujours avec mes artistes du bled. On les prend à notre charge, que ce soit niveau vestimentaire, transport, téléphone. Donc c’était un peu les 12 travaux d’Hercule pour les sortir du ghetto. Et à côté de ça y a la daronne qui est vachement impliquée dans son combat pour les droits des femmes. J’me suis dit, pourquoi pas mettre toute cette logistique qu’on était en train de mettre en place, au service d’une bonne cause. Au service de la maman. Parce que je sais que son combat est noble. Je sais que c’est pas une voleuse, une arnaqueuse. Donc voilà, on a mis toute notre énergie sur l’organisation d’un festival, à Kikwit, qui est mon village d’origine. Ça s’est super bien passé, on a eu plus de 10 000 personnes. C’était incroyable. J’ai vu que le fait d’allier mon énergie à celle de ma mère, c’était un truc de fou. Ça fait déjà 10 ans, 15 ans qu’on essaye de se donner des coups de main, de se serrer les coudes. Là j’me suis dit, on a au moins un truc administratif ensemble, qui nous lie, et peut-être qu’à travers ce projet, elle nous donnera tous les codes pour prendre sa relève, quand elle aura plus la force.
J’imagine qu’elle t’a permis de te rendre compte de réalités que t’avais pas forcément en tête, avec tous ses combats qu’elle avait déjà mené auparavant.
Faut savoir qu’avec elle, c’est au quotidien. Elle est très très empathique. C’est une punchlineuse du matin au soir. Vivre avec elle, t’es au courant de toutes ses activités, de ce qui se passe, des soucis qu’elle a pu rencontrer dans ses groupes de travail. Des fois, elle part en province, elle revient, tu lui demandes comment ça s’est passé, elle te dit qu’elle est partie dans un endroit où des femmes accouchaient à même le sol. C’est chaud tu vois. Elle a participé aussi à l’élaboration du vaccin contre Ebola. Donc elle était dans des zones, où y a la souffrance, la misère, la maladie. Et quand elle te raconte ça, tu peux pas rester de marbre. Enfin, certains peuvent, mais moi en tout cas, c’est quelque chose qui me touche. Et puis c’est la daronne, sa lutte, elle est noble. On se doit d’aider nos parents dans leurs combats, dans leurs entreprises. Pour moi, c’est la suite logique des choses.
Surtout quand y a une transmission, qui est aussi forte et importante.
Ça a changé ma vision des femmes. Y a des choses que je disais dans mes textes avant que je pourrais plus dire. Même moi maintenant quand j’ai envie de dire un truc salace et tout. J’le dis mais, dans ma tête ça me fait “aaaah, attention mon gars”.
C’est elle qui t’as fait changer ta vision des choses là-dessus ?
Clairement ! C’est important ! Le fait de passer autant de temps avec les femmes, avec les mamans et tout, ça te change. Tu prends leurs patins en fait. Tu te rends compte qu’en vérité les problèmes des femmes c’est des problèmes d’hommes. C’est nous qui les mettons dans des cases, des fois dans des mal-êtres pas possible. Donc si c’est pas les hommes qui changent leurs visions, leurs approches vis à vis des femmes, y a rien qui va changer en fait.
On est complètement, j’ai envie de dire, la cause de ces problèmes-là finalement.
Clairement. Après y a plein de femmes qui embrassent aussi tout ce délire-là, d’écraser les femmes. Dès qu’elles accèdent à un petit peu de pouvoir, elles deviennent misogynes comme les hommes. Mais voilà, c’est pas une raison. C’est à chacun de faire son petit effort, du peu qu’il peut. Que ce soit financier, moral. Changer et faire changer les choses. Parce qu’on est dans un pays ici, les féminicides, les chiffres, c’est toutes les heures ou tous les jours, c’est hardcore. Et au Congo, toutes les 30 secondes t’as une femme violée, dans l’est du pays, où le viol est devenu carrément une arme de guerre. Ça va dans les villages, ça viol des grands-mères, ça viol des femmes, pour que tout le village soit disloqué, que tout le monde dégage, pour qu’on puisse creuser en dessous de ce village, là où y a du cobalt, pour les voitures électriques, etc. Donc c’est des trucs qui sont très graves. Vraiment, on se sert de la femme, pour la guerre. Le corps de la femme, c’est un sanctuaire, c’est un temple, c’est par là que la vie se crée. Faut essayer de dénoncer ces choses-là. Après on va dire qu’il y a féminisme et féminisme. Moi quand j’dis que je suis féministe, c’est dans le sens où j’adore la femme, j’embrasse le combat de la femme et ses luttes. Mais après les féministes des réseaux sociaux, et de la télé, acharnées sur tout, j’me retrouve pas du tout dans leurs discours, ni dans leurs combats. J’pense que c’est des choses à prendre au sérieux, à réfléchir dans le fond. Et arriver avec des solutions simples. J’pense que c’est pas une question d’égalité mais de complémentarité et de parité.
Y a un truc que tu dis qui est important, c’est qu’après, chacun a sa vision et sa façon de voir. On parle du féminisme, mais ça marche avec l’écologisme, avec tout. Après, c’est comment toi tu vois le combat, tu le mènes et t’essayes de faire avancer les choses à ton échelle et ta façon.
Tout de suite, les gens ont la haine contre les féministes, contre les végans. C’est ce que je te disais tout à l’heure, on est en train de partir en mode Etats-Unis. Chacun a sa team. “Toi t’es team féministes, aaah t’es avec les femens, dégage”. “Ah toi tu bouffes de la viande, t’es un criminel”. Pfiouu, ça fait mal à la tête. Y en a ils mangent de la viande une fois par an, d’autres une fois par semaine. Que chacun fasse sa lutte dans son coin, sans pour autant juger ni condamner l’autre, essayez juste de conscientiser, de donner des clés, et que chacun ait son déclic. Le déclic, c’est personnel, il s’impose pas par la force pour ce genre de combat. Après y a des choses, comme la daronne qui s’est battue pour la parité au gouvernement, pour des choses comme ça, pour le législatif. Si on peut se battre pour que les salaires des femmes soient indexés sur le salaire des hommes, ouais, allons-y tous ensemble. Essayons de trouver les sujets qui rassemblent, plutôt que ceux qui divisent, où chacun peut avoir son interprétation personnelle.
Sans transition aucune. Pour revenir au côté rap. Toi t’es un peu un fervent défenseur du boom-bap. Et pourtant, tu cites aussi bien des rappeurs de l’époque 90-2000 comme Solaar, NTM, les X-Men ou Nas, que des générations qui n’ont rien à voir musicalement comme par exemple Gradur, PNL ou Pop Smoke. Quel regard t’as sur l’évolution du rap ?
C’est de la bombe frère. C’est un arc-en-ciel de saveur. Y a à boire, à manger, à vomir, y a tout. Franchement, les jeunes, ils ont vraiment de la chance d’avoir des outils comme les plateformes de streaming, pour avoir tous les sons du monde dans leurs téléphones ! Nous on a galéré. Ipod, 512 Mégas, c’était chaud. Fallait choisir. Moi, aujourd’hui, j’essaye de m’abreuver d’un peu toutes ces vibes. Tout ce qui sort et qui arrive à mes oreilles et que j’aime bien, j’ajoute, je like. J’essaye d’écouter de plus en plus de musiques, mais ça veut pas dire forcément que j’ai écouté tous les albums des mecs que je cite. Mais je trouve qu’ils ont apporté quelque chose de culturel au mouvement, donc c’est très très bon. Je pourrais citer beaucoup d’artistes, et c’est très bien que le rap français se renouvelle autant, parce que c’est l’expression populaire. La rue, c’est comme l’argot, y a des mots qu’on gardait depuis l’argot des années 70, depuis les Bebel, des mots qu’étaient toujours-là. Là, la nouvelle génération les a balayés ! Ils ont ramené encore des nouveaux mots, des nouvelles expressions, encore plus inspirés de nos origines diverses, donc c’est super enrichissant.
Et ce qui est cool, c’est que les évolutions se font à tous les niveaux. L’accessibilité par exemple, c’est vrai que ça joue énormément sur cette capacité à pouvoir, s’intéresser en tant que public à plein de trucs. Et même en tant que personne qui fait de la musique, de pouvoir créer, parce que t’as beaucoup plus facilement accès à des types de musiques différentes, donc tu peux les intégrer à tes musiques à toi.
C’est clair. Nous par exemple dans notre génération, c’était presque que les professionnels du milieu qui écoutaient du rap américain et français. La plupart des auditeurs, ils écoutaient que du rap français, ils connaissaient pas le rap américain. C’était chaud. Fallait des imports, fallait aller dans des magasins de vinyles, fallait avoir un lecteur vinyle, fallait dépenser des sous. Le rap français, c’était à la radio. Du coup le fait qu’aujourd’hui les auditeurs puissent autant switcher sur du cainri, sur du français, c’est bien. Ça permet une ouverture, et ça permet de parler de nos influences, que les gens puissent avoir les mêmes influences. Y a des gens qui m’écoutent aujourd’hui depuis peut-être un an, deux ans. Savoir que je suis branché avec ce qu’ils écoutent, ça peut les mettre bien.
Toi qui fait du rap qui rap, en particulier sur ce dernier projet, je trouve, comment tu regardes toute cette nouvelle scène émergente et moins émergente qui se remet à rapper vraiment ? Je pense à des mecs comme Tedax Max, Prince Waly, tous les rappeurs proches de Just Music Beats, ou même des mecs comme NeS.
J’adore, je suis fan. Ils me font grave plaisir. Ils reprennent les codes, ils mettent ça à la sauce nouvelle. Y a 404Billy aussi que j’écoute beaucoup. C’est du bon. On est fans, on attend chaque nouveau morceau, on écoute ça, on se les fait tourner entre OG. Et on encourage. On encourage cette plume. On encourage cette insolence. C’est aussi grâce, je pense, à la team Griselda, qui a prouvé que le truc était encore viable. Vraiment, ça fait plaisir, du bon pera, dans les codes qu’on apprécie. Mais ça veut pas dire que j’me bute pas à So La Lune, La Fève, ou d’autres nouveaux gars qui envoient dans un tout autre genre. Mais c’est bien d’avoir cette base-là aussi qui arrive à faire du pognon tu vois ! C’est ça aussi le nerf de la guerre. Parce qu’y a toujours eu du rap comme ça, mais à un moment ça palpait plus dans ce registre. Donc quand on voit aussi des OG comme Souffrance qui arrive à faire le tour de force du come-back, ça inspire, ça donne la pêche à la génération plume.
Toi, c’est des mecs avec qui t’aimerais collaborer ?
Carrément ! En vrai de vrai, moi, je suis ouvert pour toutes les collaborations avec les nouveaux, mais eux en particulier parce que c’est encore plus facile. On va se mettre facilement d’accord sur le beat, sur le thème ou le pas de thème. Ça va être instinctif. Avec les autres, ce sera plus délicat mais toujours aussi fluide parce que c’est la culture qui gagne. Mais c’est vrai qu’on a beaucoup de choses en commun avec les artistes que t’as cité.
Pour moi, le fait que le rap gagne, c’est aussi le mélange des genres mais grâce aux artistes qui collaborent ensemble. T’as cité So La Lune, La Fève. Quand So La Lune fait un feat avec Da Uzi, ou Laylow qui fait un morceau avec Koba LaD, c’est des connexions comme ça aussi qui font que le rap, il avance, il évolue, et il s’ouvre.
Franchement, la nouvelle génération, là-dessus, ils nous ont mis une belle exemplarité. Sur les collaborations, j’pense qu’on a beaucoup à apprendre d’eux. La manière dont ils font sauter les barrières, les limites, des codes postaux, les limites de styles, de couleur, d’origine et tout. C’est vraiment très inspirant. C’est comme ça qu’aujourd’hui tu vois des projets collabs Grödash & Swift Guad et que ça choque pas parce qu’y a la nouvelle génération aussi qu’a fait ce taff de montrer que le rap c’est une grande famille aussi.
Sur le coup Swift Guad il a fait des collaborations avec tout le rap français donc ça me choque même plus quand il fait des albums collabs. Mais c’est vrai que c’est pas le premier album collab que j’aurais pensé en pensant à l’un de vous séparément. Et en fait le projet fonctionne hyper bien.
C’est ce genre de trucs, y a 5 ans, 10 ans c’était inimaginable. Mais voilà, avec l’émergence des projets courts, des collabs. Moi c’est un truc que je voulais faire depuis 2012. Je proposais à l’époque à Nubi. Mais il était en train d’arrêter le rap. Je pense que j’avais même proposé à Ol’Kainry. C’est quelque chose que je voulais vraiment faire parce que je trouve que c’est quelque chose de vraiment intéressant dans l’approche. Mais on va dire que le rap français était un peu frileux pour ce genre de trucs à l’époque. À part Alibi & LIM qui avaient fait vraiment très très fort. Mais voilà, la nouvelle génération, ça fait du bien au rap. Deux rappeurs qui sont en place, qui s’entendent bien, qui se boostent, qui chillent, qui font plein de feat. Ninho il a fait ça avec pas mal de mecs aussi. Pour moi c’est la suite logique quand t’apprécies quelqu’un humainement, et qu’artistiquement ça colle, faut pas hésiter à en faire plus quoi. Et si ça peut ouvrir des portes derrière pour des concerts, des tournées, ça vous fait comme des vacances avec le poto. Donc je pense que c’est une bonne énergie que la new school elle a ramenée, et on va pas s’en priver.
Tu vois, c’est intéressant parce que tu parlais de la géographie. Et c’est vrai que si à l’époque, tu voulais faire des albums, c’était quand même avec des rappeurs du 91. C’est aussi parce qu’ils sont à côté de chez toi et que tu les connais. Et c’est vrai que maintenant, internet a beaucoup aidé, j’imagine, et les home studios. Maintenant t’as même plus besoin de rencontrer les mecs pour faire des collabs. C’est pas forcément le mieux, mais en tout cas c’est possible. Du coup tu peux faire des albums en commun, ou des collabs beaucoup plus facilement. Je sais pas comment t’as rencontré Melan, mais il habite à Toulouse par exemple.
Bah ouais, c’est ça, c’est les réseaux sociaux. Tac tac “ouais ça va ?” “Ah ouais mais t’es chez Addictive !” “Ah ouais lourd, bien ton truc, j’te fais signe quand j’suis sur Paris”. Comme tu dis, le délire de réseaux sociaux, de proximité virtuelle, pour nous à l’époque c’était impossible de devenir pote avec un mec d’internet. “C’est un mec d’internet, pourquoi ce serait mon pote ? On a rien à voir, y a un écran entre nous”. Pour nous l’écran il restait toujours. Même quand on rencontrait la personne, on faisait la distinction entre les gens qu’on avait connus sur internet, et ceux qu’on avait connus dans la vraie vie. C’est là que les jeunes, ils ont apporté ce méli-mélo de “on s’en fout”. Pour eux c’est la base.
J’avais jamais eu cette réflexion-là. Je suis plus jeune que toi, mais c’est vrai que quand j’étais au collège, jouer à la console, en ligne, avec des mecs que tu connais pas, c’était bizarre. “D’accord, c’est ton pote d’internet, c’est pas une “vraie personne””. Et c’est vrai que depuis quelques années ça s’est complètement démocratisé.
Le mec qui a mixé Monnaie Time, on l’a rencontré sur Call of. C’est incroyable. C’est pour te dire que j’embrasse totalement cette nouvelle génération. C’est incroyable. C’est mon beatmaker Coazart qui jouait avec ce mec-là sur Call of. “Ah ouais tu fais quoi dans la vie ? J’suis dans le son” “Ah ouais moi aussi”. Le mec, ancien ingé son de la 75e Session et tout. Il a fait un travail de dingue, il m’a redonné du luxe de fou. Ça m’a aidé pour tout mon come-back. C’est LE mec qui m’a fait un an et demi de mix quasiment. Tous les morceaux de mon come-back, c’est lui qui les mixait. Grosse dédicace à lui, MOBL, c’est un beatmaker de fou. C’est lui qu’a fait la prod du morceau avec A2H aussi. Mais c’est ça, c’est la nouvelle génération, on fait confiance, on rencontre des gens, on leur envoie des pistes. Ils ont toute ta vie mais tu les as jamais vus.
Pour rester sur la question de la musique de manière générale. Sur Monnaie Time 1, tu reprends Solaar, là t’as repris Corneille. À partir de quand on se dit qu’on peut reprendre des morceaux comme ça, aussi classiques ?
Franchement, je suis dans un je m’en foutisme. Je sample. Je suis une boîte à rythmes. Non, à partir du moment où le morceau t’as touché, et que tu le kiff. Moi je pourrais reprendre un morceau qui est sorti cette année. D’ailleurs je suis en train de reprendre un morceau qui est sorti cette année. J’me mets pas de règle. Je trouve que le hip-hop c’est un peu comme le dance hall et tout, c’est un truc de sampling et de tribute, d’hommage. Donc quand quelque chose te touche et qu’en plus ça a touché beaucoup de monde, pourquoi pas aller s’aventurer dessus, donner ta version des faits, comment le truc il t’a touché, et toi ce que t’en penses. Je trouve que c’est un clin d’œil cool. Parce que j’aime bien quand d’autres artistes le font. Mais c’est vrai que c’est pas quelque chose qu’est forcément commun. Bon à part la fièvre des reprises. Mais dans ce sens-là, comme je le fais, c’est un peu différent. Mais j’apprécie toujours quand c’est des morceaux qui m’ont touché de base. C’est une manière de dire “moi je suis team Corneille, team Souffrance”, selon les reprises que tu fais. C’est une manière de rendre un hommage à l’artiste.
C’est intéressant ce que tu dis par rapport aux samples et au fait que tu te permets tout. Pour l’interview je réécoutais Enfant Soldat, et je me suis rendu compte que le morceau Lumière Blanche sample un morceau de Kingdom Hearts. Pour dire la diversité de styles que tu peux sampler dans le rap.
Lumière Blanche, c’est l’instru qui m’a lié d’amitié avec Caza One, qui est devenu un de mes meilleurs potes. Grâce à cette instru qui vraiment m’a chamboulée. Pour moi l’influence, elle est dans la culture, dans tout ce qu’on a fait. On a écouté autant du rock que de la pop, que de la musique africaine qu’on a passé du temps sur les jeux vidéo. Et ces trucs-là, c’est nos classiques à nous. En vrai ça fait longtemps que je veux reprendre des trucs de dessin animés par exemple, mais des fois quand tu veux le faire, t’y arrives pas. Et quand quelqu’un d’autre l’a fait, sans que tu passes commande, c’est là que ça fonctionne. C’est comme ça que ça s’est passé, donc j’hésiterais pas à continuer. Pour moi c’est des textes faciles à faire parce que je pars d’une base que j’aime beaucoup et je fais mon dérivé. Comme le Retour aux Pyramides, Puzzle, les remix que je fais, j’adore ça.
Pour rester sur la musique encore, sur le premier Monnaie time tu disais “’t’façon j’écoute plus d’rap, j’follow AC DC”. Tu t’es vraiment mis à moins écouter de rap ? Et si oui qu’est-ce que t’as écouté ces derniers temps ?
J’écoute pas beaucoup de rap c’est vrai. J’écoute de la musique africaine. J’écoute des instrus, j’écoute des kiffs de l’époque. Mais en vrai de vrai, j’écoute plus de musique. J’suis tellement dans le boulot, que j’ai très peu de moment où je mets de la musique pour me relaxer. Le problème aussi qu’on a, c’est que la musique maintenant c’est sur nos téléphones. T’écoutes un son, t’as un appel. T’écoutes un son, tu fais une note vocale. En fait j’ai plus vraiment le temps, et je passe mon temps à écouter des instrus, mes projets. Mais quand j’ai un petit moment j’essaie d’écouter un petit peu de tout. Après, faut voir que ce texte, il date de Monnaie Time 1. Et entre Monnaie Time 1, Monnaie Time 2 et le 3 qui arrive, je me suis un peu réconcilié avec le rap tu vois. J’écoute Tedax ! J’écoute des kickeurs. J’écoute Hamza aussi, il est chaud. Freeze Corleone, j’ai bien aimé son album quand c’est sorti. J’essaye d’écouter quelques trucs. J’écoute French the Kid. Swift Guad m’a fait découvrir ça. J’écoute beaucoup de UK aussi. Ils nous ont fait mal ces dernières années les anglais. Leur manière de swinguer sur la drill, ça me cisaille. C’est tellement bestial comment ils rappent. Off beat, dans le beat, ils s’en foutent. C’est trop beau ! J’aimerais bien collaborer avec des Anglais. Donc en ce moment je suis très ouvert sur les rappeurs européens, j’écoute un peu des Allemands, des Espagnols.
Ça c’est aussi un truc qui se démocratise de plus en plus aussi. Je pense qu’internet a permis ça aussi, parce que dans les années 90/2000 on s’en doutait, mais on avait pas vraiment idée qu’y avait des Allemands qui rappaient. Et encore, l’Allemagne ça va, mais dès qu’on va dans des pays plus à l’est, qu’on connaît moins, je pense que ça nous venait même pas à l’esprit qu’il pouvait y avoir un rap là-bas, et qu’est ce qu’ils pouvaient rapper. Alors que maintenant, on est plus ouverts à l’Europe j’ai l’impression.
Nous, c’est un peu différent. À l’époque, on avait le site rapfrц de Pologne, qui relayait les sorties de maxis Ul’team Atom et tout. On avait aussi un site allemand qui nous achetait pas mal de cassettes et de vinyles dès qu’on sortait des trucs. Donc on avait cette connexion. Et on va dire que moi, je dois beaucoup à la Suisse. Mon premier concert, c’était en Suisse. Donc en vrai, j’ai une carrière presque internationale avant d’avoir une carrière française, dans le sens où on a été très très très apprécié à l’étranger, et ça nous a permis aussi d’avoir un œil sur ce qui se faisait là-bas. On écoutait beaucoup Double Pact à l’époque, Sens Unik. On écoutait quelques artistes. Mais c’est vrai que les collaborations se faisaient très très rares. Moi quand j’allais là-bas, je collaborais quand même un peu, donc ça m’a donné un peu cette ouverture d’esprit. Mon premier album, Illegal Muzik, je l’ai enregistré au Brésil. J’ai fait beaucoup de featuring avec des rappeurs brésiliens. Depuis le début, on a été très internationaux dans notre approche. J’ai sorti le projet International MC, parce que j’ai des featurings avec des gars de toute la planète, à partir de 2005-6, ça fait déjà 18 ans. Là, avec aussi l’avènement d’internet, on peut parler avec les gens. Parce que nous fallait qu’on se déplace. On allait dans les pays des gens, on rappait avec eux, on faisait des concerts, on faisait des gros trucs. Mais là maintenant c’est encore plus facile avec internet. On développe pas mal de projets comme ça avec l’Académie du Hip-Hop. Là, on a fait venir des rappeurs allemands, via un MC qui s’appelle Mortel, qui a fait pas mal de premières parties de Booba là-bas, qui est une légende du rap allemand, et qui est aussi dans le cinéma. Il nous a envoyé des artistes allemands, que j’ai mis en connexion avec des artistes français via mon label. On a enregistré un projet qui devrait sortir je pense cette année. Là, j’étais aux Etats Unis, j’ai fait un morceau avec Ras Kass, la légende du groupe de Kurupt. Il a des morceaux avec Snoop, Nate Dogg, Dr Dre. Et voilà, c’est toujours dans le but de faire des ponts, pour que derrière nos jeunes puissent faire des featurings avec les jeunes de Ras Kass. Ça permet aussi, quand t’as un petit ralentissement dans ton pays, d’avoir des opportunités ailleurs, qu’on puisse t’appeler “eh on a un show, ramène toi”. Ça permet d’avoir des amitiés comme ça, qui se suivent sur internet, et vous vous retrouvez dès que possible.
Pour continuer toujours sans transition, un autre art qui est extrêmement cité dans ton dernier projet, c’est le cinéma. Ça va de Mad Max à Sleepy Hollow, en passant par le Seigneur des Anneaux, Robocop, Pump up the volume ou 1.8.7 Code meurtre. Avant toute question, est-ce que tu peux me parler de cette, à priori, passion pour le cinéma ?
En fait, quand on était gamin, au bled, c’était un peu le seul truc qui nous reliait un petit peu à l’occident. C’était les grandes sorties de blockbusters. On allait voir Terminator au cinéma, Rocky. On se sentait comme des petits parisiens ou des petits new-yorkais. On était au bled, mais on avait toutes les émotions du truc tu vois. Donc le côté cinéma, c’est quelque chose qui m’a beaucoup influencé dans ma jeunesse. J’adorais nos sorties au cinéma, avec mes grands frères, avec mes potes de l’école, ou tout seul quand j’étais plus âgé. Et on va dire que le cinéma me procure des émotions, comme la musique. Le cinéma me touche plus que la vraie vie. Des trucs qui peuvent m’effondrer quand j’regarde un film, il m’arrive la même chose dans la vie ça me fait rien du tout. Mais la manière de raconter les trucs… C’est aussi pour ça que je me suis mis aussi à réaliser des clips, à faire du montage. J’aime beaucoup tout ce qui est en rapport avec l’image. Les bandes originales aussi, j’adore ça.
Et, ce qu’on remarque du coup en voyant toutes ces refs, c’est que j’ai l’impression que t’as pas de style défini.
Ouais, j’ai pas de style, j’aime que les bons films ! C’est vraiment ça. Par exemple, j’aime pas Star Wars. Je suis vachement cinéma, mais si tu dis ça à un fan de cinéma il va te dire “t’y connais rien”. Donc, j’ai mes classiques à moi, c’est des films qui m’ont beaucoup inspiré dans ma conception artistique, même dans mon écriture et tout. Des fois je les cite, ou des fois c’est juste le titre, des fois c’est le scénario. Je parle aussi de plus en plus de Netflix. C’est les trucs qui me choquent quoi. Et j’aime beaucoup maintenant regarder des documentaires. Avec Netflix j’passe énormément de temps sur les documentaires, les histoires vraies. J’avais pas accès à tous ces trucs-là avant. Au bled, on se tapait les blockbusters et tout. Mais on va dire que, je suis de moins en moins film mais de plus en plus documentaire, ou histoires vraies sur des personnages. De temps en temps des séries, mais ça prend tellement de temps…
Dans le rap, souvent, on va citer Scarface, Boyz n the Hood, La Haine, les grands classiques. Toi, c’est hyper ouvert. Comment ça se fait que tous ces univers-là te parlent ?
Parce que c’est bien fait, ça me procure des émotions. Par exemple, quand tu me dis ça, ça me fait golri parce qu’on a une expression entre nous, c’est “passager 57”. Avec mon cousin Fik’s, Ul’Team Atom, dès qu’y a quelqu’un qui est là et qui devrait pas on l’appelle le Passager 57. Mais ce film c’est pas un classique. En vérité, je suis autant influencé par les classiques que les autres. On est aussi de la génération Vidéo Futur. C’est-à-dire qu’on allait louer des films dans la rue, ou dans des clubs vidéos. Et tu passais 1h à défiler sur ce que tu vas regarder comme film. Et y a des films, tu les as tellement vu passer que t’as l’impression de l’avoir vu. Tu te dis “mais en vérité c’est un classique ce film, ça fait des années, il est toujours là”. Donc le titre tu l’imprimes, la pochette tu l’imprimes, les acteurs, tu les imprimes, la bande-annonce, tu la connais par cœur mais le film tu l’as jamais vu. Et tu te dis “aller il peut entrer en ref celui-là, ça doit être un classique”. Et puis nous aussi, au bled, on avait pas le choix des films qu’on voyait. On nous envoyait des cassettes vidéos vu qu’on avait pas vraiment de films. On nous envoyait des films qui passaient sur la 5 à l’époque. Tu pouvais avoir Autant en emporte comme le vent, comme tu pouvais avoir Les dieux sont tombés sur la tête, comme tu pouvais avoir Black-Mic Mac, comme tu pouvais avoir un gros film de Gérard Jugnot, de Michel Blanc et tout. On prenait. Du coup le fait de pas avoir l’embarras du choix, ça t’ouvre dans ton esprit critique, t’arrives à prendre un peu de bons trucs partout. Tout ce qu’y avait jusqu’à ce qu’il y ait les Dragon Ball Z et tout. Là, on était au paradis, c’était pour tout le monde. Mais à vrai dire même quand j’étais petit, je regardais des films d’horreur, parce qu’il y avait que ça quoi. Et c’était chaud. Ça m’a même traumat’ pendant longtemps. On regardait des films qu’étaient pas du tout appropriés pour nos âges. Tu l’as donc vas-y tu regardes. T’as 4 ans, tu regardes Commando, il est en train de tuer toute la planète ! Conan le Barbare, le film le plus choquant de l’univers ! Des grosses scènes de uc et tout ! Toi t’es là t’as 5 ans !
Dernière question cinéma, deux fois tu parles de Chuck Norris dans le disque.
Ouais j’m’en suis rendu compte ! Deux fois quoi !
Qu’est-ce qu’il représente pour toi, comment ça se fait qu’il soit là deux fois ?
Chuck Norris, je comprends pas. C’est le bouffon que Bruce Lee a défoncé. J’arrive en France, c’est un héros, j’ai pas compris. Bruce Lee lui cassait sa gueule, il lui arrachait les poils. C’était tout. Il terminait dans le colisée avec son chat, comme un looser. Et j’arrive ici, je vois que Chuck Norris c’est quand même une légende même s’il a perdu. J’ai dis “ok à la régulière”. Après y a eu tous les mêmes et tout. Je trouve que c’est marrant, le personnage qu’il est devenu. Il était vraiment trop marrant dans son film avec Bruce Lee, et tous ses dialogues décalés. Franchement, pour moi, c’était un naze. Même Walker Texas. Tu vois le mec, il a aucune expression et tout. Mais on l’a starifié de ouf. Je fais quelques petites images avec lui, mais c’est pas mon héros du tout.
J’ai une toute dernière question référence. Sur Cross Noir, tu dis “inspiré genre Van Gogh au RSA”. Qu’est-ce qu’un artiste comme Van Gogh t’inspire justement ?
Van Gogh, ce qui m’inspire, c’est ses œuvres, sa productivité. C’était un artiste très inspiré, très productif, et je crois qu’il est mort pauvre. Et l’image que je veux ressortir là, c’est que, plus t’es pauvre, plus t’es inspiré en fait. La richesse des fois te fait perdre cette folie, cette prise de risque. Quand t’es dans le confort, t’as plus tendance à vouloir le garder, à reproduire des trucs qui ont fonctionné. Que la prise de risque du pauvre qui veut changer sa condition. Donc c’est un peu ça l’image de cette punchline. Puis c’est histoire de dire que j’ai un talent de ouf, mais je suis pas payé à la hauteur de mon talent. Et c’est peut-être ça qui m’inspire encore plus.
Ce serait con, mais peut-être que tu seras reconnu à posteriori.
Exactement. Comme Notorious B.I.G. disait, “t’es personne tant qu’on t’a pas tué”. C’est un petit peu ça qui revient souvent dans nos textes. Mais maintenant j’essaye de transformer cette frustration en comique de situation.
Toute dernière question, le site s’appelle VraisSavent en référence au titre Les vrais savent de Lunatic. D’après toi c’est quoi LA chose essentielle que les vrais devraient savoir ?
Qui sont les vrais déjà ? Ils nous ont embrouillé Lunatic avec cette phrase ! Après c’est devenu le carnaval. Bon déjà les vrais pour moi, c’est ceux qui ont l’esprit éveillé. Et ce qu’ils devraient savoir, c’est qu’il faut juste être conscient du grand cirque de la vie, prendre position, choisir ses luttes, ses principes et s’y accrocher.