Interview Vrais Savent : HD

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Après avoir connu une certaine notoriété grâce à ses freestyles. Après avoir sorti un premier album en 2016 avec des featurings prestigieux tels que Nekfeu, Hippocampe Fou, Keroué ou Lomepal. Après cinq ans d’absence. Hugo Délire, renommé HD pour l’occasion est revenu cet été avec un nouveau projet. Il est revenu avec nous sur son absence, son retour et les références fantastiques, vidéoludiques et footballistiques qui parsèment l'album.

HD HT Hugo Delire
HDHT

Première question classique mais qui permet de recontextualiser. Ton dernier album est sorti en 2016. Depuis tu as été relativement absent, et c’est seulement il y a quelques mois que tu as commencé à teaser que tu reviendrais. Elle est due à quoi cette pose ? Et surtout, comment as-tu eu cette envie de revenir ? 

La pause c’est surtout d’ordre personnel. J’ai continué à écrire, je pense, comme tous les artistes. Mais voilà, j’avais des angoisses un peu personnelles à combattre. Et j’ai jamais vraiment couru après la notoriété. Et c’est vrai que ça m’a traversé la tête après l’album, que ce serait peut-être le dernier et que j’avais rien à faire là-dedans. Après ça reste une passion et c’est vrai que quand t’écris, t’écris, et que tu vois ce qui se fait à côté, tu te dis… T’as écris tout ça pour quoi ? Pour le foutre à la poubelle ? Il faut en faire quelque chose. Donc c’est vrai que j’ai traversé une période qu’était pas forcément évidente. J’avais besoin de trouver une stabilité avec un travail à côté parce que j’arrivais pas à vivre de la musique. Bon en même temps j’ai pas fait grand chose pour que ça marche non plus. J’ai plus pris ça comme un jeu. Et donc voilà avec la maturité, là, j’me suis senti déjà mieux pour sortir un projet. C’était une traversée du désert mais j’ai pas perdu l’envie de créer et de sortir ce projet. 

Et tu reviens directement avec un album. Il y a eu le morceau ZZ mais au final l’album est sorti juste après. C’est parce que c’est important pour toi de fabriquer et sortir un bon objet, d’avoir un album consistant ?

Je pouvais pas faire autre chose en fait. J’ai toujours été taxé de rappeur sur le comeback à chaque fois, où, je pars, je reviens… Même à l’époque où ça marchait beaucoup, à l’époque de mes premiers freestyles. Ça me posait aucun problème. J’en postais un tous les 6 mois ou tous les ans. C’est pas parce que je prenais du temps à écrire ou à les faire mais juste parce que j’avais envie. Ça m’allait bien et j’avais pas envie de battre le fer quand il était chaud. Mais là j’me suis dis que si j’revenais il fallait que je fasse le moins de blabla possible. Que je sorte directement quelque chose de concret, de franc, de travaillé, dans lequel j’me suis investi, et pas faire encore des freestyles face caméra qui ont fait un peu mon petit buzz à l’époque. J’voulais parler le moins possible. En octobre j’ai dû dire que j’allais revenir, en mai-juin j’ai un peu teasé et pour moi c’était impératif que ZZ sorte le jour de l’anniversaire de Zizou, le 23 juin. Et voilà, à l’origine je voulais que l’album sorte la semaine suivante juste avant l’été mais on a été obligé de décaler d’une semaine. Mais en tout cas c’était important pour moi d’arriver avec quelque chose de consistant. 

Et sans rentrer dans les détails, est-ce que ces 5 ans t’ont permis de faire des maquettes ? Ou tu étais vraiment totalement retiré et c’est seulement ces derniers mois/années que tu t’es remis dedans ?

J’pense que c’est vraiment ces deux dernières années. Parce que pour te dire c’était l’été d’y a deux ans où j’ai été à Strasbourg chez Goomar qui a produit entièrement le projet. Parce que c’est à ce moment-là qu’y a eu cette envie. J’ai dû récupérer 80% des prods et peut-être même créer quelques pistes avec lui, sur place. Parce qu’il faut savoir que Goomar il a des disques durs entiers avec des tonnes de prods. J’pense honnêtement qu’il faudrait un mois entier pour pouvoir tout écouter. Mais non-stop, sans dormir. Parce qu’il est hyper productif et il a plein de trucs où il se dit “ça va plaire à personne”. Alors que je sais que pour l’album j’ai vraiment trouvé des pépites. Donc voilà, ça c’était y a deux ans quand j’ai été voir Goomar pour lui dire que je voulais qu’on bosse ensemble. Parce qu’on avait déjà fait pas mal de choses ensemble et que c’est celui qui me correspond le plus dans la musique. On a énormément d’affinités, c’est quelqu’un qui me fait énormément rire, y a une sorte de bromance qui s’est mis en place. L’été dernier en août j’ai enregistré et puis voilà la sortie un an plus tard juste avant l’été. Mais on va dire que ça a pris les deux dernières années. Les trois années d’avant j’étais là, mais j’écrivais dans mon coin, j’attendais. Mais pour l’écriture, ZZ on va dire que c’est celle que j’ai écrit depuis beaucoup d’années. Les autres je les ai écrits par rapport aux instrus, parce que je fonctionne comme ça. Des fois y a des belles rencontres où j’écris des textes et ensuite je peux les poser sur une instru random, ça peut être génial. Mais si j’veux un truc dès le début j’essaie de créer cette alchimie ou le contre-pied entre le texte et la musique.

Justement tout l’album est produit par Goomar. C’est une volonté de ta part de n’avoir fait appel qu’à lui ?

C’était une volonté commune. Ça fait longtemps qu’il m’accompagne. Déjà à l’époque pour mes Poignées de Punchline pour Give me five. Au-delà de ça on a fait pas mal de petits trucs ensemble. J’pense même qu’on aurait pu faire un projet de 6 ou 7 morceaux. Et j’ai fait tellement peu de choses que par rapport à ce que j’ai fait et là où il est présent c’est un beau pourcentage. On a toujours voulu faire un truc ensemble. Et à un moment on s’est dit « on arrête de dire on va le faire, on va le faire” et on le fait. Goomar j’suis en extase devant son talent. Il se considère pas forcément comme quelqu’un qui a de l’or entre les doigts. Moi je sais que, pour le voir faire, composer des instrus, réfléchir, faire des instrus qui tabassent et lui qui dis « ouais bof, je peux faire mieux« … Dis-toi que ce mec il a des chansons qui font des millions de vues, relayées par des playlists qui passent des instrus hip-hop. Le mec il a plus de vues que moi, c’est un fucking vrai héros. Et quand je lui ai posé la question “Avec qui t’aimerais faire un album commun” Il m’a dit « bah c’est toi« . Mais ça c’était clairement pour me faire mousser, il a dû dire la même chose à Gaïden pour Apophis.

C’est peut-être même lui qui t’as redonné l’étincelle pour revenir au final.

Ouais carrément. Quand tu montes dans ta voiture pour aller à Strasbourg et que tu sais que tu vas pouvoir plonger tes oreilles dans le terrier de Goomar et dans toutes les sonorités qu’il a travaillés pendant toutes ces années. C’est un peu un magasin de jouets pour un enfant. C’est la même excitation. Le fait de me dire que j’vais trouver des instrus qui vont me mettre des grosses droites. C’est pour ça que ça participait autant à ma confiance, d’être avec quelqu’un que j’connaissais autant que Goomar. J’y allais vraiment les yeux fermés. De toute façon il fallait qu’on fasse un truc ensemble. Puis voilà j’voulais le mettre que lui sur le projet. Sur le premier album j’me disais qu’un seul producteur sur un album ça pouvait être redondant. Et j’pense qu’avec Goomar c’est assez éclectique, un côté très varié. Je sais qu’il peut faire ça. Je sais qu’y a quelques années avant que la drill arrive en France, il m’avait dit « tu voudrais pas qu’on fasse un album drill« . Et je suis sûr que si je l’avais suivi, j’serais devenu une putain de reusta. Mais voilà je l’ai pas écouté. En tout cas il est très curieux, musicalement il s’intéresse à beaucoup de choses. Il m’apporte et m’apprend beaucoup, c’est un peu un mentor.

Et tu as parlé de Apophis. Justement tu es sur cet album de Gaïden. T’avais déjà fait des sons avec lui, notamment sur ton dernier album avec Yoshi aussi. Comment ça s’est passé pour que tu te retrouves sur son disque ?

Il m’a envoyé un message deux semaines avant le pressage ! En me disant « gros j’viens d’avoir une idée, j’veux faire un track avec toi et Godié t’as une semaine pour enregistrer et je le mets sur mon EP« . Et voilà, je sais pas si j’ai été bon, mais quoiqu’il en soit j’pense qu’il m’aurait mis sur son EP. Mais voilà ça s’est fait très rapidement. Il m’a contacté sur Facebook et ça faisait très longtemps qu’on se taquinait, on aime bien aller pourrir le profil de l’autre, donc voilà, il m’a envoyé le message. Moi ça faisait tellement longtemps que j’avais rien fait, j’étais en train de lancer mon album de mon côté, produit aussi par Goomar. Y avait une sorte de cohérence. Même si y a aucun projet marketing dans ma carrière, ça se saurait. Et puis Gaïden c’est le sang. On s’est rarement vu on a chacun nos tafs de nos côtés. On a fait quelques scènes, quelques featurings ensemble mais on s’est rendu compte qu’on faisait partie de la même famille. Dans le rap j’pense que je suis clairement identifié comme un rappeur un peu comme Gaïden. Et son album flingue ! La vie de rêve avec Taïpan je trouve ça incroyable.

Et au final c’est cool parce que votre morceau il est sorti au moment où tu commençais ta promo. 

Ouais j’ai pas compris. C’est le dernier morceau qu’il a enregistré, c’est le premier qui sort. Il m’a dit “ouais on va mettre ça sur la chaîne des RC (Rap Contenders), on va faire un montage avec des gens”, j’ai fait « woah« . On s’est aussi concertés parce que je voyais qu’il voulait sortir son album en juin. Et on a fait en sorte d’être assez éloignés quand même. 

Ce qui est cool c’est que comme vous avez des publics assez commun, en voyant votre feat, les auditeurs ont du se dire “ah ça y est c’est le retour de HD”.

Ça a été un alignement incroyable. J’pense que, Gaïden sachant que j’allais revenir… il croit en moi et il m’a tendu la main, et j’en suis reconnaissant. Parce qu’à ce moment-là je sais que c’était cohérent et moi j’avais grave envie de faire des tracks avec tous mes potes mais j’enclenche jamais rien. J’suis plus un suiveur qu’un leader.

Ça amène à une autre question. À l’époque de l’ancien album t’avais une meilleure visibilité…

Ouais j’avais une distrib surtout ! Ils m’ont aidé pour promouvoir. Et pour tout te dire, cet album-là, il est sorti vraiment trop tard. Au moment où il est sorti c’est pas que je l’assumais plus mais… Eux en fait ils ont voulu le sortir à tout prix parce qu’y avait des gros noms, quand t’as Nekfeu, Lomepal qui sont en train de percer à l’époque. Ils ont vu ça ils étaient à fond, alors que les sons avaient été enregistrés des années avant.

C’était l’époque où Nekfeu était présent partout. Quasiment chaque semaine on pouvait le voir quelque part. Mais justement, au final t’aurais pu surfer sur ces featurings. Sur cet album il y en avait énormément. Et là sur celui qui vient de sortir il y en a pas du tout.

Pour revenir j’avais besoin d’être tout seul. C’était un peu une revanche. Sur le premier album j’avais pas pu faire tout ce que je voulais faire. C’est pas qu’on m’a mis des bâtons dans les roues mais disons que j’ai pas imposé mes convictions profondes. Et si ça avait tenait qu’à moi le précédent je l’aurais pas sorti. Mais oui aucun feat sur celui-là, parce que le seul dont j’avais besoin c’est Goomar. Mais pour les autres voilà pour le prochain projet je vais me remêler aux gens. 

Je pense que quand tu fais un album tout seul, tu peux aussi aller plus loin dans ta réflexion.

Ouais tu peux mener tes idées au bout. Parce que souvent dans les featurings t’es pas là pour écrire avec les personnes avec qui tu es. Forcément elles vont donner un sens différent. Tes couplets vont passer de facto un message différent. Tu vas pas tout maîtriser. Là le fait d’être tout seul, tu maîtrises tout de A à Z. Si y a une phrase qu’est pas dans le thème, qu’est répréhensible par la loi, je m’en veux qu’à moi-même. Mais moi j’pense avoir été au bout de mon idée et de ce que je voulais dire. En tout cas c’était important.

Il y a eu un autre changement dans ce disque, qui se veut cohérent avec la tracklist de l’album, c’est que tu t’es renommé seulement HD.

Ça a toujours été un de mes nicknames. Mais disons que l’existence d’autres Hugo Délire dont un youtubeur plutôt célèbre a joué. Quand par exemple le son Les Gens de Gaïden est sorti, je lui avais demandé de changer et mettre HD. Dans la description du clip c’est bien écrit HD mais dans le titre Youtube c’est Hugo Délire. Et ça a pas loupé, le commentaire le plus liké, c’est un mec qui dit “j’pensais voir Hugo Délire”. Moi ça m’emmerdait un peu. J’voulais être plus reconnaissable. Et j’me suis dit HD j’ai pas changé tu vois. Je suis revenu à l’essentiel.

Justement ça créé une cohérence avec la tracklist, vu que tous les titres ont eux aussi seulement deux lettres. Et ça fait une référence au morceau HD que t’avais déjà fait sur Grand Délirium. Est-ce que c’est ce truc des deux lettres qui a donné la direction de l’album ou l’inverse, t’as fait les morceaux et pour rendre un tout cohérent à la fin tu les as appelés comme ça ?

J’aime bien prendre à contre-pied les choses. Enfin y a deux choses. Je voulais marquer un contraste entre la densité des couplets. J’ai beaucoup travaillé les textes et j’pense que même moi si je les écoutais, à la première écoute je comprendrais pas tout. J’suis exigeant avec moi-même, et des fois c’est peut-être même trop chargé. Là y a un peu plus de phases chantées mais voilà les textes j’en ai fait mon cheval de bataille. J’pense qu’on a ramené ça au goût du jour avec toute l’éclosion des rappeurs en 2010, L’entourage, Lomepal, avec Gaïden, Yoshi tout ça. Tout un tas de rappeur. Et la deuxième chose c’est qu’c’est un petit peu lié à tous les rappeurs en trois lettres, et j’me suis dit j’vais faire encore mieux. Y a SCH, y a JuL, bah HD y a encore moins de lettres. Après l’idée de faire tous les titres en deux lettres j’trouvais qu’y avait beaucoup de morceaux qui s’y prêtaient. Comme ZZ, comme TG, F8 pour Freestyle 8. Voilà c’était juste l’envie de créer un truc original. Après je t’avoue que pour les plateformes c’est pas dingue parce qu’il y a que des trucs en deux lettres et quand tu veux rechercher précisément c’est pas forcément facile mais j’ai envie de dire que ça me correspond parfaitement. C’est Hugo qui fait du marketing.  

Au final tu as plusieurs morceaux avec une structure assez codifiés, notamment TP et TG est-ce que c’est lié au nom ?

Tout pareil (TP) c’était le morceau le plus rapide à écrire. J’ai dû l’écrire en une seule journée voire une matinée parce que j’avais mon concept. J’étais au studio, j’avais 80-90% des chansons, il m’en manquait une ou deux. Et l’idée m’est venu au studio, un pote était là et il avait une manie de dire “Ouais tout pareil“ et j’sais que c’est un truc qu’on peut dire ironiquement quand on a rien compris à ce qu’on nous a dit. Et j’me suis dit que ça serait marrant de faire une compilation de tout un tas de phrase auxquelles moi personnellement je comprends rien. Ou alors on les comprend, mais qui sont complètement absurdes. Genre quand j’commande un cheddar, triple raclette… c’est juste le mec derrière qui regarde le vendeur et qui dit “tout pareil”. Mais l’histoire des deux lettres, c’est vraiment venu après. Pour la structure de TP j’trouvais ça marrant. Y a souvent deux phrases toutes les quatre mesures qui pour moi n’ont pas beaucoup de sens, entrecoupées de “tout pareil”. C’est vrai que la structure de celui-là détonne un peu du reste. TG après elle est beaucoup plus classique. Mais c’est vrai qu’y a un côté un peu corollaire à TP parce que je cite aussi des phrases auxquelles je rajoute « ta gueule » à la fin. C’est vrai qu’y a une construction qui peut ressembler.

Un autre truc important dans l’album, qui montre que la pause a été fructueuse c’est que tu chantes beaucoup plus qu’avant, notamment sur TG d’ailleurs. Ça revient un peu à la pause mais comment t’as opéré cette évolution-là aussi ?

Je sais que je chante juste à défaut de chanter super bien. Cet album, je suis content qu’il soit sorti mais je trouve qu’il est sorti tard. Mais si j’avais pas pris toutes ces années de pause, d’observation, d’analyse, de maturation, j’aurais peut-être pas ressenti ce besoin de chanter un peu plus. On fait de la musique pour les mélodies, tout le monde cherche des topliners, j’me suis dit “essaye de trouver des toplines à toi” qui peuvent être un peu plus au goût du jour. Déjà dans le premier album j’essayais mais c’était plus pour les backs. Là, on va dire que ça m’a pas dérangé de chanter sur de la lead, sur des refrains. J’ai eu de la chance d’enregistrer avec Playz mon ingé son, dans un studio qu’il tient avec Ramoon. Et ces deux-là ont été incroyables et c’est eux qui m’ont poussé. Parce que quand t’arrives après cinq ans d’absence dans une cabine. Y a un côté où t’es un peu perdu et faut te retrouver. T’as tendance à te critiquer, t’as tendance à vouloir jouer un rôle, rôle que t’avais avant. Là j’suis arrivé et j’leur ai dit “j’ai pas envie de faire ce que j’faisais avant”, j’vais pas changer faire de la country. Mais j’ai envie de me mettre en danger un peu plus, de pousser la chansonnette. Et les premiers à m’avoir encouragé là-dedans, c’est eux. Et voilà après j’ai fait le minimum, j’ai mis un peu d’autotune aussi. Mais voilà j’avais envie de le faire, j’avais envie de mettre un peu plus de respiration aussi, parce que sur scène, faire des blocs de 16, 20, 32 mesures de multi-syllabique dense, c’est intenable. Et j’avais besoin aussi d’un peu plus de spontanéité. Réfléchir moins à la technique. J’aime pas faire de la musique forcée. Plus tu fais de la multi plus tu enlèves du sens. J’aime pas quand on fait de la multi forcée, on va rajouter des “mecs” des “gros” pour finir la multi et faire rimer. Quand j’écris j’essaye un maximum de faire attention à ça et à ce que je dis. Parce que de facto tu restreins ton champ lexical à chaque syllabe que tu rajoutes. Fin voilà c’était une volonté pour moi de respirer un peu plus et tenter d’autres trucs.

T’as dis deux trucs, la “mise en danger”, toute proportion gardée, et surtout la maturité. Sur l’album il y a une “nouveauté”, même si on pouvait le retrouver vaguement avant, c’est le côté un peu “revendicatif”. Mais toujours avec un ton léger à ta manière, c’est pas Youssoupha ou Kery James. Notamment sur BZ. C’est venu comment ce nouvel aspect dans ta musique ?

BZ oui, mais c’est de la revendication légère, c’est facile pour moi de faire ce genre de chansons. Moi c’est un truc qui me tient à cœur. On sait qu’y a un problème, je voulais faire un truc pour en parler, mais j’avais pas envie de faire un truc nian nian, donc j’me suis dit « prend le contre-pied« . Je te dis pour moi c’est super important de créer des contre-pieds, pour rendre le message viable et intelligible. Et le fait de prendre à contre-pied et de dire “mais il faut la baiser en fait, il faut faire pire que ce qu’on fait on est des couilles molles sur le coup”. Je trouvais ça marrant de pousser le truc à l’extrême. Après, première fois qu’on l’écoute, on entend des “baisons-là” partout, on se dit “mais c’est quoi encore cette chanson contre la femme?« . Je compte sur l’intelligence des gens. Quand tu l’écoutes dans la rue t’entends des “baisons-là, baisons-là” ça fait pas forcément bon effet, mais justement j’voulais faire un truc provoquant. Et je prévois de faire un clip pour cette chanson, qui soit à fond dans la provoc. J’ai envie de mettre des gamins dans des décharges, j’ai vraiment envie que ça choque. J’pense que la chanson quelque part est choquante, parce que tu t’enjailles…C’est un peu mon côté Stromae. Parce que ça a un côté joyeux mais les paroles on se rend pas compte en fait… J’ai toujours aimé ça chez Stromae, faire des textes déprimants sur des trucs hyper joyeux, j’trouve ça exceptionnel. Le message passe tellement mieux. Après j’pense qu’y a que deux chansons qu’ont un peu un côté revendicatif, Baisons La qu’a un côté un petit côté planète et NK où je dis des phrases sur des trucs qui m’énervent. Après oui dans toutes les chansons, dans tous les freestyles j’ai toujours essayé de mettre un petit côté “conscient” comme on dit. Où on arrête de se regarder le nombril et on est quand même là pour faire passer des messages, et autant passer des messages dans le genre pour un mec qui croit encore aux valeurs humaines.
Après j’pense pas avoir pris beaucoup de risques. Quand je parlais de mise en danger c’était vraiment pour le chant. J’sais qu’y en a un sur Facebook, qui était super fan de ce que je faisais, et pour les phases chantées il a détesté. Même pendant mes années d’absence il partageait, et le jour de la sortie il a commenté pour dire en gros que c’était de la merde. Après revendiquer dans le rap c’est pas de la mise en danger. Mais quoiqu’il arrive ça reste quelque chose de différent. Dès que tu parles pas de gonzesses, de flingues, de bendo tu prends un risque. J’vais avoir 34 ans, y a un moment où t’évolues. Et j’pense que tous les rappeurs à un moment où bon c’est bien de faire des feats où on dit qu’on est le meilleur mais sortons un peu la tête par la fenêtre et regardons ce qui se passe dehors. Moi j’comprends pas un album de rap français sans lancer un minimum une pique à quelqu’un qu’est pas gentil.

Mais c’est vrai que le rap s’est un peu lissé à ce niveau-là ces dernières années. Sur les gros albums “mainstream” il y a beaucoup moins de piques aux politiques par exemple.

C’est que les gens veulent danser aujourd’hui. J’suis pas fan de Bigflo & Oli mais y a une chanson d’eux qui veut tout dire c’est “les gens n’ont rien à foutre des paroles” enfin un truc comme ça. Et c’est exactement ça. Si t’as des bonnes toplines, une instru qui bouge, un truc qu’est entêtant, tu peux raconter ta liste de course, le mode d’emploi de ton grille-pain, les gens vont kiffer. Après moi c’est sûr qu’à mon âge j’peux pas faire ce genre de choses-là. J’vais me prendre des claques par ma mère. Mais moi j’trouve que c’est bien. J’ai énormément de respect pour des artistes comme JuL. Là il doit être en train de composer trois chansons tu vois. C’est un mec qui travaille, qu’est proche de sa communauté. Que t’aimes ou que t’aimes pas ce qu’il fait c’est un mec qui charbonne et le travail a toujours payé. Et son album 13 Organisé y a des trucs qui flinguent dedans. Moi j’mets beaucoup d’eau dans mon vin par rapport à ça, y a un moment où j’étais un peu critique “l’autotune machin”. La vérité c’est que pendant que tu parles, tous les jeunes font, et y en a plein qu’ont la dalle derrière. Ils ont raison. J’suis pas aigri par rapport à ça. Alors évidemment y en a je comprends pas pourquoi ils percent. Mais ils sont là tous les jours, moi j’suis pas là tous les jours. Eux ils sont plus dans l’industrie moi je suis plus un artisan. Eux ils montent des start-up, moi je sors une poterie tous les 6 mois. Mais j’suis content, c’est une belle poterie. J’me suis de toute façon jamais dit que je pourrais en vivre.

Et en même temps quand tu te mets à fond dans la musique tu ne la fait pas de la même façon.

C’est ça t’as une démarche plus commerciale. Moi que cet album il fasse 1000 streams ou un million ça va pas changer gros à mon quotidien. Après je désespère pas, j’vais peut-être avoir des possibilités, mais ça reste à l’état embryonnaire. Et puis de toute façon je suis pas en demande. À l’époque où ça buzzais je prenais tout le temps la température. En fait j’ai toujours peur que ça marche. ”Si ça marche qu’est-ce que je vais faire”.

En vrai c’est intéressant, parce qu’il y a une question de responsabilité, de pression de ce que tu vas sortir après.

C’est ça, à partir du moment où t’en fais ton métier, t’es à la merci du consommateur. Pour parler crûment c’est ça, c’est que t’as un produit et il faut que tu le vendes. Et moi c’est un truc que j’ai jamais pu faire dans la musique c’est vendre. Créer j’adore ça, mais toute la partie marketing… Les interviews ça va parce que je parle de moi, mais faire des plans marketing, bosser autour des clips, ça a toujours été mon grand défaut.

En ce qui concerne les références, il y en a au final assez peu dans l’album mais il y a essentiellement trois thèmes qui reviennent. Déjà, en particulier sur les deux trois premiers morceaux du disque, tu fais énormément de références à l’univers de la fantaisie et de la mythologie. Tu parles du Cerbère, du Kraken, de la boîte de Pandore, comment ça se fait qu’on retrouve autant cet univers-là dans ta musique ?

J’suis quelqu’un qui est énormément passionné par le cinéma. Y a un genre que j’aime particulière c’est la fantasy. Les films d’heroic fantasy, le fantastique. J’suis un grand rêveur, et c’est clairement ma came. Et toutes ces références-là… Pour moi la mythologie y a un côté élévation. J’pense que tous les rappeurs ont envie de faire des références à des trucs qui leur plaisent et y a des trucs qui sont très faciles. Tu vois moi y a des beaucoup de trucs que j’ai adoré ces dernières années, mais j’me vois pas faire des références sur Game of Thrones par exemple. J’ai pas trouvé les meilleures punchlines dessus, parce que c’est très convenu. Je suis pas impressionné par les rappeurs qui font énormément de métaphores à la “j’suis machin comme machin” parce qu’y en a très peu qui sont percutantes. Où tu te dis “ah ouais non là y a vraiment une recherche derrière, un truc à double tiroir”. C’est très difficile de faire de la référence dans le genre. Celles que j’ai faites au fantastique j’ai essayé de citer le moins de personnes possibles. J’en fais une au Seigneur des Anneaux dans F8 quand je dis “J’viens pleuvoir sur toi comme le Rohan dans la cité blanche”, parce que celle-là je la trouvais vachement imagée. J’en ai écrit tellement d’autres, mais où j’me suis dit “c’est de la métaphore basique, c’est pas dingue”. Après c’est vrai qu’y a peut-être un côté mythologique aussi. Quand j’pense à la mythologie j’vois un soleil. Quand j’vois des références sur les bagnoles ou quoi bah j’vois un ciel gris. Pour moi ça appelle à une élévation, à un truc un peu spirituel. 

C’est intéressant parce que tu te sers beaucoup des références pour faire des images, mais tu dirais que ta vie, ou la vie, elle a quoi de commun avec cet aspect mythologique ?

Après c’est pas forcément mythologique c’est très fantastique. On est plus dans le fantastique, avec des personnages mythologiques qui sont des mythes dans le monde fantastique. Comme le kraken, comme les dragons, comme tout un tas de bestioles un peu mythologiques. Et j’ai envie de dire un peu comme avant c’est mon attrait pour cet univers-là. L’heroic-fantasy ça me fait rêver. J’ai beaucoup de mal avec les films ou les séries très contemporaines, avec des choses qui nous parlent de problèmes présents. J’pense que le fantastique c’est le moyen de transcender le réel et d’y mettre un coup de magie. Tous on a ce pouvoir-là. Et faire référence à ces choses-là, ça permet de mettre un peu de… poussière de fée, poussière d’étoiles. Pour faire voler les gens. Et garder ce côté imaginaire.

Dans ce côté imaginaire, il y a justement un deuxième thème qu’on retrouve un peu partout c’est l’univers des jeux vidéo. Dans TP tu ironises sur le langage des jeux vidéo, en particulier des FPS et pourtant par exemple dans NK tu dis “Chaque instru je la headshot”. 

Oui les jeux vidéo, j’pense que c’est clairement ma génération. J’suis de 87, l’avènement des jeux vidéo c’est notre génération. J’considère vraiment que ça fait partie de la mienne parce que des bons jeux vidéo on en avait par milliers. Et quand j’te dis le rêve, l’évasion, y a énormément de jeux vidéo qui justement t’apportent cette évasion, cette échappatoire. Moi j’peux comprendre qu’y a des gamins qui s’enferment là-dedans toute la journée même si c’est pas bien. Que ça peut prendre une place importante. Mais oui les jeux vidéo. Tekken c’est le jeu vidéo de mon enfance, parce qu’il y a la référence à Kazuya dans F8. C’est un clin d’œil aussi à ma mère parce que c’est le seul jeu vidéo où on a réussi à jouer avec elle. Parce qu’on peut appuyer sur toutes les touches et elle pouvait essayer de nous battre. Elle prenait Law, elle faisait XO XO XO. Un des premiers jeux qu’on a eu sur Playstation c’était Tekken, donc c’est aussi un souvenir d’enfance. Après avec l’âge j’ai un côté où j’fais des jeux plus light. J’suis fasciné par les jeux de management, pour pas citer Football manager. Je ponce ça depuis des années. J’trouve que c’est un jeu où il faut réfléchir malgré tout, c’est très complexe. J’aime bien les jeux de gestion. J’ai téléchargé un émulateur pour rejouer à Pokémon. Pourtant Pokémon c‘est la génération après moi. J’me souviens de piquer la Gameboy à mon petit cousin, quand il allait dormir pour poncer Pokémon Rouge. En fait ce que j’aime bien c’est le développement. Tu vois Football Manager, Pokémon, finalement c’est un peu le même délire en fait. Parce que tu recrutes des joueurs quelque part, des Pokémons, tu leur fais apprendre des trucs, tu les fais s’améliorer, tu t’entraînes et voilà c’est ça que j’aime bien, le côté développement, repartir à 0. Sur Football Manager j’ai déjà fait gagner la ligue des champions à Cherbourg. J’ai un oncle que j’ai perdu qui habitait à Cherbourg. Et j’me suis dit, “Tonton on va te rendre hommage on va mettre Cherbourg sur le toit de l’Europe”. Après j’ai gagné le championnat mondial des clubs donc j’étais le meilleur club du monde… et voilà j’aime bien ça. C’est pareil dans Pokémon au début tu commences avec un Héricendre niveau 5 et avec un petit peu d’entraînement tu montes une équipe de vainqueurs. Enfin voilà c’est inconscient quand on écrit. Et c’est vrai que là en les relevant on met le point dessus et ça transcrit un peu ce que j’aime dans la vie, le sport, la musique, les jeux vidéo, le fantastique.

C’est drôle parce que le dernier thème, qui revient dans l’album, c’est le football justement.

La seule chanson clairement foot c’est ZZ et elle parle clairement à un public de passionné. C’est très très référencé, et si t’es pas un fan du bonhomme ça va te passer au-dessus. Et pour te dire c’est peut-être la chanson la moins personnelle de l’album, la plus random, qui dit pas grand-chose sur moi, qu’est juste un hommage à Zizou que j’voulais faire.

Mais dans un sens le côté personnel peut se ressentir. Dans tes textes tu parles essentiellement de joueurs français. Sur ce morceau évidemment, Zidane, mais sur un autre tu parles d’Henri et Trézéguet par exemple. Du coup c’est surtout des joueurs d’une certaine époque, qui ont joué ensemble. Cette équipe-là c’est sans doute l’équipe qui t’as fait le plus vibrer.

C’est sûr et puis même au-delà de ça c’est la fameuse chimère, la fameuse légende de la France “black blanc beur”. Fin on était pas dans un délire racialiste et identitaire comme aujourd’hui qui commence à grossir partout. À l’époque j’pense qu’y avait encore moyen de sauver la France là-dessus. J’pense que ça passait un message. Et j’suis un peu nostalgique. Après l’équipe de France d’aujourd’hui c’est la même. Y a tellement de débats. S’ils veulent tous poser le genoux à terre pour signifier leur lutte contre le racisme, ça fait des pages et des pages, mais niquez vos mères en fait. C’est pas un délit de combattre quelque chose qui est un délit. J’pense qu’y a une petite nostalgie. C’est tellement libéré la parole raciste. Qu’on oublie que c’est quelque chose de répréhensible par la loi. Y a des gens qui pensent être de très bons Français mais c’est de très grands criminels en fait. 

Quand tu parles de foot, comme tes références sont datées d’une époque on sent que c’est presque intime. Le football c’est quelque chose qui est très cité dans le rap. À ton avis le lien entre les deux disciplines il vient d’où ?

Par ceux qui le pratiquent en fait. Tous les plus grands footballers en France viennent des quartiers. Et les plus grands rappeurs de France viennent des quartiers. Y a une proximité là-dedans. Dans le fait que c’est des domaines qui sont ultras populaires. Et où ne résistent que ceux qui partent de tout en bas généralement. Parce que c’est du travail, c’est parfois la seule échappatoire. T’es rappeur ou t’es footballer, sinon t’essayes de te démerder comme tu peux. J’pense qu’y a beaucoup de parallèles. Y a beaucoup de footballers qu’écoutent du rap. Beaucoup de rappeurs fans de foot, même moi j’ai envie de te dire. Y a une corrélation évidente entre les deux. T’as un espèce d’ascenseur social similaire. C’est deux trucs dans lesquels tu peux t’accomplir, de manière noble. Moi j’accorde beaucoup d’importance aux messages que t’envoie aux jeunes. Et des Pogba, des Mbappe, des rappeurs comme Youssoupha, c’est des acteurs de messages positifs. C’est pour ça qu’il faut les encourager. Comme on dit “Start from the bottom now thez here”. They are lighting, they are magnifiques. D’ailleurs Pogba il est de la ville où j’étais au lycée, c’est une petite fierté locale. Et j’ai beaucoup d’amour pour certains joueurs. En fait, plus ces mecs-là vont réussir, plus je sais que ça va faire chier une partie de la France. J’veux qu’ils réussissent de ouf. J’veux même qu’ils deviennent Président, pour en voir certains pleurer. 

Toute dernière question, le site s’appelle VraisSavent en référence au titre Les vrais savent de Lunatic. D’après toi c’est quoi LA chose essentielle que les vrais devraient savoir ?

J’ai l’impression que le monde se fractionne, et va se fractionner, en deux catégories bien distinctes. Ceux qui ont l’amour des choses, la peur des gens. Et ceux qui ont l’amour des gens et la peur des choses. Pour moi les vrais c’est ceux, que je porterais même comme mes égaux, ils sont dans le deuxième groupe. Y a des gens tu le sais après avoir parlé cinq minutes avec eux, tu sais dans quelle catégorie ils sont. S’ils sont pour leur espèce ou pour le matériel. Le fait est que le monde est tellement en train de se diviser, ça va être très manichéen tout ça. Fatalement y a un moment on va se retrouver face à face. Moi je sais qui seront mes frères, mes égaux, ceux qui pensent comme moi.

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