Interview Vrais Savent : Heskis
InterviewsAprès des années d'absence, Heskis, rappeur de l'ancienne formation 5 Majeur (Nekfeu, Fixpen Sill, Hunam et Heskis) est réapparu fin 2021 avec un premier single, puis en 2022 avec un EP de quatre titres. Fin mars de cette année, il sortait son tout premier album : Plot Twist. Un disque qui confirme ses ambitions de proposer une musique exigeante, alliant technique irréprochable, mélodies bien dosées, et mêlée d'egotrip et de confidences. Pour l'occasion, nous sommes revenus avec lui sur ses années d'une pause salutaire, son hypersensibilité, la productivité et les auditeurs dans le rap français, son amour pour la musique, en particulier le rap français et américain, d'où lui vient sa connaissance du métal et du punk, et enfin sa passion pour le cinéma, en particulier La Haine.
Avant de commencer sur les références, je me posais deux trois questions histoire d’introduire quand même.
T’as fait partie de 5 Majeur, entre les projets du groupe et ton premier EP y a eu plusieurs années, et entre ce premier EP et celui de l’année dernière qui annonçait ton retour y a aussi eu plus ou moins 5 ans. Est-ce que tu penses que ton retour est “définitif” ? Ou est-ce que tu t’attends à refaire une pause ?
C’est un retour définitif. Je sais jamais trop quoi répondre à cette question, dans le sens où les pauses que j’ai eu elles étaient toujours indépendantes de ma volonté. C’est jamais des trucs que j’ai trop contrôlé. Pour entrer dans le vif du sujet, la grosse pause qu’y a eu après 2018, après GG Allin ça a été due à une dépression. C’est ça qui m’a fait faire une pause beaucoup plus longue que prévue. De base je voulais enchaîner après GG Allin.
Y a deux trucs qui m’ont ralenti. Déjà j’ai galéré sur les instrus. À l’époque où je sors GG Allin, j’avais la volonté d’essayer de créer mon propre truc, ramener ma vibe. À savoir, la recette que j’avais proposé d’élaborer c’était faire des boom-trap un peu. C’est-à-dire, prendre des instrus où je rappe à 90 BPM, parce que c’est ce que je maîtrisais le mieux. Mais derrière, au niveau des instrus rendre ça complètement différent d’une prod boom-bap, et ramener un truc un peu cloud. Des morceaux comme GG Allin typiquement ou comme Akira, c’était ça que je voulais faire, que je voulais développer. Et en fait au moment où je sors GG Allin, donc dans la foulée, quand je me mets à bosser sur le projet d’après, et que je demande des instrus aux beatmakers, tout le monde est dans la trap. C’est Atlanta qui domine à ce moment-là, on est en 2018. Tout le monde est sur du rap à 130 BPM, avec des sonorités très sud des Etats Unis. Moi à l’inverse je cherchais des trucs à 90 BPM, dans des sonorités nord des Etats Unis, genre Canada, Toronto. Déjà, j’ai énormément galéré sur les instrus, pendant plusieurs mois. Et ensuite, malheureusement y a eu des événements personnels qui m’ont complètement plombé en fait. Et j’ai fait une grosse depress après tout ça, et j’ai fait une pause dans la musique. Pendant 1 an et demi j’ai complètement arrêté de faire de la musique. J’me suis pas mal isolé, j’ai coupé les ponts avec quasi tous les gens que j’avais dans ce milieu-là. J’avais besoin de m’isoler, de me retrouver avec moi-même.
Du coup c’est comme une remise à 0 là.
Ouais, c’était un peu la volonté. Même d’un point de vue personnel. J’avais envie de me remettre à 0, besoin de me réaligner avec moi-même. C’est un truc assez universel, on est nombreux à passer par des depress à des moments. Ça peut te permettre aussi de prendre un recul sur toi-même. Apprendre à te regarder différemment. Moi en tout cas ce que j’ai rapidement fini par me dire c’est que j’avais besoin de temps pour taffer sur moi-même.
Je trouve que ça se ressent de toute façon dans ta musique. Et justement, ce que je trouve intéressant avec ce disque, et globalement avec ton retour. C’est que tu te livres aussi un peu plus. Notamment sur l’hypersensibilité et la dépression avec la prise de médicaments. Est-ce que cette longue pause, qui t’as permis de te recentrer sur toi mais surtout est-ce qu’elle t’as aussi permis de te livrer un peu plus ?
C’est ce que j’étais en train de te dire avant. Le fait d’avoir fait une pause, c’est que déjà dans ma vie j’avais besoin de faire une pause, prendre un recul sur moi-même en tant qu’individu. Et musicalement j’avais envie aussi d’être plus aligné entre Heskis et Nico. J’avais envie de pouvoir être exactement les deux personnes, derrière le micro et quand je suis avec ma mère et quand je suis avec des potes dans un stud. J’avais besoin de me retrouver. J’ai eu un regard à un moment assez négatif. Le regard sur soi-même, c’est toujours délicat, pour tout le monde. Je pense que ça aussi c’est assez universel. Et moi par exemple, dans la musique, dans les clips, y a un moment où j’ai eu un regard sur ce que je faisais qui m’a déplu en fait. J’me suis dit que j’aimais pas spécialement ce que je dégageais, j’avais presque l’impression de me caricaturer un peu moi-même. À certains égards. Même si y avait déjà beaucoup de sincérité dans ma musique. Je pense que j’ai toujours eu cette démarche de confidence dans ma manière de rapper. Mais en tout cas, ouais, j’avais l’impression qu’à ce moment-là j’étais peut-être pas encore assez moi-même et que je pouvais aller plus loin dans ça. J’avais besoin de me retrouver, d’apprendre à m’assumer.
Ce que je trouve intéressant, c’est que t’en parle beaucoup dans le disque. En-tout-cas, si on doit comparer à n’importe quel autre disque de rap. Et surtout l’hypersensibilité de manière générale. Je crois même que c’est un mot que j’ai jamais entendu dans le rap. Et en même temps on en parle que depuis assez récemment.
C’est un terme qu’est très récent ouais. Moi j’ai passé une énorme partie de ma vie à me sentir différent, à me sentir chelou, à me sentir en décalage avec les mômes de mon âge. Quand j’avais dix piges je traînais avec des mecs qu’en avaient dix de plus. Truc assez rare. Je me suis toujours senti différent. Et à l’époque, j’ai commencé à rencontrer des psys, très jeune. Et le terme d’hypersensibilité on m’en a parlé pour la première fois j’avais 26 ans tu vois. Alors qu’en fait, à partir de là, j’ai rencontré plusieurs psys après, et ça sonnait comme une évidence pour beaucoup de monde. On m’a diagnostiqué haut potentiel et hypersensible, par trois médecins différents. Et ça semblait évident. Mais quelques années avant ça l’était pas. Et en fait c’est un terme qui existe depuis pas si longtemps que ça. Donc moi, quand des professionnels de santé me l’ont expliqué ça m’a permis de comprendre qu’y avait un mot sur ce que je ressentais, que j’étais pas fou, et qu’au final, on était plein d’autres à être dans mon cas. Et ça, ça a rien changé à mes problèmes, mais ça m’a fait du bien, de le savoir, de comprendre et de me dire que justement j’étais pas fou. Je pense que, c’est pareil, c’est pour ça que j’avais envie d’en parler dans le projet, c’est que, je pense qu’on est très nombreux à être touchés par ça. Moi à des moments je mentionne l’hypersensibilité parce que c’est mon cas, mais je pense que dans diverses situations, on est amenés à se sentir en décalage, à se sentir plus nuls que les autres. Et du coup, j’avais envie de parler de ces choses-là, parce que j’ai l’impression qu’y a peu de monde qui le fait, dans le rap. La société, nos codes masculins d’autant plus. Déjà les humains en parlent peu tout court. Dans des milieux masculins, c’est encore plus compliqué d’en parler. Et là depuis que j’en parle, je suis hyper content de voir que j’ai des retours archi positifs là-dessus. Et quand y a des frérots ou des frangines qui m’écrivent pour me dire que ça leur fait du bien d’entendre quelqu’un qui parle de ça. C’est le meilleur compliment qu’on puisse me faire. Je crois que mon ambition première en faisant ce projet, c’était de me dire, j’aimerais pouvoir apporter à des gens une forme de réconfort que moi j’aurais aimé recevoir, à l’époque où je croyais que j’étais tout seul dans ma merde. Pour moi c‘est ça le message de Plot Twist.
Oui c’est ça, comme c’est absolument pas présent, le public ça lui permet de se reconnaître là-dedans, et de voir que ça existe. Et le fait de montrer que ça existe, mine de rien c’est important parce que, tu l’as dit toi-même, avant de le savoir, c’était compliqué. Et le fait de savoir que t’as ça, ça va pas forcément te sauver la vie, mais au moins tu te comprends mieux. Et le fait de savoir que t’es pas tout seul, et que d’autres gens sont comme toi, ça te permet de relativiser et te sentir moins mal par rapport à ta “différence”.
De fou, et puis à partir du moment où tu comprends qu’y a d’autres personnes qui sont potentiellement comme toi, je pense que ça te permet aussi de t’ouvrir aux autres plus facilement. Parce que tu te rends compte que si t’en parles tu vas peut-être trouver des échos. À certains endroits, chez certaines personnes. Je pense qu’en parler en tout cas ne peut qu’ être une bonne chose. C’est vrai que souvent, je suis assez frappé qu’on est peu nombreux à en parler alors qu’on est très nombreux à le vivre. Et typiquement d’ailleurs, quand t’en parles, même dans la vie de tous les jours. Même en parler avec ses proches, c’est pas quelque chose de facile, mais très souvent on est surpris de constater que justement, y a plein d’autres personnes qui peuvent vivre les mêmes situations. Mais c’est des trucs qu’on a tendance à intérioriser, on a tendance à penser qu’on est faible, quand on traverse des épisodes dépressifs. Alors qu’au final, c’est quelque chose d’archi universel et qui nous lie tous parce qu’on est très nombreux à passer par là.
Le rap de toute façon, c’est la vie de manière exacerbée. Mais comme ça se ressent déjà beaucoup dans la vie, le fait de parler de dépression, c’est un truc qui commence à venir petit à petit. Du coup je trouve ça cool que, même au niveau des artistes, la parole se libère, et que ça permet de trouver un écho. Là où, comme tu dis, au départ c’est compliqué d’en parler, et je pense que le fait que des artistes en parlent, en plus de se sentir moins seul, ça permet de créer des discussions avec d’autres gens.
Je pense que le rap est de plus en plus en train de sortir de ses clichés. Je pense que le rap est de plus un reflet de la société. Il l’a toujours été, mais il l’est de plus en plus. Dans le sens où, je pense que pendant longtemps les rappeurs se sentaient dans l’obligation d’être dans un truc de rue, avec l’attitude qui va avec. J’pense qu’aujourd’hui les choses sont très différentes. Depuis 2010, tout ça a commencé à beaucoup changer. Voilà, le rap c’est le reflet de la société. J’pense que c’est des sujets dont on parle plus dans la société, donc de manière assez logique ça commence à arriver dans le rap tu vois. Après, c’est aussi un sujet que j’prends avec des pincettes. Dans le sens où, la dépress, c’est un sujet qui peut être abordé, souvent en surface, par certains artistes. Ça va être utilisé plus pour amener un esthétisme que pour vraiment amener du fond. Et, ça peut être stylé aussi. J’pense en tout cas, que très souvent ça a été plus dans le cliché qu’autre chose. Et là depuis quelque temps en effet j’ai l’impression qu’on commence à en parler vraiment. Mais c’est assez récent encore. Tu vois que les artistes commencent à se confier sur ces sujets-là dans leurs morceaux. Mais je suis assez content qu’on arrive là.
Je trouve que, quand t’arrêtes la musique de manière générale, revenir ça doit être compliqué. Mais là avec cette notion-là en plus, j’imagine que c’est d’autant plus compliqué, à plein de niveaux et plein d’égards. Est-ce que pour toi ça a pas été compliqué justement de revenir, te remettre en avant ? Surtout à l’heure actuelle où la norme c’est d’être présent tout le temps, donc mets une grosse pression mentale.
Alors j’pense que c’est deux problématiques différentes. Le retour d’un côté, et la productivité et l’omniprésence sur les réseaux. Le fait de revenir, moi j’ai pas trouvé ça particulièrement difficile. Ça m’a pas mis de pression, dans le sens où, justement j’avais aucune pression. Le fait de ne pas être attendu ça te met dans une position de confort d’un point de vue artistique. Dans le sens où je sentais que je pouvais partir sur ce que je voulais. Étant donné qu’y avait plus une attente colossale autour de moi. J’ai toujours conservé, à ma grande surprise presque, un public qui m’a suivi depuis toutes ces années, qui m’a attendu. J’en ai été le premier surpris et satisfait. En-tout-cas, j’ai toujours vu ça comme quelque chose de cool, de pouvoir revenir sous la forme que je veux. Ça m’a permis d’expérimenter plein de trucs pendant un temps. Et à partir du moment où j’avais quelque chose qui moi me satisfaisait, c’était ça le plus difficile je pense. Mais à partir du moment où j’avais ça c’était bon. Le défi de revenir c’était surtout vis à vis de moi-même. J’avais envie de faire quelque chose qui me rende fier et me fasse kiffer musicalement. Après par rapport à l’omniprésence sur les réseaux. C’est vrai que la musique à changer, les règles de la musique ont changé. En effet, maintenant si tu veux te faire une place il faut que tu sortes des morceaux plus souvent. Que t’aies régulièrement du contenu à sortir tout court. Maintenant, personne te force à suivre ces règles-là en tant qu’artiste. À toi de te fixer tes propres buts, tes propres objectifs. Et en fonction mettre en place ce qu’il faut derrière. Moi j’savais que j’avais envie de revenir à un certain niveau, et qu’en l’occurrence ça n’aurait pas été atteignable sans préparer les choses en amont. C’est pour ça que j’ai mis du temps à revenir, c’est parce que je savais que je voulais revenir vraiment, et pas re marquer des temps de pause comme je l’ai fait à l’époque. J’pense aussi que j’ai appris à travailler différemment, que j’suis beaucoup plus productif aujourd’hui que je l’étais à l’époque. Avant je maîtrisais très peu mon inspiration. En 2017, quand j’écris GG Allin, l’inspiration c’est comme un éclair qui me tombe dessus au milieu d’un champ, limite pleine lune quand les planètes sont bien alignées. Et le reste du temps j’arrivais pas à écrire en fait. Et ça c’est quelque chose qu’a changé avec les années aussi. Et le fait de me remettre dans une dynamique de travail. Au moment où j’ai rencontré Gvrvgist et Plae Casi qui sont les deux principaux compositeurs de Plot Twist. Le fait d’apprendre à travailler différemment, avec de nouvelles personnes, d’apprendre à composer, ça m’a amené à être beaucoup plus productif. Là, à l’heure où on se parle j’ai beaucoup de morceaux de côté. C’est aussi pour ça que j’ai mis du temps à revenir. J’voulais prendre le temps d’expérimenter de nouvelles choses, et prendre le temps de mettre de la matière de côté, pour plus jamais laisser de temps morts comme ça a été le cas dans le passé.
Ce truc d’inspiration, je pense qu’il faut continuellement, écrire pour être dans un mood d’écriture. Même pour l’écriture d’article, c’est pas hyper artistique, parfois j’ai l’impression qu’il faut attendre que l’inspiration vienne. Alors que souvent il faut aller la chercher soit même.
Moi ce qui a fait que c’était plus simple d’écrire c’est un ensemble de choses. Mais travailler avec de nouvelles personnes ça t’amène à bosser différemment. Moi, le fait de m’être mis à composer entre-temps, ça m’a apporté de nouvelles choses. Ça m’a permis de débloquer l’inspiration. Quand j’arrive pas à écrire j’me mets à produire. Des fois le fait de bosser une prod va amener des idées d’écriture. Donc ça ouvre de nouvelles portes.
Un truc qui contraste un peu avec l’idée de sensibilité dont on parlait tout à l’heure, mais qui a quand même totalement du sens dans ce que tu fais, c’est ton rapport au succès, et à la concurrence. Où, je trouve qu’au-delà même du côté egotrip, y a presque un côté revanchard. Dans quel état d’esprit t’es face au reste du rap ?
Je pense que comme tous les mecs de ma génération, qu’ont grandi avec les codes que j’ai, ce truc de compétition, c’est naturel tu vois. Revanchard c’est un mot que j’aime pas, dans le sens où je le trouve connoté négativement. Et en même temps je trouve aussi qu’y a une énergie assez magnifique dans la revanche. Donc en vrai, même si c’est un mot que j’affectionne pas particulièrement, on peut complètement l’utiliser. Plot Twist c’est un projet où je parle de ça, dans Wayne je parle de ça. Donc ouais ça a été le cas d’une certaine manière. En fait, je pense que cette énergie de revanche, elle peut être hyper toxique, tout comme elle peut être hyper vertueuse. Tout dépend ce que tu vas en faire. Moi j’ai décidé de me servir de ça de manière à ce que ce soit un moteur. Mais également en faisant attention à ce que ça ne crée pas d’aigreur en moi. Voilà je pense que cette énergie-là, c’est un équilibre à trouver. Ça peut être hyper positif si t’arrives à l’équilibrer et prendre ce qu’il faut dedans. Mais au moment où j’ai commencé en effet à bosser ce projet, je sortais d’une grosse dépress, et j’me sentais le besoin de prendre une revanche sur ma propre vie. Alors c’est sûr je voulais aussi prendre une revanche sur ceux qu’avaient pas cru en moi à ce moment-là, ceux qui m’avaient lâché en cours de route. Mais j’pense qu’en vrai, avant tout, c’est en cours de route également que j’m’en suis rendu compte, mais c’était pour moi-même en fait que j’avais besoin de le faire.
Je t’ai demandé ça, notamment parce qu’on va passer aux références. Et je trouve que du coup, y a un côté assez sportif dans la discipline du rap, que tu incarnes assez bien. Toi aussi, tu vois le rap comme un sport ? Où le but c’est quand même de te donner, et pas forcément d’être le meilleur mais donner le meilleur de toi-même.
Une fois de plus, je pense qu’y a plein de religions différentes dans le rap. La mienne et celle des mecs avec qui j’ai commencé à faire de la musique, c‘est ce truc-là, c’est le MCing. Et l’essence de ce truc là c’est la compétition. Mais la compétition saine. Pareil c’est des codes. Je pense que c’est propre à un truc assez générationnel. Même si nous-même on a du mal à avoir du recul là-dessus. J’ai l’impression que les générations actuelles sont peut-être moins sur ces thématiques-là et sur cette conception-là, ce truc de compet un peu. Moi je trouve ça cool. Après je pense que c’est quelque chose avec lequel il faut garder un certain recul. Faut pas être trop premier degré dans ça non plus, sinon tu peux vite te perdre. Mais ouais, c’est un état d’esprit avant tout. Pour moi, la compétition ça reste une des énergies les plus folles que tu peux retrouver dans le rap. Ça peut être un moteur de dingue. C’est comme ce que je te disais avant, ça peut être toxique, ou un vrai moteur, tout dépend ce que tu vas en faire et les énergies que tu vas chercher là-dedans.
Dans ce côté sportif, y en a un qui fait partie de ton ADN depuis le début, c’est le basket. Depuis le nom de votre groupe, jusqu’aux références à droite à gauche, c’est quoi ton rapport au basket ?
J’en ai absolument aucun ! Je vais debunker la question tout de suite. Je n’ai jamais été dans la pratique régulière d’un sport, hormis le skate, qui m’a accompagné pendant 10-15 ans de ma vie. Le basket et les sports co, pas du tout tu vois. C’est plus les images. Je les trouve intéressantes. Les jours de basket aux Etats Unis c’est comme les joueurs de foot en Europe. Y a plein d’analogies que tu peux trouver autour de ça. Et autour de moi y a beaucoup de gars qui suivent énormément le basket. Des frérots qui se lèvent en plein milieu de la nuit pour regarder des matchs à des heures pas possibles, avec des coupures pubs toutes les trente secondes parce que c’est l’Amérique. Moi je suis pas spécialement là-dedans. C’est plus le skate qu’a été mon truc pendant longtemps.
Peut-être que c’est parce que j’ai pas capté les refs de skate…
Y a pas spécialement de refs de skate. J’me suis pas senti dans l’obligation… Y en a deux trois. “Depuis mon premier ollie”. Y a deux trois références discrètes qui se baladent mais je reste assez cryptique avec ça.
Mais du coup c’est marrant que le basket, de ce que j’ai relevé, soit le sport qui revenait le plus, alors que c’est pas un sport qui te parle plus que ça. Du coup c’est presque plus dans le côté esthétique que la pratique ?
Je sais pas, c’est même pas fait exprès donc je pourrais pas te dire.
Juste avant on a parlé de la compet dans le rap, et notamment d’une certaine époque du rap où c’était super important. Toi t’es quand même quelqu’un qui fais énormément de références au rap. Ma première question c’est par rapport à une phase où tu dis “Comment leur dire qu’on connaît pas l’rap pareil ?” Est-ce que tu considères vraiment que tu connais mieux le rap mieux que la plupart des rappeurs et auditeurs ?
C’est dans Neige que je dis ça ! Quand je dis cette phrase-là, je la dis parce que cette musique elle m’a accompagné toute ma vie en fait. Le rap c’est la bande son de ma vie au sens propre. C’est quelque chose que j’écoute énormément depuis que je suis très jeune. Je vois pas la culture comme un concours de qui a le plus. Et je trouve ça super wack et super naze les gens qui cherchent à se mettre en avant à travers la culture. Y a beaucoup de phases un peu piquantes, de pichenettes que j’envoie de mes musiques. Et en l’occurrence, il est vrai que, le statut du rap à changer, c’est aujourd’hui une musique qu’est extrêmement populaire, tout le monde en écoute, et du coup, tout le monde en parle. Beaucoup de gens s’improvisent spécialistes sur le rap. Tu peux autant en croiser sur diverses émissions internet que dans des soirées où tu vas entendre des gars en parler. J’ai pas envie de me placer comme un arbitre en fait. À dire “Les autres, ils sont nuls, ils y connaissent rien et moi je m’y connais à mort”. Mais c’est juste que moi c’est toute ma vie, cette musique. J’écoute énormément de rap, depuis que je suis gamin. Et du coup c’est ma life, c’est tout.
J’ai l’impression qu’à l’époque de tes débuts, t’avais plutôt tendance à parler de rappeurs français. Et en même temps c’était un peu la vibe des années 2010 dans laquelle t’as baignée, où y avait énormément de références au rap français. Et je trouve que là, tu cites quand même essentiellement des Américains. Est-ce que c’est tes goûts qu’ont fini par changer ? Ou que le rap français c’est tellement ancré que t’as plus besoin d’y faire référence ?
Moi de base, je viens du rap français. J’ai grandi sur du rap français. J’écoutais uniquement du rap français parce que j’étais complètement fasciné par cette musique. Le rap américain, la distance que j’avais avec ça avant, c’était le fait de pas comprendre les paroles. Je suis pas bilingue, je l’étais encore moins quand j’étais très jeune. Donc mon rapport avec le rap, de mes 12 à 22 ans ça a été uniquement le rap français. Je suis tombé amoureux de cette musique et de cette culture. Donc du coup je pense que pendant mes premières années en tant que rappeur, j’ai surtout fait référence au rap français quand je faisais des références. Et en effet depuis, je dirais mes 22-23 ans, j’écoute principalement du rap américain. J’écoute toujours du rap français. Mais c’est vrai que ce que j’écoute le plus, ce qu’a pris le pas dans mes playlists, c’est le rap américain. Donc assez naturellement, je vais faire des références à ce que j’écoute. Je pense qu’y a toujours un peu des deux, des clins d’œil et des références à certaines phases, ou certains rappeurs ou certains albums qui m’ont marqué. Mais y a toujours eu les deux parce que les deux font partie de ma vie et de ma culture. Les deux ont une place aussi importante pour moi. C’est pas maintenant que j’écoute du rap américain je vais dire “ouais le rap français c’est nul”. Après y a aussi une réalité de, c’est une musique américaine à la base. Et pendant très longtemps, ce qui est plus forcément vrai aujourd’hui, mais, l’essence de cette musique, c’était vraiment là-bas que tu la retrouvais. C’est là-bas que t’allais avoir tous les nouveaux styles qu’allaient pop et qu’allaient être repris en France par la suite. C’est toujours plus au moins le cas. L’hyperpop c’est un courant américain, la plug c’est un courant américain, la drill ça a été popularisé par les Anglais et les Américains. Et en France à chaque fois les gars reprennent le truc. Donc c’est vrai qu’une fois que t’écoute beaucoup de rap américain, ça devient plus compliqué de te faire surprendre quand t’écoute des rappeurs français. Parce que généralement ils reprennent les trucs des rappeurs américains. Mais, ces dernières années, force est de constater, et c’est hyper agréable en tant qu’auditeur. Moi j’me régale parce que je trouve qu’on a re un rap français qui s’approprie des codes américains mais qui les fait à sa sauce. Et je trouve qu’on a une manière de sonner qu’est de plus en plus à nous en France, en Europe même globalement. Je trouve qu’on se différencie de plus en plus. On a une proposition de plus en plus différente des Américains. Et ça c’est lourd de fou.
Là dans le rap français, au-delà de la diversité qui est de plus en plus folle. Y a aussi un espèce de petit retour aux mecs qui rappent rap tu vois. Ce truc-là, et peut-être même le fait d’avoir nos propres codes petit à petit. Est-ce que ça aussi ça a été des trucs qui t’ont motivé à te remettre dans le rap.
Pas du tout, parce que j’ai pas du tout attendu ça. Je pense que je suis resté assez fidèle à mes vibes. Je fais partie de ceux qu’ont mis du temps à s’en rendre compte en fait. Pendant que je bossais sur mes morceaux y avait des gens autour de moi qui me disaient “yo, c’est le bon moment pour toi parce que le rap revient au centre de l’intérêt”. On me citait souvent des rappeurs comme SCH, Alpha, Freeze Corleone en me disant “regarde les gens se remettent à écouter des rappeurs qui rappent”. Mais moi en tout cas y a jamais eu de calcul à ce niveau-là. Dans le sens où, j’ai toujours aimé le rap qui rap. Et c’est limite tout ce que je sais faire en fait. Moi l’époque, où, y a quelques années en arrière, fallait chanter dans les morceaux, à tout prix, ça me mettait une pression un peu. C’est quelque chose que j’adore faire, mais quand ça me vient spontanément, et j’ai du mal à recettiser ma musique, et encore plus le fait de chanter. Ce qu’est naturel pour moi c’est de rapper en fait.
Je trouve que quand y a de la mélodie dans ta musique… Comment dire, tu sens que c’est pas de la mélodie pour vendre, parce qu’elle est “venue de toi”. Je trouve que quand tu fais des mélodies, ça vient de la musicalité de la prod et ta sensibilité à toi, et pas pour faire une recette.
Bien sûr, après c’est ce que te diront tous les artistes. En tout cas, ce que je veux dire par-là, c’est que, beaucoup d’artistes conceptualisent, moi j’arrive pas à le faire en fait. J’arrive pas à faire autrement que ce que je fais, que du rap où je me prends la tête. Je sais pas comment expliquer ça. Je suis très mauvais pour calculer. En fait, la manière dont je bosse, c’est comme si je tirais une corde, et le truc me vient petit à petit en fait. J’arrive pas à avoir une idée d’un truc fini, et à partir d’une idée finie pour créer un morceau. Vraiment, je tire le truc et les choses me viennent spontanément, c’est un peu ça la magie.
C’est intéressant parce que je pense qu’y a plein d’écoles différentes aussi, comme ça, dans la création.
Ouais, je connais de plus en plus d’artistes par exemple, qui bossent leurs morceaux en faisant des toplines. Et avant d’écrire une seule ligne, vont se mettre derrière le micro, vont enregistrer des toplines, choisir leurs toplines, et ensuite ils vont écrire dessus. Moi je suis incapable de faire ça. Et quand j’écris, chaque mot va entraîner le mot d’après. Mais je n’ai aucune idée du mot qui va suivre avant d’avoir le premier.
C’est le principe de l’écriture automatique, je crois que ça s’appelle comme ça. Où tu laisses vraiment parler tes mots et tu vois ensuite ce qu’a été écrit. Je crois même que ça peut être bien de faire ça parce qu’en te relisant, tu te demandes pourquoi t’as parlé de ce que t’as écris.
Yes carrément ! Moi j’aime beaucoup laisser place au spontané quand je travaille. Et quand j’écris c’est ça qui m’intéresse le plus. Et l’effet le plus incroyable que tu puisses ressentir en écriture, c’est quand t’arrives à te surprendre toi-même en fait. Et à te demander toi-même “waouh, d’où est-ce que je l’ai sorti celle-là”. Je crois vraiment que c’est le feeling le plus dope que tu puisses ressentir quand tu fais de la musique.
Pour revenir sur le rap, et sur le rap américain, là sur l’album tu fais référence à Lil Wayne, Tupac, ASAP Rocky, Cam’Ron, Kodak Black. Des tas de styles et époques différents. Est-ce que t’as quand même une époque fétiche ? Ou est-ce que tu te manges vraiment tout ce qui se fait ?
Pour te répondre le plus sincèrement du monde, même si ça peut paraître assez consensuel de dire ça. Je suis vraiment amoureux de cette musique et de cette culture au sens large. Je pense que très souvent y a plein de guerres intestines dans le rap, d’écoles différentes qui s’affrontent. Les anciens qui comprennent pas les nouveaux trucs. Ceux qu’écoutent la nouvelle vague qui comprennent pas le truc des anciens et qui trouvent ça nul à chier. Moi je crois vraiment que j’ai grandi avec les deux. Je pense que ma génération, c’est une génération qu’a justement poussé entre ces deux écoles-là. J’suis né en 90 donc j’ai grandi avec le rap des années 90 et 2000, mais moi je suis fasciné par la musique tout court, même hors rap. Je me mets pas spécialement de limites dans ce que j’écoute. Je peux être sensible à des trucs hyper différents. Alors c’est vrai que souvent, par exemple avec mes potes, c’est un sujet qui revient et qui fait marrer pas mal de monde. Le fait que je puisse écouter des trucs à ce point-là différents. J’ai autant d’amour par exemple pour un Roc Marciano et Conway the Machine, ce genre de rap très New-Yorkais, très référencé, très hip-hop, autant que pour Yung Lean, ou un Ski Mask. Ou des artistes qui n’ont rien à voir, qui sont dans des opposés total, à des époques complètement différentes, dans des esthétiques complètement différentes. J’suis incapable d’expliquer pourquoi mais je comprends autant les deux et je me prends autant les deux tu vois. Du coup j’ai pas d’âge d’or. Je reste sensible d’une manière quand même particulière, à cette école New-yorkaise, influencée par les années 90, tout ce qui part de Mobb Deep. C’est ma première religion disons, la première et celle qu’a été la plus intense dans ma vie de jeune hip-hopeur ça a été ce truc-là. Donc même quand j’écoute aujourd’hui ça me mets des frissons particuliers. Mais j’aime tout tu vois. J’me suis grave pris le mouvement hyperpop y a 4-5 ans déjà. Et j’en écoute énormément. Je peux kiffer des trucs de plug music sometimes, des trucs de drill. Les Anglais m’impressionnent beaucoup. Les anglais en plus se posent pas du tout ces questions-là qu’on se pose beaucoup en France, de trap, de boom-bap. Eux ils mélangent plein de trucs, ils font de la musique hyper hybride et je crois que c’est ce qui me fascine le plus dans le son. Du coup ces dernières années j’écoute énormément de trucs anglais aussi. Et cette hybridité me fascine totalement. À l’époque où je bossais GG Allin y a un artiste anglais qui s’appelle Danny Seth que j’écoutais beaucoup. Et qui justement étant en plein dans ce truc hyper hybride, entre boom-bap d’une certaine manière, et truc hyper actuel et cloud d’un autre côté. Et voilà, c’est bien à l’image de ce que j’aime écouter.
Je trouve que c’est d’autant plus évident quand on écoute ta musique, parce qu’au-delà même du rap, tu fais énormément de références musicales de manière générale. À des niveaux différents, mais là sur le disque ça va d’YMCA, même si la musique est peut-être pas le propos, à Céline Dion, en passant par Beethoven et Michael Jackson. Sur les autres disques t’as pu parler de Marley ou même faire un EP consacré à GG Allin, qui est quand même une figure que personne connaît dans le rap.
Je me suis jamais fait cette remarque, mais t’as raison y a beaucoup de références à la musique ouais.
Du coup j’imagine qu’au-delà même du rap, t’as un rapport particulier à la musique ?
De fou, mais c’est que, je pense que depuis que je suis gamin, c’est ce qui m’a sauvé et c’est ce qui m’a le plus touché de ma vie en fait. Le son, la musique. En effet un de mes souvenirs les plus intenses, en tant qu’auditeur, quand je suis enfant, c’est Bob Marley ouais. C’est un truc que j’ai énormément écouté pendant énormément d’années. Je sais pas comment expliquer ça. J’étais fasciné autant par la musique, que par ce que le mec représentait intellectuellement, culturellement, socialement, idéologiquement. Sur tous ces points-là, je trouvais ça fou. Et justement, j’étais frappé je crois, à ce moment-là, par le pouvoir de la musique en fait. Comment ça me touchais moi en tant qu’individu, et l’impact que je constatait que ça avait sur la société. Et au moment où le rap rentre dans ma vie c’est pareil. C’était comme une vague gigantesque, comme un tsunami qui s’abattait sur moi. Et je pense qu’en-tout-cas, étant enfant, j’étais pas mal dans mon coin, dans ma tête même. J’me posais beaucoup de questions sur moi, sur le monde qui m’entourait, et je me sentais déjà en décalage, et la musique, ça a tout de suite eu un rôle central dans ma vie. Ça m’apporte énormément de réconfort, d’émotions. Ça m’a aidé à me construire intellectuellement et en tant que personne. Le rap français m’a éduqué, au sens propre. C’est une musique qui m’a aidé à me structurer en tant qu’individu. C’est une musique qui m’a permis de rencontrer des gens qui sont devenus des amis, au moment où j’en écoutais puis quand j’ai j’ai commencé à en faire. Et ça a pris une place de plus en plus centrale dans ma vie. Et aujourd’hui carrément c’est le truc que je fais le plus. Donc ouais, j’ai un rapport à la musique très particulier. Mais je pense que tous les artistes te diront ça également. Mais moi en tout cas c’est vrai que pour reramener à des sujets qu’on a abordés au début de l’interview. En tant que gosse haut potentiel, j’me suis toujours senti en marge, en décalage, et en fait la musique justement a comblé les trous qu’y avait à ce niveau-là.
En plus, si t’étais dans ton coin et que t’avais du mal à t’exprimer, et à parler, et puis même quand on est gosse de manière générale, c’est compliqué de savoir ce qui se passe dans notre tête. Je trouve que la musique c’est aussi des fois, celle qui va, comme toi là, tu vas poser des mots sur l’hypersensibilité, j’imagine que la musique elle t’as permis aussi des fois de poser des mots sur des émotions que t’avais, et des ressentis.
Complètement ! Moi ce qui m’a fait tomber amoureux du rap c’est ça. C’est qu’au moment où je découvre le rap, j’entends des mecs dire des phrases que je me suis dit dans ma tête toute ma vie. Et je me prends des gifles en me disant “waouh, c’est tellement ouf comment il a réussi à dire ça”. Et c’est ça le truc qui me donne envie de rapper, c’est ce feeling-là très exactement. De me dire, putain, le mec il a écrit ce truc que j’ai ressenti toute ma vie sans réussir à le dire aussi bien une seule fois. Et c’est de la transmission en vrai. Le mec te transmet une émotion et te parle, et tu te retrouves dans ce qu’il dit et tu te sens moins seul. On en revient encore à la conversation du début.
Tout à l’heure on parlait de ce truc de choisir une école du rap un peu. Même si tu peux avoir ta préférée, t’es ouvert aux autres. Y a un truc que je comprends pas trop dans le rap, au niveau des auditeurs, qui pensent parfois qu’il faut écouter QUE du rap. Encore plus qu’écouter un type de rap, y a aussi écouter que du rap. Alors même que les rappeurs ont tendance à écouter d’autres choses. Pourquoi les auditeurs sont aussi fervents à ton avis ? Et presque fermés d’esprit parfois.
Je pense que c’est de la perception. Je pense qu’on est beaucoup dans de la perception des uns vis-à-vis des autres. Je pense que quand on gratte, on est souvent surpris avec tout le monde, de se rendre compte qu’y a plus de diversité que ce qu’on pense dans les goûts des gens. Y a beaucoup de gens qui vont se mettre en avant et mettre en avant ce qu’ils écoutent au niveau du rap. Parce que c’est aussi un moyen de se sociabiliser aujourd’hui de parler de musique et d’en partager, tellement cette musique a changé d’aspect, et tellement elle est devenue centrale aujourd’hui. Moi tu vois par exemple, y a quelques années, pour donner une anecdote marrante. Je travaillais dans un lycée, j’étais surveillant dans un internat, donc je bossais les soirs, la nuit, avec des jeunes qui ont entre 17 et 19 ans. Et en fait, j’ai été assez souvent surpris, dans le bon sens, parce que je pensais qu’ils écoutaient justement que du rap. De prime abord, je les voyais tous écouter du rap. Et en fait quand on parlait, que je grattais un petit peu, j’me rendais compte qu’ils écoutaient plein d’autres trucs, et j’étais assez surpris. Que ce soit des trucs de l’époque de leurs darons, ou dans des styles qu’ont un peu rien à voir. J’ai l’impression que les générations actuelles sont plus détachées que ma génération par exemple, vis à vis des questions de style de musique. J’ai l’impression qu’aujourd’hui y a un petit peu moins de règles. Moi à l’époque où j’ai grandi fallait choisir ton camp. Soit t’écoutais du reggae, soit t’écoutais du métal, soit t’écoutais du rap… Et justement, moi j’ai toujours eu du mal à me retrouver dans ça parce que j’ai toujours eu une multiculture. On n’en a pas encore parlé, mais le mec qui m’a transmis le virus de la musique, c’est mon frérot Ramses, qu’a dix ans de plus que moi, que j’ai rencontré quand j’avais dix piges. On s’est rencontré via le prisme du skate, et lui m’a mis dans la musique, à l’époque dans le heavy metal et le punk, principalement. C’est lui aussi qui m’a fait découvrir GG Allin quand j’étais enfant. Il avait un tatouage de GG Allin sur le mollet, et c’est pour ça que le projet c’était pour rendre hommage à mon pote en fait. Donc moi j’ai découvert ça au même moment, ou en an, deux ans plus tôt, je découvrais le rap. Donc au même moment où Rams me fait découvrir Metallica, Sepultura, Cradle of Filth, GG Allin, ou Cannibal Corpse. Au même moment j’écoute NTM, Busta Flex. Quelques années après je découvre Rocca, La Rumeur, ces trucs-là. Et du coup moi j’ai toujours été au carrefour de plein de styles musicaux différents, à une époque où c’était complètement proscrit. Et je trouve ça vachement cool de voir que les générations actuelles se posent moins ce genre de questions. Alors, est-ce qu’ils écoutent du rap, j’en ai aucune idée, et je pense que personne en a aucune idée. On est souvent dans de la projection, on a souvent tendance à croire que, mais je pense que tout ça c’est des faux débats.
En fait, c’était plutôt par rapport aux réseaux sociaux, et les gens qui ont tendance à appuyer sur des styles et des rappeurs. Mais dans la vie de tous les jours, les gens en général sont beaucoup plus ouverts que ça effectivement.
Bah ouais puis regarde on le fait tous. Sur les réseaux je partage surtout du rap, parce que je vais partager les projets de mes potes qui sortent. Parce que les artistes rap même sont très actifs sur les réseaux, c’est très viral. T’auras moins d’occaz de relayer un morceau de Nina Simone, ou d’Oasis ou des Beatles. Je vais avoir moins d’occaz de le faire parce que ça va moins arriver sur ma timeline, et pareil pour toi en fait. Donc c’est ça, on a l’impression que les gens écoutent que du rap, mais moi quand je discute avec des gens, à l’inverse j’ai la sensation que les gens ont jamais été aussi curieux. Et je trouve ça vachement cool.
C’est un peu une question de journaliste à la con, mais, t’as fais un EP qui s’appelle GG Allin. Tu m’as expliqué d’où ça venait, et donc ça veut dire que t’as une culture rock et métal, même indé assez importante. Là, sur le projet t’as une phase où tu dis “dans la cabine j’crie comme un rockeur”. T’as quoi de rockeur en toi ?
J’en ai aucune idée. Je pense que ce serait bien présomptueux si c’était moi qui répondais à cette question. Je pense que c’est plus aux gens qui m’écoutent de répondre est-ce qu’y a quelque chose de rock dans ce que je fais où pas. Après, là où ça m’a je pense, influencé et laissé une trace, c’est pas forcément dans une esthétique sonore mais plus.. Moi par exemple, les groupes de rock m’ont énormément fasciné en termes d’image. En termes de storytelling, mais aussi en termes d’idéologie. Justement, même s’il est complètement extrême, un mec comme GG Allin, après faut savoir qui c’est, ce qu’il a fait etc… Ça reste quelque chose d’extrêmement fort, et je trouve que la culture rock, au sens large, donc en prenant dans ce spectre-là, le métal, le punk et tous les dérivés. Je trouve que ça fait partie tout simplement des choses les plus fortes que j’ai vu artistiquement. Qui m’ont le plus marqué tu vois. Y a plein de groupes de rock qui ont marqué l’histoire à tout jamais. Je sais pas si ça a une influence directe sur ma musique mais en tout cas ça m’a marqué. Je pense qu’y a une mentalité, une idéologie. Le punk par exemple, c’est quelque chose qui m’a beaucoup plu par son impertinence. C’est quelque chose que j’adore en musique et je crois que c’est quelque chose qu’il y a beaucoup dans ma musique également, ce côté impertinent, irrévérencieux.
Et le métal c’est quelque chose que tu continues de suivre ?
J’écoute plus du tout de métal. Ces dernières années, je pense que ce qu’a pris énormément de place dans ce que j’écoute. Je sais jamais comment appeler ça, mais c’est toute cette scène alternative. Dans laquelle tu pourrais placer des artistes comme Yung Lean, Yung Gud, Salem, Oklou.
Salem tu le cites dans un de tes sons.
Salem c’est un de mes groupes préférés, je crois. C’est des mecs de Chicago, chose assez rare dans la musique, qui ont créé un genre musical, en 2006 je crois. Ils ont créé un truc qu’on appelle de la Witch house. Et en fait c’est ce qui a influencé justement des artistes comme Yung Lean, et tout ce qui en découle. Sachant que Yung Lean, déjà un artiste que je pense, a eu un impact assez majeur dans la culture ces dernières années. Salem, c’est un peu l’ancêtre de tout ça. Le modèle originel de sad music. Après, j’écoute plein de choses. Toujours beaucoup de rap, mais en pourcentage dans ma playlist y a beaucoup d’autres trucs qui sont rentrés. Marvin Gaye, Trouble Man c’est un des morceaux que j’écoute le plus. J’écoute ce morceau tous les jours je crois. Mes playlists sont assez variées.
Sans transition, j’aimerais bien qu’on parle de cinéma. Mais même au-delà des quelques références que tu peux faire, y a un truc qui revient en particulier, dans ce disque-là, c’est la référence cinéma du rap français en dehors de Scarface, c’est La Haine. Tu l’avais revu avant de faire les morceaux ? Ou c’est que c’est un film vraiment mythique pour toi ?
C’est marrant parce que j’ai regardé le film hier soir encore. Et je crois que je l’avais déjà regardé y a à peine trois semaines. C’est pour te dire, je retourne très fréquemment sur ce film. Déjà, je regarde des films tous les jours, au sens propre, depuis une quinzaine d’années je pense. Je suis vraiment passionné par le cinéma, même si je m’y connais pas plus que ça tu vois. Mais j’adore ça, je regarde énormément de movies. Et la Haine, je crois que c’est mon film préféré. Et c’est marrant parce qu’au fur et à mesure des années, je redécouvre encore de nouveaux aspects dans le film. Je m’étais déjà pris toutes les répliques, je m’étais déjà pris les personnages. Là, en ce moment, je redécouvre l’esthétique du film, parce que j’ai un œil différent aujourd’hui. Étant donné que ces dernières années j’ai beaucoup bossé sur mes propres vidéos. Par exemple le clip de Damn c’est moi qui l’ai fait tout seul avec mon pote Stone qui m’a aidé pour le montage. Mais je suis de plus en plus investi dans mes clips, et même tous les clips que j’ai sorti là depuis 1 an et demi, je mets beaucoup la main à la patte, je réalise, je co-réalise. Donc j’ai un œil différent. Et là en regardant la Haine, je me suis pris l’esthétique du film en me prenant une claque de fou, alors que ça doit être la 50e ou 60e fois que je le regarde. C’est un peu comme un film de chevet. J’ai pas mal ce rapport-là aussi avec la musique. Y a des albums auxquels j’reviens hyper souvent, c’est pareil avec le cinéma. Des films comme La Haine et Ghost Dog. Dès que je sais pas quoi regarder, et que j’ai envie de me mettre un film pour m’endormir devant, je me mets ça tu vois. Je suis incapable d’expliquer pourquoi. C’est comme une petite madeleine de Proust, c’est quelque chose qui me réconforte dans le fait de regarder ça. Je me régale en fait.
C’est marrant parce qu’en plus, Ghost Dog et La Haine, c’est deux monuments pour le rap.
Les films sur le rap, ou en rapport avec cette culture-là, quand j’étais gamin ça représentait quelque chose de très particulier pour moi. Et en plus, c’était des films qu’étaient très difficiles d’accès. Ça passait sur Canal, et fallait avoir les trucs décryptés. Quand j’ai été en âge, du coup de pouvoir accéder à tous ces films-là, c’est comme si c’était une espèce de vengeance de pouvoir regarder les films que je voulais mater quand j’étais môme. De pouvoir m’acheter des t-shirts Com-8 quand j’avais 11 ans. Moi en ce moment, je suis dans cette phase-là de ma trentaine. Je reconnecte beaucoup avec le gamin que j’étais, et c’est cool de fou.
Toi qui à priori regardes beaucoup de films, ta cover je la trouve très cinématographique. Elle ferait presque plus cover de film que de rap.
C’était carrément la volonté. La pochette, elle a été réalisée par Walliddel. Qui est une artiste rennaise. À qui je place un énorme s.o. C’est une artiste que je connais d’amis en commun. Et en fait quand j’ai découvert son taff, je me suis tout de suite pris une gifle de fou. J’ai tout de suite que je voulais bosser la pochette avec elle. J’avais pour ambition de faire quelque chose de différent de ce que j’avais fait avant. Sur chaque visuel, j’aime bien ramener un truc différent. Et là ça a vraiment été un coup de foudre artistique quand j’ai vu le travail de Walliddel. On a direct réussi à trouver une idée commune qui nous plaisait. Et en effet, j’avais la volonté de faire quelque chose de très cinéma. Tout simplement parce que je passe ma vie à regarder des films, aussi parce que le projet s’appelle Plot Twist, et que du coup c’est une référence directe au cinéma. C’est l’histoire que je voulais raconter, dans le sens où, je pensais que mon histoire était terminée, et en fait j’ai réussi à retourner la situation en dernière minute, et voilà, Plot Twist. Donc du coup, sur la pochette j’avais grave envie d’aller dans ce sens-là. D’aller, en effet vers quelque chose qui ramène au cinéma, et des pochettes un peu à l’ancienne. Après, on n’a pas non plus cherché à tout prix à coller à certaines références précises. Ce qu’était mortel, c’est que comme Zoé est une artiste qui bosse en 3D, on pouvait vraiment créer tout ce qu’on voulait. Moi je voulais rendre hommage au cinéma, donc je savais que je voulais un écran au milieu d’une ville. Et puis ça représentait plein de choses aussi, c’est interprétable de plein de manières. Je voulais que le personnage soit en recul, sur lui-même, sur les autres. Et bref on a pu faire tout ça grâce au travail fantastique de Walliddel, donc gros shout out à elle.
Toute dernière question, le site s’appelle VraisSavent en référence au titre Les vrais savent de Lunatic. D’après toi c’est quoi LA chose essentielle que les vrais devraient savoir ?
Les vrais devraient savoir qu’ils ne savent rien !