Interview Vrais Savent : Kamini

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Vendredi 4 décembre sortait 3ème acte, nouvel album de Kamini, 11 ans après le second. Le rappeur de Marly-Gomont, connu essentiellement pour un tube, a décidé de refaire de la musique avec des ingrédients similaires, mais épicés différemment. Celui qui se définit comme "troll conscient" nous a raconté son parcours, sa longue pause, et les référence présentes sur ce dernier album.

Kamini 3ème acte Marly-Gomont
©Kamini – 3ème acte

« Pour revenir un peu sur ta carrière, milieu des années 2000, tu sors le single Marly-Gomont qui casse internet, s’ensuit un premier album, Psychostar World, qui fait un carton. Deux ans plus tard, tu sors Extraterrien, dans ta veine, mais plus travaillé.
Suite à ça, une énorme pause dans ta carrière musicale, tu fais du stand-up et tu sors même un film…

Tout à fait, de la télé, du stand-up, un film, et encore de la télé parce que j’ai une émission sur France 3, depuis quatre ans, qui s’appelle “Les Gens Des Hauts”. J’ai touché à tout. En fait ce qu’il s’est passé, c’est que pour mon deuxième album, la maison de disque n’a pas vraiment fait son travail, m’a “boycotté” de l’intérieur. Y a eu un changement de PDG, celui qui m’a signé en 2006 s’est fait remplacer par un gars qui ne me connaissait pas et je faisais pas parti de son projet. Donc la ligne de conduite c’était “Kamini s’il rentre en radio vous le travaillez, sinon ce sera “album tiroir””, c’est-à-dire que l’album sort en magasin mais il y a très peu de promo. C’est ça qu’il s’est passé et malheureusement mon père décède une semaine après la sortie de l’album. Je transforme alors l’écriture d’une série télé Marly-Gomont en film pour lui rendre hommage. À ce moment-là, je pensais avoir des portes assez ouvertes, mais finalement ça a été super long sans avoir un vrai appui de réseau. On m’a laissé galérer pendant un bout de temps alors que le projet était prêt, et donc ça fait partie des raisons pour lesquelles j’ai mis du temps à me remettre dans la musique, parce que le film était devenu ma priorité.
Donc voilà de 2009 à 2016 je suis sur la production du film, à ce moment-là je fais le projet kisskissbankbank pour financer l’album. Seulement le film marche, je dois même faire de la promo en Allemagne, j’ai l’émission Les Gens Des Hauts à m’occuper, plus le stand-up. J’arrivais pas à écrire l’album comme je le voulais, je voulais pas envoyer un album moyen.

T’as préféré mettre du temps pour de la meilleure qualité ?

C’est ça, je voulais pas décevoir le public, qu’ils se disent que j’ai pas fait semblant. Et là c’est ce qu’il se passe, les retours sont oufs.

Mais comment tu te sens à reproposer un projet après une si longue pause ?

J’me sens bien parce qu’aujourd’hui, je suis détaché, j’ai pas de pression, pas d’attente en terme de vente, c’est comme si je repartais à zéro. J’ai retrouvé un peu l’état d’esprit que j’avais à l’époque de Marly Gomont. Comparé au deuxième album où je cogitais beaucoup. Là, j’ai plus de barrières, j’ai un lâché prise total, ça se ressent dans l’écrit, dans les clips…
C’est beaucoup plus spontané, mais avec plus de capacités d’écriture, plus de vision, plus de talent, plus de savoir, plus d’envie, plus de réalisme.
Aujourd’hui, je cherche un public acteur, je me suis rendu compte que je déteste le public suiveur. Je préfère avoir moins de public, mais un public qui comprends, qu’un public qui m’a juste entendu à la radio.

Pour continuer un peu de parler des anciens albums. Je trouvais à l’époque qu’il y avait un fil conducteur dans tes projets. Le premier, c’était autour de la psychiatrie, Extraterrien au final ça parlait beaucoup de l’humain. Comment t’as conçu 3ème Acte ? Qui est plus sobre en terme de pochette et de proposition.

Le fil conducteur du troisième album, c’est la psychologie humaine. J’ai fini par voir que je faisais ça depuis le début sans m’en rendre compte. J’écris sur la façon dont l’humain se comporte. J’écris pas que là-dessus mais c’est souvent mon axe. Ça fait même parfois des liens avec l’actualité. Dans les commentaires du clip Eul’Vraie France tu peux voir des commentaires de gens qui disent “Kamini il a anticipé les gilets jaunes”. Mais c’est normal, je raconte juste ce qu’il se passe à la campagne depuis des années, et après le ras-le-bol des gilets jaunes est arrivé. J’ai pas écrit les gilets jaunes, simplement sur quoi ils râlaient, ce dont ils avaient besoin, donc forcément ça finit par se relier à l’actualité. Quand j’écris J’suis Blanc en 2006, qui parle de discriminations, je parle de la psychologie humaine, quand tu regardes l’actualité d’aujourd’hui, on est dedans. Pareil pour Parce qu’on est cons, c’est encore valable aujourd’hui. Là, sur cet album, je voulais rester sobre parce que la psychologie humaine, elle bougera pas. Et pourquoi sobre.. j’ai quarante ans. Je veux faire le con, rester un rap “troll”, parce que c’est ce que je suis, j’ai une carrière atypique, mais je suis un troll conscient.

Quelque chose que tu as gardé par contre, c’est la structure de l’album, qui commence et fini par des morceaux qui parlent de ruralité, comme sur ton premier album, et légèrement comme le second aussi. C’était un clin d’oeil?

Oui, parce que c’est normal, dans le rap tu revendiques là d’où tu viens. Le rap, c’est Rythm & Politics, donc c’est forcément ancré dans mon artistique de parler de ruralité. Après, je ne peux évidemment pas faire que ça, mais venir d’ici ça implique qu’il y a pleins de sujets sur lesquels tu ne peux pas être crédible. À part si vraiment, tu les as vécus. En tout cas, ça te pousse à écrire autre chose, c’est pour ça que je peux pas écrire les mêmes textes que les gars de quartier. Soit je fais le choix de m’inventer une vie, mais c’est pas mon délire, soit je raconte ce que je suis, ce que je vois, ce que j’observe. Dans mon parcours de vie, j’ai été infirmier, j’ai bossé en psychiatrie, quand j’étais petit j’ai toujours été fasciné par l’histoire, par les planètes, le cosmos, les mangas, par la pensée humaine, c’est ce que je mets dans mes textes.

Au final c’est ce qui a fait ta singularité.

C’est ça, plus le temps va passer, plus les gens vont s’en rendre compte. Là ma plume s’est affûtée, je vais passer en mode JuL, à produire beaucoup de sons. Maintenant que j’ai mon axe définitif d’écriture et que j’ai un lâché prise total.

C’est peut être lié à ce lâché prise, mais d’après moi c’est la première fois où tu te dévoiles autant au micro, notamment avec le morceau Là-haut sur ton père…

Avant, je pensais que je ne pouvais pas, c’était un peu une erreur de parcours, un manque d’authenticité. Là, quand tu regardes Clown Triste, c’est moi, depuis petit j’ai mal au cœur. Mais c’est pas fini, il y a des prochains inédits où je me dévoilerais tout doucement.

Comment t’expliques que ça te soit venu maintenant ?

Il a fallu que je digère plusieurs choses. La célébrité brutale, qui était quand même terrible, parce que les valeurs de mon père, c’était “Je suis médecin, mais je roule en 205, je vais pas soigner les patients avec une Mercedes, quelle image je renvoie?”. J’ai été éduqué comme ça, par un homme humble, donc j’étais gêné d’être célèbre et d’avoir des thunes. Je me rendais bien compte que j’avais une chance inouïe que les autres n’avaient pas. Passer au Grand Journal au bout de 15 jours, je trouvais pas ça normal. Tu rajoutes un mauvais manager qui malheureusement était pas prêt pour ça et un mauvais entourage.

Je t’ai toujours vu comme un vrai passionné de rap. On voit sur cet album que tu as réussi à faire évoluer ta musique sans faire ça de manière putassière, juste comme une « mise à jour« . Qu’est ce qui t’as inspiré ces dernières années pour t’amener à ces évolutions ? 

Alors j’en écoute beaucoup, mais je connais pas forcément les noms. Y a des tas de types super forts, Pop Smoke, Offset, y a trop de trucs, mais je retiens plus les noms je suis trop vieux. Ces dernières années, j’ai écouté beaucoup de trap, et beaucoup de musique classique, je fais beaucoup de chant lyrique. Ça ne s’entend pas forcément, mais des fois je lâche des notes de musique classique dans des grosses basses de trap, ça donne des prods comme Kéké & Jacky. Sinon je reste sur les fondamentaux, Eminem, Dre, Snoop, Busta Rhymes
Et en France, un peu comme tout le monde, Soolking, Niska, Bigflo & Oli, Demi-Portion j’aime beaucoup, Fianso terrible, Ninho terrible, SCH il fait des tueries. Après, chacun son style, tout le monde est fort, il faut développer sa singularité, être soit même, mais je souhaite la réussite à tout le monde. 

Pour revenir au principe du site, on va parler de références. Là où la plupart des rappeurs font des références par ci par là dans leurs textes, toi, il y a un manga, que tu cites dans tous tes projets, à qui tu t’identifies, qui était même le fil rouge de ton premier album. Ça a quel importance dans ta vie Saint Seiya?

C’est un manga vraiment très important pour moi. En fait, quand j’étais petit, à l’école primaire, avec les autres on jouait aux Chevaliers du Zodiaque. À 8 ou 9 ans y avait un nouveau qui voulait pas que je joue. Il m’avait dit : “t’es noir, y a pas de noir dans les Chevaliers du Zodiaque” et je lui ai répondu : “C’est pas la couleur de peau qui fait le chevalier, Seiya il est japonais, comme il était pas grecque ils voulaient pas lui donner son armure mais il était plus fort que tous les grecques alors il a eu son armure”. Ce manga-là c’est vraiment une référence parce que les messages étaient très forts : ne jamais abandonner, tant qu’il y a une lueur d’espoir il faut se battre, rien n’est perdu, il faut croire en toi, avoir la foi, développer son cosmos, se surpasser. On a eu la chance de faire partie de cette génération où les messages étaient limpides. Ces messages-là, ils suivent ma vie.

C’est pour ça que tu en fais encore référence maintenant?

Carrément, j’ai encore des combats à mener, des projets à mettre en place, et on me met encore des bâtons dans les roues, mais t’inquiètes pas avec mon cosmos je vais tout déchirer. 

Tu t’identifies à Seiya le personnage principal, pourquoi lui plus qu’un autre? Et au final d’après toi, c’est qui le plus fort des chevaliers ?

Seiya au début, il m’énervait, je l’aimais pas quand j’étais petit, parce que c’était toujours lui qui gagnait ça me soûlait. En grandissant j’ai compris pourquoi c’était lui, comme dans la vie. *il m’explique une expérience sur des cougars où l’un d’entre eux est un leader naturel*. Il y a toujours un leader, qu’on le veuille ou non, en tout cas il y a toujours quelqu’un plus curieux que les autres. Donc Seiya, c’est pas lui le plus fort des chevaliers d’après moi, mais il le devient, parce que c’est celui qui abandonne le moins. Quand tu regardes le dessin animé avec un certain regard, tu vois que c’est celui qui va le moins lâcher prise, c’est ça sa différence. Mais sinon le plus fort ? Je miserais sur Ikki.

Au delà de ça sur l’album tu as un titre qui s’appelle Club Do, qui rend hommage au Club Dorothé, tu en gardes quel souvenir de cette émission ? 

Je le dis dans la chanson, c’est une émission fédératrice. Elle apportait de la cohésion à la jeunesse. On était un peu plus unis, elle enlevait un peu le clivage. T’arrivais le jeudi matin, tout le monde ne parlait que de ça. S’il y a bien un moment où on arrêtait avec les « noiraude, bamboula, etc” c’était là. Maintenant y a tellement de chaînes, tellement de contenus, tellement de choses, t’as beaucoup plus de communautés, alors qu’avant on suivait tous le Club Do. Après par contre dans le Club Do y avait beaucoup de choix de mangas. Dans la chanson, je cite des mangas plus récents, mais c’est grâce au Club Do qu’on les regarde. Si j’avais pas regardé les Chevaliers j’aurais peut-être pas regardé One Piece, qui est peut-être le plus grand manga de tous les temps, avec Ken le Survivant.
Pour moi, t’as quelques mangas qui font le monde, Les Chevaliers du Zodiaque, Ken le Survivant, Dragon Ball Z, One Piece… *digression sur le malheur de voir des personnages au départ importants qui deviennent faibles sans raison, puis sur l’avenir de l’humanité par le biais de Ken Le Survivant*

C’est quoi le dernier manga qui t’as marqué?

Là, c’est L’attaque Des Titans. J’avais commencé au début, j’avais pas aimé, parce que je trouvais les combats inégaux ça me soûlait, et après j’ai compris pourquoi c’était conçu comme ça.

Le morceau fait aussi une référence à 50 Cent avec le « In Da Club » c’est les mangas ou le rap qui ont eu le plus d’impact dans ta vie ?

En fait, c’est un tout. Sans les mangas et l’éducation de mon père, j’aurais peut-être pas autant de persévérance et d’acharnement, autant de foi en moi. Et c’est important d’avoir ça en tant qu’artiste et rappeur. Les Chevaliers du Zodiaque ils m’ont appris ça, ils m’ont même permis d’échapper au racisme en quelque sorte. 

Sur ton album tu as un morceau ou tu traites du « syndrome du clown triste” . Sur tes anciens projets tu avais déjà eu « La maladie des hommes » « Psychostar show » ou  « Schizophrène » par exemple. Est-ce que cette omniprésence du chant lexical de la médecine vient de ton passé en tant qu’infirmier et de la relation avec ton père? Et est ce que c’est voulu ?

C’est les deux, passé d’infirmier, relation avec mon père. La psychiatrie, ça m’a marqué, les discussions avec mon père aussi. Par exemple le texte de Frustration, je dirais pas qu’il a été en partie écrit par mon père, mais ça compte, parce que c’était après une longue conversation avec lui. Mais je pense que ça vient presque mécaniquement, c’est ancré. D’ailleurs quand je te disais que j’écris sur la psychologie humaine c’est de la science médicale.

Notre site s’appelle Vrais Savent, en hommage à un morceau de Lunatic. D’après toi c’est quoi la chose essentielle que les vrais devraient savoir?

Savoir remercier la vie chaque jour, parce qu’y a des gens qu’ont vraiment pas de chance chaque jour”

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