Interview Vrais Savent : Lucio Bukowski, part 1
InterviewsVendredi 10 septembre, Lucio Bukowski publiait un nouvel EP avec son compère et beatmaker de toujours, Oster Lapwass. Deuxième disque de l'année, avec une productivité toujours aussi importante depuis plus de 10 ans, il est revenu avec nous sur le disque, ses collaborations avec Oster Lapwass et ses autres producteurs fétiches, l'importance d'être ouvert, ses concerts, et la différence entre ses écrits rap et ses poèmes.

Tu viens de sortir ton EP OUTRENOIR. Il était annoncé depuis plusieurs mois, il a mit du temps à sortir. Il devait même sortir avant la Asadachi Tape (sortie en avril). Comment ça se fait qu’il ai mis autant de temps à sortir au final ?
En fait, le projet a été fait très vite. Lapwass m’avait envoyé plusieurs prods. Le choix avait été très rapide. L’écriture également très rapide. Même au niveau des featurings. Casus Belli, je lui ai envoyé la prod, il m’a renvoyé son couplet déjà enregistré 5 jours plus tard. Avec Gouap on a enregistré le morceau chez Lapwass. Pareil il a écrit très très vite. Après c’était plus une histoire de timing pour se capter. L’un et l’autre ayant diverses activités, c’est pas toujours simple. Donc finalement le projet était prêt très rapidement. Après, Oster a beaucoup beaucoup remanié. Pas forcément changé les prods, mais il a passé pas mal de temps sur les arrangements. Il y a énormément de travail de composition, de production, et d’arrangements. Beaucoup de petits éléments rythmiques, d’éléments de sons. Beaucoup de travail aussi sur les backs, sur des effets de voix, qui restent assez discrets mais il n’empêche qu’il y a beaucoup de boulot. En même temps Oster bossait aussi sur le projet de Nedelko. Moi-même, j’étais aussi engagé dans la Asadashi Tape vol. 1. Je finissais aussi d’enregistrer Matériel Boréal avec Nestor (Kéa). Donc finalement c’est plus la post-prod qui a prit du temps. Le travail artistique en soit ça a pris deux semaines et le reste ça a pris six mois. Mais c’est plus aussi pour des histoires d’emploi du temps.
L’Asadachi Tape on l’a fait beaucoup plus rapidement. Comme il y avait pas de feat, j’étais tout seul. J’ai écrit, on a enregistré en une seule journée les 11 titres. Tony Tandoory a fait les mix/master dans la foulée. Donc ça pour le coup ça s’est fait très très vite. C’est pour ça que je l’ai sorti en premier. Et puis voilà, après il y avait les vacances donc on s’est dit “on va pas sortir ça fin juin, début juillet, attendons septembre”. Donc effectivement ça a mis un peu de temps.
Le projet fait cinq titres, et là tu parles de l’Asadachi Tape qui en fait 11, j’ai l’impression que t’es assez à l’aise avec l’idée d’avoir des disques à longueurs variables. Même avec Oster, là c’est un cinq titre, alors que l’année dernière tu sortais un album complet, c’est au feeling ou c’est prévu à l’avance, avec un concept derrière ?
Ça fait 12 piges qu’on fonctionne comme ça. Non c’est pas toujours pensé. Certains sont pensés. L’Asadashi Tape on part pas au hasard, avec Tcheep on sait qu’on veut faire une série de 10 mixtapes. Ça prendra le temps que ça prendra. La 2e est déjà composée et écrite. Ensuite on passera à la 3. Quand chacun est dispo de son côté on en fait une. Et l’idée c’était de faire 9, 10, 11 titres à chaque fois. Avec cette idée de morceaux qui se font plus vite, parce qu’ils sont plus libres. Si un morceau doit faire 1min45 on le fait. On se prend pas la tête. C’est tout l’intérêt du format tape. Tcheep fait ce qu’il veut des prods. Y a un côté très relax par rapport à ça. Si on fait un clip on fait un truc vraiment à l’arrache. C’est très brut, fait dans une certaine urgence. Par contre le format c’est un format long.
Avec Oster on a toujours aimé faire les deux. À la fois des EPs et à la fois des albums. Pour les albums ça prend plus de temps parce qu’il y a plus de matière et un travail encore plus important sur les arrangements que Yann (Oster) pousse encore à l’excès. Pour les albums, très souvent, les morceaux que les gens écoutent, moi j’ai pas du tout enregistré sur cette compo. Yann fait tellement de travail de recomposition et d’arrangements que le morceau est complètement différent. Quitte à enlever parfois tous les éléments du squelette d’origine pour atterrir sur un tout autre morceau.
Donc la première prod t’inspire, ensuite lui derrière il la retravaille complètement en fonction de comment tu as enregistré.
Oui, ça c’est le travail avec Oster. Avec Nestor on travaille différemment. Au départ il fait des prods déjà très élaborées, j’enregistre dessus et il ne rajoute que quelques arrangements à la toute fin. Avec Mani Deïz c’est pareil, la prod est déjà quasiment complète. Avec Kyo Itachi c’était pareil, Lionel Soulchildren c’est pareil. Le morceau est déjà le même, ils rajoutent juste quelques arrangements. C’est vraiment du vernis. Avec Yann c’est toujours beaucoup plus long parce que lui il remanie beaucoup. Après, ça, c’est des méthodes de travail. Comme les rappeurs qui enregistrent 30 morceaux pour n’en garder que 10. Moi je détruis pas de morceaux, je jette jamais de morceaux. Qu’ils soient parfaits ou imparfaits c’est pas grave. On laisse ça parce que c’est le truc d’un moment précis.
Cet EP c’est encore une collaboration avec Oster Lapwass justement. Vous vous connaissez depuis plus de 10 ans maintenant, et vous faites du son depuis tout ce temps. Quasiment chaque année vous sortez un projet ensemble. En plus de votre productivité, tu dirais qu’elle est due à quoi cette longévité entre vous ?
Quand tu bosses avec Lapwass et que tu as un rappeur, c’est top, à part si tu fais déjà de la compo ça peut être plus compliqué. Parce que la compo c’est à lui. T’as pas à lui dire “ah tiens je veux que tu changes ce kick, ou “tiens ce sample je pense que tu peux le traiter différemment”. Il faut travailler en entière confiance. Chacun sa carte blanche en fait. Lui à aucun moment il me dit “ouais tel mot il passe moyen tu peux mettre un autre mot”. Avec Yann on a toujours travaillé comme ça. Chacun son rôle. Chacun fait confiance à l’autre et du coup ça roule. Il y a jamais eu de conflits. Parce que chacun fait ce qu’il a à faire. Si moi j’aimais pas ce qu’il faisait, et si lui aimait pas ce que je faisais on aurait arrêté de travailler ensemble. Si on continue c’est qu’on continue d’apprécier nos travaux respectifs. Et c’est vrai qu’il y a toujours une alchimie particulière avec Yann. Musicalement ça fonctionne toujours. Et moi j’aime bien parce qu’il a à la fois une patte et à la fois pas de patte. Tu reconnais une instru d’Oster Lapwass, qu’elle soit boom-bap ou trap. Il travaille sur tous les styles différents mais à chaque fois il y a quelque chose qui te dis “putain c’est Lapwass”. Il a vraiment réussi. Ils sont pas nombreux comme ça, et je dis pas ça parce que c’est la famille, mais il y a des beatmakers qui ont un gimmick, qu’ ils utilisent, qui en sortent pas et c’est un peu répétitif. Yann il s’est toujours extrait de tout ça. Il pourrait produire autant pour Oxmo, pour Freeze Corleone ou pour un mec qui fait de la chanson française en fait. Il a vraiment une ouverture qui est fort appréciable et moi je me retrouve complètement là-dedans. Ce côté expérimental… qui est ouvert tout le temps.
Qu’est-ce que tu trouves chez Lapwass que tu trouves pas forcément chez les autres ?
J’peux trouver des choses chez Nestor que je trouverais pas chez Lapwass. Je dirais que lui il a vraiment une science de l’arrangement. Quand tu es au mix, parfois il y a genre 80 lignes. Il va pas hésiter à passer une journée sur un son de percussion que tu vas entendre que 2 fois dans tout le morceau. Et peut-être que tu l’entendras que dans l’oreille gauche, très éloigné et filtré. C’est extrêmement méticuleux. C’est peut-être le plus méticuleux de tous les beatmakers avec qui je bosse.
Et donc comme je disais, ça fait plus de 10 ans que vous bossez ensemble. Comment ça a évolué depuis L’ébauche d’un autoportrait raté ? Est-ce qu’il y a des choses qui ont changé dans votre façon de travailler ?
Non, on bosse toujours pareil. C’est notre vision de la musique qui évolue. À la fois séparément et ensemble. Par contre le “modus operandi” comme on dit, c’est toujours le même. En général il m’envoie les prods, j’écris, j’enregistre, il retouche derrière. Ça va toujours très très vite. Il sait comment j’enregistre, du coup un titre entier, ça nous prend moins d’une heure. Ça va très très vite en général. Il y a même des morceaux qu’on a mis en boîte en deux prises. Certains morceaux qui ont vraiment bien marché, ça nous a pris à peine 10, 15 minutes pour les faire.
La seule différence donc, c’est peut-être qu’à force vous vous connaissez tellement vous pouvez travailler plus rapidement qu’avant.
Bien sûr. Et surtout on a plus envie de répéter les choses. Je vois un peu dans les derniers projets, j’essaye de faire des choses un peu différentes. Je vois bien que beaucoup d’amateurs de la première heure, de Feu Grégeois par exemple, ils ne comprennent pas ça. Ils auraient aimé que je fasse Feu Grégeois pendant 15 ans. Mais ça m’aurait complètement écœuré si je devais répéter toujours les mêmes morceaux. Donc voilà ça on s’impose de toujours évoluer. De se faire plaisir mais en se répétant pas éternellement
C’est ce que j’allais te demander. C’est avec Oster que tu as la plus grosse longévité, et le plus de morceaux, et c’est particulièrement ensemble qu’on voit comment vous vous renouvelez. Comment vous faites justement pour essayer de toujours évoluer, vous challenger, proposer autre chose ?
La réponse est très simple. Je l’ai compris y a pas si longtemps que ça. Mais c’est le fait de bosser avec d’autres gens. C’est-à-dire qu’avec Yann on fait un projet. Ensuite lui il va produire pour Nedelko, pour Edggar, pour Anton (Serra). Donc pendant 6 mois on va quasiment rien faire ensemble. Moi pendant ce temps-là je vais faire deux projets, un avec Mani, avec Soulchildren ou avec Nestor. Et du coup quand on se rejoint on a eu tous les deux des expériences différentes, ce qui fait qu’on a de nouveaux atouts, de nouvelles façons de faire, ou de nouvelles idées. En revenant chacun avec de nouveaux bagages ça recrée encore quelque chose, on saute une sorte de palier. Donc ça c’est vraiment intéressant. Et je pense que c’est ce qui tue beaucoup de groupes qui ne font que bosser ensemble et qui ne font rien avec les autres. Quand tu ne bosses qu’avec le même beatmaker ou le même rappeur, tu finis forcément par tourner en rond. C’est quasiment impossible d’évoluer sans avoir d’expériences extérieures à ton noyau d’origine.
Ou sans faire de pause, au minimum.
Après c’est un tout. C’est écrire, bosser avec d’autres gens, mais c’est aussi ce que t’écoutes. C’est important d’écouter plein de choses tout le temps, de s’ouvrir. Revenir sur des choses que tu pensais ne pas être ta came. Moi ça m’a fait ça plein de fois avec plein de groupes. Ces derniers temps j’écoute beaucoup Future par exemple. Il y a quelques années quand j’ai écouté j’avais du mal à rentrer dedans. Là, ces derniers temps c’est peut-être un des rappeurs que j’écoute le plus tu vois. Avec cette culture de la basse, de la mélodie, ça me rend fou. Faut toujours revenir. Même quand t’as un truc qui te plait pas faut essayer de revenir dessus parce que des fois t’as des cases qui s’ouvrent. La curiosité quoi.
Tu parlais de travailler avec les autres. J’ai l’impression que tu dois aussi ton évolution grâce aux gens de ton entourage, notamment Bavoog Avers, et en particulier Eddy. Est ce qu’eux aussi t’ont permis d’opérer ce changement ?
C’est une bonne question. Moi Eddy je suis un fan de la première heure. C’est peut-être l’exception qui confirme la règle. Il a réussi à évoluer, il a fait des expérimentations et tout mais quasi tout seul. Après il écoute plein de choses. Mais sans bosser avec 10000 personnes il a réussi à faire évoluer son truc de manière complètement atypique et singulière c’est assez fou. Après par exemple l’EP Belugas avec Eddy il m’a poussé vers un flow un peu chanté, que je faisais pas vraiment, et que je commence un peu à reproduire. Kalan c’est pareil. Ce flow, j’ai pas mal décortiqué et tout, et je pense que ça m’a apporté des pistes. Mais effectivement Kalan et Eddy ouais.
Après il y en a plusieurs. Quand j’étais plus jeune j’écoutais énormément Grems. Mais sans me dire que j’allais faire des trucs un peu foufous comme ça. J’étais un peu bloqué dans une certaine structure. Typiquement l’album Sans Signature c’est exactement ça. Les flows sont quasiment les mêmes. Je renie rien du tout. Cet album est vraiment cool, c’est le premier album en plus, il a une couleur particulière. Après c’est vrai que je m’éclatais pas encore. J’avais de la peine à me libérer d’un certain truc de rap français que tu écoutes depuis que tu as 12 ans. Ce flow vraiment années 90. Même moi ça met du temps, les choses bougent lentement. Y a encore des détracteurs qui disent “c’est toujours la même chose”. En fait non quand tu écoutes les albums au fur et à mesure ça bouge. C’est juste que moi je fais pas de virage brutal. J’ai besoin de me désapproprier lentement. Cette évolution s’est faite sur 10 ans, j’suis pas Kanye West. Mais oui les influences extérieures, elles comptent beaucoup. Que ce soit au sein de L’Animalerie ou des gens comme Grems ou La Caution, qui sont des groupes que j’écoutais. J’aimais leur côté expérimental mais moi j’arrivais pas à faire des choses comme ça. Ces derniers temps je me libère un peu plus.
C’est ça, ça fait deux, trois, quatre ans, que tu tentes plus de choses dans tes flows, dans ta manière d’interpréter. Après forcément il y a un certain public que ça doit déranger.
Après y a de tout. Tu as les gens qui étaient là dès le début et qui sont aussi curieux parce qu’ils ont évolué et eux aussi écoutent Young Thug et Migos. Eux ils sont toujours là, parce qu’ils se disent “c’est cool, le mec il reproduit pas éternellement le même truc, il s’est pas enfermé”. Il y a ceux qui sont complètement fermés à ça. Les amateurs de boom-bap. Qui arriveront j’pense jamais à passer ce cap. Y en a qui se sont vraiment enfermés là-dedans. Comme les rockeurs qui arrivaient pas à comprendre la scène punk et qui disaient “le rock c’est les Beatles et les Stones”. Pour le jazz c’est pareil. Les mecs qui ont découvert le jazz très tôt, avec la Nouvelle Orléans ou la période d’après de Chicago ou New York. Quand est apparu le free jazz par exemple, ils disaient “mais c’est quoi ce truc ? C’est inaudible, c’est dissonant”. Du coup ils se sont empêchés d’apprécier plein de choses. Ou ils considéraient que Miles Davis, c’était nul à chier, c’était de la musique de blanc. Mais je pense que c’est la malédiction de chaque courant musical. Quand Bach est arrivé les gens disaient “mais qu’est ce qu’il fait avec la musique baroque lui ? c’est n’importe quoi”. Et c’est dommage.
Heureusement il y a des gens qui arrivent à suivre, à capter le mouvement, à le prendre, et du coup ça fait évoluer les choses. Après il y a des gens quel que soit l’endroit où ils sont bloqués ils vont avoir du mal à apprécier le reste.
J’ai l’impression par contre que c’est vraiment cette génération-là. Ils sont très critiques vis-à-vis des nouveaux qui arrivent. Mais moi je constate que les petits de 20 piges, ils sont plus curieux en fait. Ils ont pas de limites, ils peuvent rapper sur n’importe quoi. Si je dois prendre quelqu’un comme ASAP Rocky, c’est pas un nouveau, mais il peut rapper sur des trucs complètement expérimentaux chelous, et en même temps tu lui mets un boom-bap, il saura rapper dessus. Alors que les anciens… On a l’exemple là de quelques anciens de 98 qui essaient de revenir et rapper sur des prods de trap, les mecs sont complètement largués. Alors que j’ai l’impression que les petits ils assimilent beaucoup plus facilement, toute sorte d’influence, toute sorte de culture, ils sont forts, d’entrée. C’est très naturel pour eux. Et force est de constater qu’ils ont une plus grande ouverture. Malgré ce que les quarantenaires veulent faire croire. Ceux qui disent “qu’est ce que c’est que c’est que ça l’auto tune ? C’est nul”. Alors qu’ils ont jamais vraiment essayé d’écouter. Ils ont jamais écouté ce que Young Thug fait avec de l’autotune.
Quand tu refuses quelque chose, à priori tu n’en apprécieras pas les effets. Hier je réécoutais le premier Culture de Migos. Putain mais ouais, en fait quand tu y vas avec l’esprit ouvert, franchement c’est de la folie. Parce que contrairement à ce qu’ils disent : “c’est facile, avec ses beats, ses grosses basses”, il y a un travail de production de malade. Bien plus poussé que sur le premier album de NTM ou IAM. C’est une évidence en fait. L’époque où on samplait une boucle de classique ou de soul, répétée à l’infini pendant 3 minutes. Franchement aujourd’hui tu peux pas dire qu’il y a pas de travail de composition. Il y a un travail très complexe et il faut le reconnaître.
Pour reprendre, du coup ce projet il est produit par Oster Lapwass, et la quasi-totalité de tes projets sont fait avec un beatmaker en particulier à chaque fois, et ça depuis tes débuts finalement. Quand est-ce que t’as eu le déclic de te dire “je vais faire des projets avec un seul beatmaker à chaque fois”, et d’après toi qu’est-ce que ça permet et qu’est-ce que ça apporte artistiquement ?
À mon avis ça s’est fait moitié hasard et moitié pas vraiment hasard. Je pense que l’influence est quand même venue de MF Doom. Qui faisait un projet avec Danger Mouse, puis un projet avec Madlib. Après, beaucoup de projets sont produits par lui-même, ou J Dilla qui faisait quelques beats. Ça ça m’a pas mal plus. Et le fait de le pratiquer, effectivement ça donne quand même une homogénéité à un projet. Et pour l’un comme pour l’autre. C’est pas que pour le rappeur. De dire à un beatmaker “c’est toi qui fait le projet de A à Z”, que ce soit pour un EP ou un album. Tu le mets dans de meilleures conditions en fait. D’un coup il peut s’exprimer. Le danger de dire “tu peux me faire un beat sur tel album”, qu’est ce qu’il propose ? Quelque chose d’expérimental ? Est-ce qu’il peut se lâcher ? Il va se dire en même temps “ah bah non c’est mon seul morceau donc je vais faire un truc que je sais bien faire”. Ça brouille les cartes. Alors que si tu lui dis “tu me fais dix beats, tu fais ce que tu veux”. Il peut à la fois se pousser dans ses retranchements, faire des trucs un peu maison, tenter des excursions dans un truc musical qu’il a peut-être même jamais tenté. Et c’est vachement plus, non seulement valorisant, mais aussi épanouissant d’un point de vue artistique de pousser, sur un projet entier, une collaboration.
Et c’est pareil j’ai fait un projet avec Eddy un projet avec Anton, et ça c’est un truc que j’aimerais bien réitérer. Je trouve ça vraiment intéressant. Parce que, au même titre que quand t’expérimentes avec d’autres beatmakers ça apporte quelque chose. J’pense que de bosser sur un projet entier avec un autre rappeur c’est pareil. Ça t’oblige à aborder d’autres thématiques. Aller sur des BPM dont t’as pas l’habitude parce que lui il aime bien ce type de vitesse. Donc je trouve ça vraiment intéressant. C’est un truc que j’aimerais vraiment plus faire. Mais ça va se faire. Je pense qu’avec Eddy on va se refaire quelque chose. Avec Nedelko on aimerait bien faire un EP aussi, produit par Lapwass, dans pas très très longtemps.
Alors justement, tu as fait des projets avec Anton Sera et Eddy, est-ce que tu te vois en faire avec d’autres ? Et surtout, là tu cites Nedelko, est-ce que tu te vois en faire avec d’autres personnes que ceux de L’animalerie ?
Ouais par exemple Gouap typiquement. On a émis l’idée et puis lui il est très pris par la sortie de la tape de Lyonzon, par son projet solo aussi qu’il est en train de finir. Et comme il produit pour plein de gens, c’est assez complexe. Moi en cours j’avais OUTRENOIR, la Asadachi Tape 2, Matériel boréal, Aucun potentiel commercial 3, le deuxième album avec Lionel Soulchildren qui est bien avancé et le deuxième album avec Mani. Donc ça laisse aussi peu de créneaux. Et l’EP qu’on va sûrement bosser avec Nedelko.
Mais je pense que ça se fera. Quand on aura du temps, de la dispo chacun. Après je pense que Gouap il fonctionne aussi un peu comme ça, à l’opportunité. Potentiellement un jour on va se dire “tiens tu fais quoi mercredi” et puis on va faire un trois ou quatre morceaux dans l’aprem. On verra, mais pourquoi pas en tout cas.
C’est bien que tu parles de Gouap. Votre première collaboration date de l’année dernière, à travers deux morceaux. Là tu l’as invité sur l’album. Lui il fait partie de la nouvelle génération d’artistes de Lyon, qui représentent un peu la suite de ce que vous avez pu faire avec L’animalerie. Sur le disque tu as aussi invité Casus Belli qui fait plutôt partie de la génération d’avant. Quel message tu voulais faire passer en réunissant ces deux générations de Lyonnais ?
Je m’en suis rendu compte après. Y avait pas de volonté de faire un truc générationnel. Y avait la volonté de faire un truc lyonnais. Et puis j’ai pensé à Gouap parce qu’on avait fait deux titres. Palavas où on rappait ensemble, et Moon Watcher qu’il produisait uniquement. Et le deal c’était qu’on s’en fasse un autre, mais que lui vienne sur mon terrain. C’est pas lui qui produit c’est Lapwass, et c’est un morceau plus rap. Et lui il avait grave envie de ça en plus, il avait envie de rapper quoi. Et puis Casus ça fait longtemps que je voulais faire quelque chose avec lui, mais l’opportunité s’était pas forcément présentée. Lui s’était fait aussi discret à l’époque où on a fait beaucoup de choses. Et donc là quand je l’ai contacté il était chaud. Et cette prod je sais pas pourquoi je trouve qu’elle appelait sa voix et son flow. Ça me rappelait son premier album. Ses prods assez urbaines avec du grain. Il y avait pas une volonté de vouloir un nouveau et un ancien. Mais quand je l’ai fait je me suis dit “effectivement c’est un truc de fou en fait”.
Toi qui voulais bosser avec des Lyonnais, ma question va faire question un peu à la Mehdi Maïzi, mais est ce qu’il y aurait pas moyen de faire un projet à la 93 Empire ou 13 Organisé mais en mode 69 la trick ? D’autant qu’il y a de plus en plus d’artistes lyonnais qui émergent en ce moment.
Je sais pas si à Lyon ce serait possible. En tout cas un truc avec autant de rappeurs. À 3 rappeurs pourquoi pas, je pense que ça pourrait se faire. Après ne serait-ce qu’un Cypher, avec 20 rappeurs, ce serait compliqué à organiser. Je sais pas, pourquoi pas. Ce serait chouette en tout cas. Parce que Lyon, malgré sa discrétion, a toujours proposé des trucs vraiment à part. C’est ni Parisien ni Marseillais en fait. Et pas seulement dans la patte artistique mais dans l’intentionnalité aussi. Lyon c’est un état d’esprit qui s’en bat vraiment les couilles. Quand le 800 et Knaï, ils inventent ce truc de la trique. 800industrie c’est pareil, les trucs Piment Rouge à l’époque, ils s’en battaient les couilles. Ils ont créé leur propre studio et tout. Moi je suis de Saint-Priest à la base et Knaï avec son frère Barj on était à l’école maternelle ensemble en fait. On a grandi dans le même quartier. Et tu vois déjà il représentait bien cet esprit à part. On veut pas briller à Paname, on s’en fou. Ils faisaient du son pour Saint Priest, pour la banlieue est, pour Vaulx, pour Vénissieux, t’avais beaucoup de mecs de Vaulx et Vénissieux sur la compile Piment Rouge justement. C’était 69 centré, du rap Lyonnais pour les Lyonnais. Beaucoup de groupes ont émergé comme IPM par exemple. Leur album La Galerie des glaces, y avait plein de références à Lyon. Casus c’est pareil, son premier morceau qui explose c’est un morceau sur Lyon. L’artiste local pour nous c’est pas une insulte en fait. À Paname ils appellent ça le rap de province. Ça les fait moins rire parce qu’aujourd’hui les gros qui grimpent c’est quasi que des gars de province. Parce que le rap il a changé aussi et que les mecs s’assument. Un gars d’Orléans il s’assume. “Je suis d’Orlénas et je vous encule parce que je fais du bon rap”. Y a plus ce côté étiquette. Tout le monde en a plus rien à foutre. Mais à Lyon on continue quand même de bien représenter. Lyonzon tu vois. Le nom de leur groupe revendique une identité propre et ancrée dans un lieu géographique. L’Animalerie on a réussi à sortir de cette ville. Alors en termes de concert notamment. On est un peu la première génération à avoir bénéficié d’Internet. On pouvait faire une vidéo pourrie et que tu sois en Bretagne, dans le sud-ouest ou à Marseille tu pouvais entendre ce qu’on faisait. Donc on a pu sortir de ça. Mais on a fait énormément de morceaux sur Lyon, avec tout cet argot lyonnais : pelo, la trique. Lyonzon je trouve que c’est ceux qui ont poussé le plus loin le truc. Ils ont réussi là où on a échoué. En plus avec L’Animalerie on a une organisation similaire. Gouap qui a fédéré des gens autour de lui à l’origine. Nous c’était Lapwass. Des petits projets sortis comme ça en mode mitraillette, on a fait pareil. Un lieu commun. Des gens qui sont réunis pour faire du rap qu’étaient pas forcément amis avant. Avec des identités très marquées. Je veux pas critiquer L’Entourage mais bon les mecs à Paname rappaient beaucoup de la même façon. Tu sens qu’ils s’auto influençaient. Tain chez nous entre un Eddy, un Ethor Skull, un Missak, un Kacem et un Anton. T’avais 6 univers différents quoi.
Et dans Lyonzon t’as ça aussi. Gouap il pose un mot tu l’identifies vocalement immédiatement. Pareil pour Noma, pour Bushi, pour KPRI, j’aime bien ce côté-là. Et après c’est vrai qu’ils sont arrivés fort, avec un esprit beaucoup plus entrepreneurial. Nous on avait peut-être un côté trop relax. On envoyait chier des gens ou on leur répondait pas, des labels, des radios, on était un peu trop nonchalant je pense. Mais après c’est parce qu’on est un peu comme ça aussi. Moi aujourd’hui encore j’ai pas envie de faire ça de ma vie, d’être intermittent. J’ai pas envie de tourner, j’aime bien être chez moi. J’aime bien écrire dans les bars du quartier, voilà. J’ai ce côté casanier. Et puis on est plusieurs comme ça, même Anton… On n’a jamais eu pour prétention d’exploser.
Et ça se ressent même dans tes textes.
Oui c’était plus ou moins annoncé. On a pas pris les gens en traitre.
Si tu perces c’est malgré toi. C’est pas toi qui aura payé de la visibilité sur Facebook.
Oui, ce qui nous pose beaucoup de problèmes ces derniers temps d’ailleurs. Le fait de pas payer, t’échappe un peu aux algorithmes. On se fait bouder. Là, je le vois pour la sortie d’OUTRENOIR. Quand tu sors un truc sur Facebook, alors que tu es suivi par 40000 personnes, et que tu vois “150 personnes atteintes”, on est quand même légèrement filtré. C’est difficile de défendre son travail sans payer. Ou sans une structure qui paye pour toi. Mais c’est comme ça c’est le jeu.
Je pense qu’il y a toujours des gens qui suivent malgré tout.
Mais oui ça on le voit sur les concerts. C’est peut-être un truc qui peut mettre en difficulté. Y a des jeunes qui arrivent qui sortent un premier morceau, ils font 100 000 vues dans la semaine. Mais quand ils font des concerts, ils jouent devant des salles à moitié remplies. Alors que nous on fait 10 000 vues. Par contre si on va à Toulouse on fait guichet fermé quoi. Mais c’est des écoles différentes. Et le stream a changé beaucoup de choses aussi.
D’ailleurs je me souviens d’un concert il y a quelques années, annoncé L’Animalerie, où, au final il n’y avait que Anton et Oster.
Alors ça, y a une période où les orgas, à partir du moment où ils avaient un de nous et Oster Lapwass, ils annonçaient L’Animalerie. Et ça nous a posé beaucoup de soucis. On s‘est embrouillé avec pas mal d’orgas et de prods. On leur disait “mais qu’est-ce que vous faites”? Parce que les gens s’attendent à voir 8 personnes sur scène et en fait on arrive on est deux. Et moi ça m’est arrivé aussi. J’me souviens d’un concert à Toulouse ou Bordeaux. Annoncé comme concert de L’Animalerie. Quand on est arrivé les gens criaient “Anton, Anton” et tu as l’air d’un con en fait. Quand il font venir les cainris aussi il y a pas mal de festochs comme ça. Je sais pas, ils font venir Inspectah Deck et un beatmaker et ils disent Wu-Tang. Ça c’est des truanderies de programmateurs et j’en suis fort désolé. On est les premiers derrière à se faire tailler. Nous on a jamais menti, si on bouge à deux, on dit qu’on bouge à deux. En plus c’est le meilleur moyen pour que ta salle soit vide la fois suivante. Faut être un débile mental pour faire ça. T’arnaques les gens une fois, ils rachètent pas de billets pour toi. Donc on fait très attention à ça maintenant. C’est fini les annonces de L’Animalerie sauf si c’est L’Animalerie. Et même si on est 3, c’est Oster Lapwass, Anton Serra et Lucio Bukowski et pas L’Animalerie.
On parlait des réseaux sociaux, et mine de rien ta productivité te permet d’avoir de l’actualité et donc d’avoir de la visibilité sur les réseaux. Et en même temps ça peut être compliqué pour le public. Rien que là dans le disque tu dis : « Tellement d’projets que j’connais plus leurs titres« , sur Silure, et « j’suis de retour tous les trois mois, mon pote« , sur Neige Carbonique. T’as pas peur des fois que le public ai du mal à suivre ?
Non ça me gêne pas. Même qu’il y ai des projets qui passent un peu à travers. Ça me dérange pas, y a peut-être des gens qui vont me découvrir dans trois-quatre mois avec Matériel Boréal. Ils vont tomber sur un morceau, ils vont se demander “c’est qui ce gars” et là ils vont voir la liste et ils iront écouter des projets. Moi j’ai plus ce rapport-là. On n’est pas obligé de connaître un artiste en temps réel. On peut le découvrir sur le tard et puis aller à rebours sur ce qu’il a fait. Et comme moi je conçois tout ce que je fais comme un tout. Pas que la musique d’ailleurs, la poésie, les différents éléments artistiques. Qui à la fin forment une sorte de globalité avec même ses contradictions. Parce qu’aujourd’hui je peux dire des choses dans certains morceaux, qui vont à l’encontre de ce que je disais il y a 10 ans. Chose que je trouve très saine, et que certains peuvent me reprocher. Mais j’ai évolué en fait. Tu travailles, tu fais des rencontres, et j’ai eu un enfant. C’est la vie en fait. Je trouve ça sain un artiste quand il évolue et qu’il peut même rentrer en contradiction avec lui-même. Moi je me méfie plutôt du mec qui dit la même chose depuis 20 ans. Va falloir peut-être s’ouvrir à autre chose en fait.
C’est Médine qui disait « on gâchera 30 ans de nos vies, si on voit le monde à cinquante ans comme on le voyait à vingt« .
Bien sûr. C’est très problématique. Ça me fait toujours penser aux mecs de 40 piges qui se sont mariés avec la fille qu’ils ont rencontrée au lycée. Un jour ou l’autre ça pose problème. Ça peut s’exprimer d’une manière ou d’une autre, mais ça pose forcément problème. Quand t’as pas eu assez d’expérience, t’as pas évolué, tu t‘es pas forcément remis en question que tu as pas été à l’encontre de certains principes pour voir ce que ça donnait et voir s’il y a pas autre chose derrière. Oui c’est problématique. Et artistiquement c’est très problématique. C’est comme un peintre qui en 30 ans aura peint 600 fois la même toile. Déjà où est l’intérêt pour les gens qui ont regardé les toiles ? Et surtout, où aura été son intérêt à lui. Ça veut dire que l’art t’as pas permis d’aller voir un peu derrière la tapisserie.
C’est presque plus un artisan qu’un artiste.
Ouais, qui refait un meuble… Et encore. Même quand on est artisan on peut travailler son meuble de plein de façons différentes.
Mais du coup, même si le public arrive pas à suivre tout c’est pas très grave. Mais moi je sais en tant que public, que quand j’arrive devant un artiste et qu’il a trop de projets, j’ai tendance à ne pas du tout savoir où aller. J’imagine que c’est pas que tu t’en fous du public, mais qu’en principe tu fais tes trucs et tu vois comment les gens font derrière.
Après je pense que la plupart des gens. En tout cas moi quand je découvre un mec, j’essaie pas forcément de me le faire dans l’ordre. En général je commence par son dernier projet. Parce que je pense qu’inconsciemment j’aimerais bien que les gens qui me découvrent la semaine prochaine, ils commencent par le dernier projet. Parce que c’est toujours le plus proche de ton état. C’est celui où tu as évolué, où tu as pu mettre à profit tes expériences, ton travail. C’est souvent le plus valorisant ou le plus proche de ton état d’esprit. Et c’est vrai que quelqu’un qui te découvre avec un projet qui a 10 ans… En terme de forme, Sans Signature, les flows sont peut-être moins intéressants que ceux de Bélugas. Mais après au fond, peu importe, parce qu’encore une fois, c’est une des briques qui permet au mur de se faire. Je préfère qu’on me découvre sur des projets plus tardifs. Après le fait que les gens découvrent ton travail… On a beau avoir sorti 10 000 trucs, avoir fait des concerts partout. Moi des gens, qui viennent écouter ne serait ce qu’une chanson de moi ça continue à m’émerveiller. À 14 piges quand j’écrivais dans ma chambre je me disais “ça intéressera jamais personne”. Du coup quoi qu’il en soit je suis heureux. Et ça m’étonne toujours autant d’ailleurs.
T’es quelqu’un qui écrit beaucoup, ça se ressent forcément par ta productivité. Mais depuis un petit moment tu publies aussi des textes papiers, notamment des poèmes. Comment tu fais pour choisir ce qui va atterrir sur papier et sur disque ?
Je le fais pas du tout dans le même état d’esprit. Déjà j’écris plus de textes de pera sans une base musicale. Je pouvais le faire à l’époque des freestyle chez Lapwass. J’avais un rythme en tête et je pouvais écrire 4 morceaux. D’où le flow très répétitif et très monocorde d’ailleurs. J’ai arrêté de faire ça à partir de… L’art Raffiné (de l’ecchymose), avec Nestor. Il y avait autre chose. Il me fallait déjà l’appui rythmique, l’appui mélodique, pour pouvoir écrire. Parce que les prods de Nestor sont très particulières. Et puis j’ai vraiment arrêté avec Oderunt Poetas. Où là, chaque morceau est vraiment écrit avec une volonté de flow et une volonté mélodique. Donc où il me fallait vraiment un appui musical. Les poèmes c’est autre chose. Quand j’ai envie d’écrire plutôt de la poésie, déjà ça ressemble pas du tout à des textes de rap. C’est abordé complètement différemment. Là comptent beaucoup plus les influences littéraires, dont certains poètes qui m’ont amené à écrire de telle ou telle façon selon la forme. Parce qu’en poésie j’aime écrire autant les aphorismes que les quatrains. Les quatrains ça vient beaucoup de la poésie perse, et notamment de Rûmî et de Omar Khayyam. Ou des poèmes un peu plus décousus, ça peut être inspiré par Dylan Thomas que j’ai beaucoup lu. Après il y a plein d’influences différentes on va pas faire une liste. Mais du coup il y a pas du tout la même intentionnalité. Autant dans la forme que dans les sujets traités. J’ai l’impression que dans la poésie je peux aller beaucoup plus loin dans l’intime. Parce que je peux le dissimuler. Et si je faisais ça en rap… J’ai pu le faire, mais ça donne quand même des morceaux très hermétiques, trop écrits, trop complexes. Aujourd’hui j’ai tendance à faire des choses beaucoup plus… Aller vers plus de simplicité. En continuant d’utiliser un langage qui m’est propre. Parfois un peu complexe ou avec des mots que les gens ont pas l’habitude d’entendre. Parce que ça, ça me plaît beaucoup aussi. Des fois je trouve qu’il y a des mots qui vont bien en rap et que personne utilise. Moi j’hésite pas à le faire. Et beaucoup de rappeurs, je pense, pourraient le faire mais s’empêchent de le faire parce que ça va faire prétentieux ou intello. Moi ça m’a jamais fait trop peur ça. C’est pas une insulte “intello”. Y a un morceau d’OUTRENOIR où il y a un mec qui a commenté en disant “mais personne t’écoute parce que t’utilises des mots que personne utilise et que ça fait bourgeois”. Donc déjà il part du principe que quand tu viens du milieu populaire t’es un crétin qui peut pas aller chercher la définition d’un mot dans le dictionnaire. M’enfin ça c’est un autre débat.
Mais oui, le rap et la poésie c’est vraiment deux démarches différentes. Je les aborde pas du tout de la même façon. Jamais j’ai mis, dans un recueil de poèmes, un texte de rap que j’avais pas utilisé. Non, ça passe pas du tout. C’est Lionel Soulchildren qui me suggère depuis 3 ans de sortir un recueil de mes morceaux de rap, écrits. Mais non parce qu’en fait c’est pas fait pour ça. Et d’ailleurs il suffit d’aller sur Genius, quand tu lis, tu te rends compte que ça perd beaucoup de son charme. C’est des choses qui sont écrites pour être rythmées, avec une mélodie, c’est pas fait pour être lu.
L’intention est différente et t’apportes aussi l’intention en rappant, avec le rythme et la mélodie. Quand tu lis les textes et quand tu les entends tu les prends pas du tout de la même façon.
L’oralité et la lecture c’est deux disciplines différentes. L’une pouvant complètement modifier le sens de l’autre d’ailleurs.