Interview Vrais Savent : Pess

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Rappeur originaire de Lyon, mais domicilié à Clermont-Ferrand depuis quelques années, Pess s'est officiellement lancé en solo il y a finalement assez peu de temps. Après deux EPs en guise de carte de visite, il est actuellement sur une mixtapes en trois parties aux couleurs bien distinctes. Alors que l'Acte 2 de Caméléon est sorti mi-mars, il est revenu avec nous sur ses premières années de rap, ses influences, son écriture, sa ville et les nombreuses références présentes dans ses pochettes et dans ses lyrics.

Pess Caméléon Acte 2
PessCaméléon Acte 2

Tu es de Clermont-Ferrand, et contrairement à d’autres rappeurs de la ville, comme Ashéo ou Illustre par exemple, tu le revendiques totalement. Tu le dis dans ta bio Insta, tu clippes à même Clermont en montrant bien, par exemple, l’arrêt de tram Croix de Neyrat. C’est un truc un peu classique du rap, mais c’est important pour toi de représenter la ville ?

Ouais, c’est très très important. Comme je le dis toujours, je suis Lyonnais d’origine et Clermontois d’adoption. Je suis né et j’ai grandi à Lyon, les années qui m’ont fait je les ai faites là-bas, jusqu’à mes 21-22 ans. Après, je suis venu à Clermont pour des raisons professionnelles. Au début c’était un peu compliqué, à 20 ans t’as pas toujours les mêmes attentes d’une ville, et passer de Lyon à Clermont c’était pas forcément évident. Mais maintenant, avec le recul, c’est une ville qui m’a adopté, je regrette absolument pas d’être venu ici. Ma vie de famille, je l’ai construite ici, mon fils est né ici, donc j’ai une attache à cette ville ne serait ce que par ça. Après, comme tu dis ça fait partie de la culture hip-hop de représenter d’où l’on vient. Je dis toujours que je représente fièrement les deux villes. Parce que j’ai commencé à rapper à Lyon, j’avais mon premier groupe de rap et on a écumé la scène underground lyonnaise à cette époque-là. Et en fait quand je suis arrivé à Clermont, j’ai été très très agréablement surpris, parce qu’il y a une vraie scène rap. Je connais énormément de rappeurs par rapport à la taille de la ville. Même les événements rap organisés, je retrouvais cette ambiance que j’avais quand j’étais plus jeune à Lyon, où y avait des open mic, 30 gars dans 30m²…
En fait je trouvais ça super important, parce que j’ai l’impression que la culture ici est très enfermée dans la ville. Je sais pas si c’est lié au « no man’s land” autour de Clermont, les choses sont difficiles à faire rentrer autant qu’à sortir. Quand je suis venu, j’ai rencontré Blizzi, le producteur de Caméléon Acte. 2, c’est lui qui a créé la structure Bagadata qu’on essaye de pousser. Lui il a toujours eu cette envie de mettre en lumière la ville en dehors d’elle-même, donc je lui ai emboîté le pas, parce qu’il y a une vraie culture rap ici et qu’il faut que les gens la voient. Y a des rappeurs ultra talentueux, on parle d’Ashéo et Illustre parce qu’ils ont tiré leur épingle du jeu, mais quand on voit une équipe comme la Spec Music, ils ont fait énormément de projets dans la ville. À l’époque y avait un petit crew qui s’appelait la Guth Feli qui organisait plein d’événements, qui faisait venir des rappeurs. La Coopérative de Mai, ils sont ultra férus de hip-hop, ils font venir plein d’artistes ici. Y a les Trans’urbaines, y a eu les End of the Weak, et plusieurs rappeurs de Clermont ont fait des finales. Y a une vraie culture et je trouvais ça important de dire “les gars y a des choses qui se passent ici”.
Pour parler de Croix de Neyrat en particulier, c’est là où j’habite, et j’anime des ateliers d’écriture à la maison de quartier. Et en fait à Clermont-Ferrand j’ai toujours eu cette impression qu’il y a une scission entre les rappeurs du “centre” et ceux de quartier. Et dans les quartiers y a aussi de très bons crews de rappeurs, la ZUP, DMZ ils font des trucs qui sont très propres. Donc c’était aussi important, au-delà même de Clermont, de dire qu’y a des trucs qui se passent dans les quartiers. D’ailleurs c’était plus compliqué de mettre en place un clip là-bas plutôt qu’à Lyon, étant donné que j’ai pas le passif à Croix de Neyrat, mais c’était important pour moi. Lyon ils ont pas besoin d’être mis en lumière, surtout avec les têtes qui explosent en ce moment.

En parlant des rappeurs de Clermont, tu as l’air d’en connaître énormément, mais il y a aucun featuring dans tes projets, est ce que c’est voulu ?

C’est voulu oui et non. En fait, je suis quelqu’un de très exigeant, vis-à-vis de moi-même, et envers les autres. C’est difficile pour moi d’inviter quelqu’un parce que je sais que je vais être extrêmement exigeant envers lui. Et j’ai pas envie que ça devienne un combat pour la personne qu’est invitée sur le morceau en fait. J’ai envie que ça reste un moment de plaisir. J’ai jamais été très très featuring, j’aime bien maîtriser un morceau du début à la fin, je sais ce que je veux en faire. Quand tu fais une collab, tu lâches un petit peu de ton truc à quelqu’un d’autre, et c’est assez difficile pour moi. C’est aussi des questions de timing des fois parce que j’ai une vie de famille, je travaille, et pour se caler c’est pas forcément évident.

Et si tu devais en faire est ce que tu aurais tendance à te diriger vers des artistes de la ville ou plutôt ailleurs juste par affinité artistique ?

C’est plutôt l’affinité artistique en vrai. Ça me fait plaisir de faire des feats avec des gars d’ici. C’est marrant, tu cites Ashéo. C’est un gars, je sais qu’un jour on fera un feat, parce qu’en-dehors de la musique c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Il organise et a organisé des tas de choses pour la ville de Clermont-Ferrand, pour la mettre en lumière. Il a organisé des concerts, des open mics, un concours de freestyle sur Insta pendant le premier confinement. Moi ça me ferait ultra plaisir de taffer sur un titre avec lui. Je sais qu’un jour ça se fera.. Cette semaine, je dois aller le voir à son studio, on sait pas ce qu’il va se passer ! Mais après vraiment ce qui fait le truc c’est vraiment l’affinité artistique. Des fois y a des choses surprenantes. Je sais pas quand il va sortir mais j’ai un featuring avec un rappeur de Riom, qui s’appelle MKG. Il est beaucoup plus jeune que moi, mais y a un truc qui s’est créé avec ce gars. On est tombé justement en finale pour le concours d’Ashéo. J’ai gagné mais ça s’est joué à pas grand chose. Le gagnant avait la possibilité de faire un morceau enregistré, mixé, masterisé. Je lui ai dit “franchement c’était tellement serré, viens on fait un morceau ensemble”. Donc on l’a enregistré chez Ashéo, faut qu’on trouve le timing de sortie. Mais même si on a des univers différents, je trouve que ça aussi c’est des choses intéressantes à aller chercher. Donc plutôt l’affinité artistique et ce qu’on peut dégager sur un morceau, si le gars est de Clermont ou Lyon, si je trouve que c’est pété, c’est pété. 

Une autre particularité de tes projets actuellement, c’est de toujours être court, ça ne dépasse jamais 7 titres. Tu as sorti quatre projets, et tu as annoncé un Acte 3 pour Caméléon. Est-ce que tu te sens prêt pour un projet long ou est-ce que tu te laisses encore le temps pour ça ?

Y a deux choses, mais je vais être assez transparent. Le format court, c’est un choix stratégique. C’est-à-dire qu’aujourd’hui la façon dont la musique est consommée c’est pas la même qu’à l’époque où moi j’ai commencé le rap, où on pouvait sortir des 18 titres tranquillement et t’étais sûr que tout le monde les écouteraient. Les gens aujourd’hui, ils ont pas le temps, ou ils prennent pas le temps d’écouter la musique avec autant de profondeur qu’ils le faisaient à l’époque. Et aussi, y a tellement de contenu aujourd’hui, que si tu t’amuses à tout écouter tu fais rien d’autre de ta vie. Donc l’idée, c’était de faire des formats courts pour que les gens puissent écouter la globalité. Et faut se le dire c’est du travail, de l’investissement, que ce soit financier ou temporel, et ça fait chier de travailler pour que les gens écoutent que les singles ou les sons que t’as clippé. J’ai envie que les gens écoutent tout, donc je préfère sortir des projets courts.
Après, être prêt pour un projet long, oui je me sens prêt, parce que par exemple Caméléon c’est trois mixtapes de cinq titres, mais on l’a travaillé comme un projet global. J’aurais très bien pu le sortir avec 15 titres direct. Le choix de splitter en cinq titres c’était stratégique, et le fait qu’il y ai trois couleurs différentes ça permet d’avoir une homogénéité par projet. En termes de créativité, c’est pas le problème. Je pense qu’aujourd’hui, sauf si t’es un artiste établi, c’est pas intéressant de sortir 20 titres. Le jour où, si Dieu le veut, j’aurais une fan base adaptée, et l’inspi, on sortira un projet comme ça.

Et en même temps, en proposant des projets plus courts, tu peux en proposer plus souvent. Tu peux avoir une actualité plus importante.

C’est ça ! Et les partenaires avec lesquels on peut travailler, les distributeurs par exemple, ils sont assez clairs là-dessus. Parce qu’en vrai, quand tu sors un projet long, et que t’es chez un distributeur, il doit pitcher tes morceaux aux plateformes, etc. Si tu sors 17 titres, il pourra pas tous les pitcher. Alors que si tu fais des projets plus courts, mais que tu multiplies les sorties, le distributeur il a plus de pitchs à faire, donc plus de mise en avant, et donc des actualités plus souvent. Et aujourd’hui le modèle de sortie pour un artiste émergent, c’est ça. Il faut être présent.

D’ailleurs, là, les deux Caméléons sont produits par un beatmaker à chaque fois, et j’imagine que le prochain épisode, ce sera pareil, l’idée derrière ça, c’était quoi ? Tu voulais y mettre une couleur à chaque fois ? Et/ou l’idée, c’était de montrer, comme le titre pourrait laisser l’entendre, que tu es à l’aise sur n’importe quel type de sonorité ?

La réponse elle est dans les questions. En fait moi j’ai toujours été un passionné de rap. J’aime le rap dans toute sa largeur, et encore plus aujourd’hui, ça a jamais été aussi éclectique. J’ai toujours eu du mal à me cantonner à un style. Que ce soit de la zumba, de la trap ou du boom bap, à partir du moment où la prod me prend, et que j’ai un concept, je peux gratter dessus. C’est pas forcément un avantage, si t’écoutes les professionnels de l’industrie.. Moi on m’a toujours dit que j’étais un peu trop frivole justement, et que c’était compliqué parce qu’au début il faut se créer une fanbase, et des gens que tu vas capter sur un truc tu vas les perdre sur un autre. Mais j’ai été élevé à ça, et je pense que je peux m’en servir comme une force. Et l’autre chose c’est que j’ai été biberonné aux open-mic. Dans un open-mic, t’arrives, tu sais pas la prod qu’on va te balancer, il faut découper, montrer que t’es le meilleur et c’est tout. Donc à partir de là on s’est dit, on essaye de garder une certaine homogénéité, avec une couleur sur chaque projet. L’Acte 1 c’est très trap/banger, l’Acte 2 très boom-bap/old school, et tu vas avoir l’Acte 3 qui sera un peu plus mainstream, avec des sonorités d’aujourd’hui, avec des sons toplinés, de l’autotune
Même le projet 4 saisons y a avait déjà un peu cette idée-là, avec des titres mainstream, boom-bap, ou trap. 

Globalement on sent que tu as été biberonné à l’ancienne école, avec surtout une volonté de faire des textes qui ont toujours un sens. Ça t’es venu instinctivement d’écrire comme ça ou tu réfléchis justement à peser le poids de tes mots ?

Un peu des deux en fait. Je pense que tu te construis en tant que rappeur en fonction des influences que t’as et des musiques qui te parlent. Les influences que j’ai eues, ça a toujours été des rappeurs à texte, donc forcément je me suis construit comme ça. Et après j’ai appris à rapper comme ça, à une époque où, quand on avait une prod, la première question qu’on se posait c’était “bon c’est quoi le thème”. Donc ça devient naturel. Maintenant quand j’ai une prod qui me parle, souvent vient vite le concept. Par exemple Enfer sur l’Acte 1, qu’est un peu le vilain petit canard, qui dénote des autres. Quand j’ai écouté la prod, tout de suite j’ai eu le thème, j’ai eu cet univers là, j’ai gratté le texte j’avais le clip dans la tête, je savais ce que je voulais. Après pour moi c’est quelque chose d’important, et qui dénote un peu de cette époque où aujourd’hui il y a plus vraiment de “rap à thème”. C’est des puzzles d’idées. Je pense que c’est aussi parce que tout le monde veut rapper, mais c’est pas si simple que ça. Quand tu choisis un thème tu réduis beaucoup ton champ lexical, donc c’est beaucoup plus difficile d’écrire un texte. Si tu choisis pas de thèmes, sur deux phases tu peux faire rimer deux mots qui sont dans des concepts complètement différents. Du coup ça rend ça beaucoup plus accessible. Aujourd’hui la limite est floue entre un freestyle et un morceau, mise à part que dans un morceau ils foutent un refrain. Après c’est un choix, c’est comme ça, mais pour moi c’est plus difficile d’écrire un morceau qui part dans tous les sens, parce que j’ai pas appris à faire comme ça. J’aime quand les textes sont bien écrits, qu’y a des doubles sens. Avant d’être un rappeur je suis auditeur, et j’essaye de faire la musique qui me fait kiffer en fait.

Justement quand tu dis que tu es auditeur. Tu cites souvent des rappeurs sur tes posts Insta, et notamment des anciens comme Lino, Fabe, Rocé ou dans une certaine mesure, Youssoupha/KenyArkana, est-ce que c’est important pour toi cet héritage ? Et qu’est-ce qu’ils t’inspirent ces rappeurs-là ? 

C’est ultra important. J’ai toujours l’habitude de dire “Pour comprendre le présent et l’avenir, il faut connaître son histoire”. Et ça c’est vrai pour tout, la politique, la littérature n’importe quel univers. Pour comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui, il faut comprendre ce qu’il s’est passé hier. J’essaye de transmettre cet héritage aux jeunes de mon atelier d’écriture parce que je me rends compte qu’ils s’intéressent pas forcément à ce qu’il y avait avant, alors qu’il y a des choses ultras importantes à aller regarder. Même des erreurs qu’ont été produites et qu’il faudrait pas reproduire. Après, à cette époque-là on faisait que ça, sur le chemin du collège ou du lycée, donc forcément c’est plus facile de te rappeler de ces références-là que celles d’aujourd’hui. Maintenant y en a, mais soit je les capte moins, soit je les trouve moins fortes, justement parce qu’aujourd’hui les textes veulent moins dire de choses et je trouve que c’est moins engagé qu’à une certaine époque. 

Mais tu as quand même pu citer SCH, Dinos, Alpha Wann, des rappeurs plus récents, mais qui au final connaissent leurs classiques. 

C’est ça. Si tu regardes les gens d’entre guillemet la nouvelle école, que je cite, ça reste des rappeurs à texte. Ça reste des gens qui font des morceaux… Même si Alpha Wann des fois y a pas de thèmes plus que ça, mais il peut balancer des phases soit ultra engagées, soit qui ont un double sens de batard. Y en a une qui me vient à l’esprit direct dans UMLA, quand il dit : “Ici, c’est racisme et vente d’armes, des clodos à chaque station // Tu l’appelles Mère Patrie, je l’appelle Dame Nation”. Tu vois tout le double sens qu’il y a, le placement de la rime, la multisyllabique, j’veux dire c’est un cas d’école, c’est une masterclass une phase comme ça. Mais après voilà, y a des rappeurs j’aurais plus de mal. Quand bien même y a des choses dans leur travail que je respecte. J’aurais plus de mal à chercher une punchline chez Koba LaD par exemple. 

Pour rester un peu dans les inspirations, et pour transiter tranquillement vers la partie référence de l’interview. Dans la cover de l’Acte 2, on peut voir des vinyles, et notamment Flygod de Westside Gunn. Clairement ça s’entend dans ton flow, tes adlibs et même dans les prods, l’idée de l’Acte 2 c’était de s’approcher du son de Griselda ?

Pess Caméléon Acte 2
PessCaméléon Acte 2

Putain mais ceux-là on les a mis en se disant “est ce qu’y en a qui vont voir les vinyles qu’on a fait sortir” tu vois. Je te dis, même quand on faisait les premières communications, qu’on envoyait à des partenaires etc. On disait clairement “c’est librement inspiré de la mouvance Griseldesque”. Tout simplement parce que quand ils sont arrivés, ils nous ont fait kiffer de ouf. C’est un OVNI, ils ont un son qui est ultra old school, ils ont réussi à créer une vraie mouvance autour de ça, ils ont une stratégie marketing qui est ultra intelligente, le son est bon, c’est des putains de rappeurs. Après malgré leur couleur boom-bap, je trouve que ça sonne pas tout à fait comme dans les années 90, y a une certaine actualité dans la façon dont ils le font. Et je pense que, c’est mon avis de technicien, mais ça doit venir des BPM. Dans les années 90, c’était 90-95 BPM, eux ils ont réduit, et ils sont plutôt autour de 80. Et en fait si tu fais le parallèle, la trap c’est entre 130 et 160, mais du coup si tu divises par deux tu te retrouves autour de ces 70-80. Et en fait ils ont réussi à avoir ce côté ultra aéré parce qu’ils ont réduit les BPM, mais ce côté boom-bap, parce qu’ils réutilisent des samples, et utilisent des drums qui sont boom-bap. Du coup ils ont allié les deux, et ça fait un truc de fou. Forcément ça inspire.

Dans le même genre en France tu dois connaitre le rappeur Benjamin Epps ?

Évidemment, on est des diggers ! Lui, même le timbre de voix il fait penser à Westside Gunn. Et en fait ça m’a fait rire parce que le premier morceau qu’il a sorti, “Samba les couilles”, je l’ai partagé sur un groupe, il avait 200 vues, en disant que c’était une tuerie. Deux jours après, il avait 20 000 vues, partagé sur les médias, par Mehdi Maizi et tout, j’étais choqué. J’me rappelle avoir appelé mon manager et lui avoir dit “Lui il va me faire regretter de pas avoir sorti l’Acte 2 plus tôt”. Parce qu’il était prêt, il aurait dû sortir au mois de novembre l’année dernière, mais l’Acte 1 a très bien marché, ce qui nous a permis de signer un contrat de distribution. Mais il fallait le temps de mettre en place ce contrat, et comme pour moi l’Acte 2 c’était le moins.. “bankable”, je me suis dit “on peut pas passer à côté de ça, tant pis on le sort plus tard”. Avec le recul je regrette pas du tout, au final on a plein de bons retours, c’est un mal pour un bien. En tout cas j’kiff, Benjamin Epps j’valide très fort son projet. D’ailleurs, lui, même dans la stratégie marketing, tu sens qu’il s’inspire de Westiside Gunn

Un featuring avec lui par exemple ça le ferait ?

Carrément ! On disait un feat c’est vraiment la sensibilité artistique, lui j’kifferais.

Sur l’Acte 2 on peut aussi apercevoir le vinyle d’Illmatic de Nas. Ça t’a accompagné pendant la création de cet EP ? Et pourquoi avoir mis ces pochettes là un peu en avant sur ta cover ?

Le Griselda c’était parce que l’inspiration est assumée, complètement, à 200%. Après Illmatic c’est parce que c’est un projet qui m’a matrixé quand j’étais gamin, et en fait y avait aussi un parallèle. Les sons griseldesques dans l’Acte 2 c’est QFDDB, Le Cirque, Sortir par le toit parce que c’est un no beat très lent. Par contre, Jeunesse il sonne beaucoup plus années 90. Et celui-là quand je l’ai écrit ça a été un peu… j’ai envie de dire une fulgurance tu vois. Même dans la structure du morceau, les couplets ils ont pas le même nombre de mesures, y a pas de refrain. Il est vraiment sorti comme ça. Et toute proportion gardée, parce que j’vais te citer un classique, ça m’a fait penser à NY State of Mind en fait. Quand je l’ai réécouté j’me suis dit “peut-être qu’en fait quand il l’a écrit, il était dans ce même état de fulgurance”. Donc c’est aussi pour ça. Encore une fois, grand respect pour les classiques.

D’ailleurs Nas a gagné un Grammy cette semaine.

Oui ! Ca fait très plaisir, mais j’ai vu un post sur Facebook je crois qui disait “le Grammy Award pour Nas c’est comme les meufs du lycée qui viennent essayer de me pécho sur Facebook aujourd’hui, c’est trop tard”. Y a un moment, ok il a fait un très très bon dernier album, mais sa carrière, elle aurait dû être récompensée y a bien longtemps. Mais on prend quand même.

On voit une troisième pochette sur ta cover…

Oui ! C’est Hell on Earth de Mobb Deep. Même époque je crois, 96 ou 98, ça fait partie aussi des albums qui m’ont matrixé. En vrai j’aurais voulu en mettre plein mais on peut pas tout mettre, et celle-là c’est une cover, pour ceux qui connaissent le rap US, qui parle assez vite et assez clairement. Elle est aussi assez facile à dessiner, je pense à mon infographiste !

Pour continuer de parler de cover, parce que tu fais toujours attention aux détails. À chaque fois sur les covers de Caméléon, chaque titre est représenté dans la pochette. 

Yes c’est des easters eggs à chaque fois. Sur les trois on essaye d’avoir cette ligne directrice, avec ce côté cartoonesque, une couleur qui correspond à celle de l’EP, et on met un easter egg pour chaque titre.

Sur l’Acte 1 justement tu avais mis un tableau d’Akashi, de Kuroko’s Basket. De tous les personnages de mangas qui existent, pourquoi lui en particulier ?

Pess Caméléon Acte 1
Pess Caméléon Acte 1

Alors il faut savoir que ma première passion, c’est le basket. J’en fais depuis que je suis tout petit, j’ai joué à des plutôt bons niveaux, ça fait vraiment partie de ma vie. Moins aujourd’hui parce que j’ai moins le temps et pour des questions de blessures, mais c’est toujours important pour moi. Et en fait, mon fils il a attrapé ça aussi. Quand il avait trois mois il venait me voir jouer avec ma femme. On a découvert Kuroko ensemble, et ça m’a matrixé plus que lui. Je me suis pris Kuroko’s Basket à trente piges, comme je m’étais pris Olive et Tom quand j’étais gamin. Pour te dire, y a trois saisons, avec mon fils on a dû regarder ça cinq ou six fois. Et tu vois j’aime beaucoup ce côté… Ils mangaïsent des vrais références de baskets. Si t’es passionné de basket y a des trucs que tu comprends. Quand ils rentrent dans la zone ils sont un peu en mode Super Saïan 2, ils sont capables de faire n’importe quoi. Mais rentrer dans la zone c’est une vraie expression au basket. Quand un mec est ultra chaud dans un match, on dit qu’il est dans la zone. Ils font plein de petites références comme ça, et j’ai trouvé ce truc super bien fait. J’étais dans la construction de l’Acte 1 à ce moment-là. Et Akashi c’est le personnage que j’ai trouvé le plus charismatique, le plus intéressant, parce qu’il souffre d’une espèce de schizophrénie. Il a un côté extrêmement méchant où y a que la victoire qui compte, et un côté tu vois.. Et il est toujours en train de se battre avec ces deux personnages-là. J’me suis retrouvé dans beaucoup de choses que dégage ce personnage. Le côté leader, toujours essayer d’élever le niveau des gens pour avoir un bon résultat, chercher la victoire. Pour ça que le morceau est venu naturellement, et dans le morceau je fais plein de références au manga aussi. Ceux qui ont vu le manga m’ont dit “c’est un truc de fou t’as été chercher trop trop de références”. 

Toujours pour rester pochette et manga, sur la cover de Sortir par le toit : on peut voir un immeuble, une échelle, et la Tour Karin en haut, issue de Dragon Ball. Au-delà du fait que la ref est très bien trouvée, elle représente quoi pour toi cette tour ? 

Pess Sortir par le toit Dragon Ball Tour Karin
PessSortir par le toit

En fait, pour moi la Tour Karin, elle marque un tournant dans l’évolution de Goku. Je trouve qu’il prend un step en passant par là. C’est le premier vrai power up que tu vois de Goku, après le passage chez Tortue Géniale. Et en fait je l’ai choisi parce que le “Sortir par le toit” y avait cette notion de, tu pars du côté sombre du quartier, et t’as un power up qui t’élève. Et je le voyais dans le sens large de la vie, pas seulement dans la musique. Y en a qui l’ont vu comme ça, en pensant que je parlais de la réussite dans la musique, mais non, c’est dans la vie en général. Et je pense que pour réussir à passer ces étapes, il faut tous qu’on ai un peu nos Tours Karin. Faut tous qu’on ai un petit peu notre Maître Chat qui nous pousse. Chacun dans nos vies on a rencontré ces gens-là. Le dernier que je pourrais citer, c’est marrant parce que je l’appelle Tortue Géniale en plus. J’en parle pas assez souvent, c’est un travailleur de l’ombre, c’est mon ingé son. Il s’appelle IFA, il est de Clermont-Ferrand, et ce mec c’est l’architecte de toute la musique qu’on sort. Y a pas un titre que je fais qui passe pas entre ses mains. L’homogénéité de tout ce qu’on sort vient de lui. Il a un vrai recul sur la musique, c’est un vrai musicien. Je pense que, si je l’avais pas rencontré, y a un palier que j’aurais pas passé. Typiquement, si j’avais à dédier cette Tour Karin à quelqu’un aujourd’hui, ce serait à lui. 

Pour finir sur les covers, celle du clip Jeunesse, c’est une cartouche de GameBoy avec un banc dessus. On peut faire beaucoup d’interprétations. La cartouche ça représente un peu ta jeunesse parce que c’est une console de ton époque. Et le banc dessus c’est que, quand on est au quartier, on se pose souvent sur des bancs, et j’imagine que c’était un truc assez représentatif. Il y a peut-être même le côté jeu dedans qui compte.

Pess Jeunesse GameBoy
Pess Jeunesse

Pour commencer, rendons à César ce qui appartient à César. Souvent, les idées des visuels viennent de moi. Sur cette pochette-là c’est l’infographiste qu’a eu l’idée, un mec qui s’appelle Asura. C’est un tueur. J’avais juste l’idée du banc, parce que c’est un truc iconique qui représente assez bien la jeunesse dans les quartiers. Il m’avait fait mon banc, et un jour il me dit “j’ai fait un truc je sais pas si ça va te plaire”, et il m’a envoyé la cartouche. Là j’me suis dis “mais c’est une tuerie”, justement parce que ça veut dire beaucoup de choses. Y a cette notion du fait que ça ramène à l’époque de la GameBoy donc ma jeunesse. Et y a ce côté de dire, le banc, le temps qu’on passait dessus, on peut le considérer comme un jeu à part entière de la GameBoy en fait. Le temps qu’on a passé à jouer à Zelda.. y a un moment on a passé autant de temps sur ce banc à faire X ou Y choses. L’idée c’était de dire, ce type de jeunesse-là, des quartiers, t’as l’impression que c’est une cartouche qu’on nous a glissé dans notre GameBoy à nous.

C’est un truc important, qui t’as bercé toi ?

Bien sûr! Pokémon.. Bomberman.. Zelda.. même plus vieux Tetris par exemple.

Justement dans un texte tu fais une référence à Pokémon ! 

Oui quand je dis “Les maisons de disques gèrent des Pokémons comme Sacha”. C’était un moyen de faire une ref à un truc que j’ai pris en pleine gueule quand j’étais gosse. Et ils gèrent des Pokémons comme Sacha parce que j’ai toujours eu cette réflexion en mode “en fait Sacha c’est un bâtard il envoie ses Pokémons au bon-char et lui il a jamais rien”. Et en fait je trouvais la ref intéressante parce que je trouve qu’aujourd’hui les majors elles ont un peu le même truc. T’as un artiste en développement, tu le balances sur la scène. Si ça marche ils sont biens parce qu’ils prennent 75% des revenus, et si ça marche pas ils jettent le mec.

C’est intéressant d’ailleurs parce que dans l’animé, Sacha, au fil des saisons, il finit par laisser ses anciens Pokémons quand il change de région, et on peut voir ça un peu aussi quand des vieux artistes vendent plus. 

Des vieux, mais même des gars qui pètent pas, qui sont en développement, s’ils ont pas les résultats escomptés, voilà ils s’en occupent plus.

Dernière question référence, toujours dans Jeunesse, tu fais plusieurs références à des dessins animés. Notamment “J’me sens perdu comme Simba au milieu des gnous” et “Tombé dans la débrouille depuis tipeu comme Obélix”. Est-ce que c’était pour coller au titre, en ramenant des références de la jeunesse ? Et est-ce que ces références-là ont aussi forgé ta jeunesse ?

Ah bah oui! Je pense que de toute façon, tout ce que t’as vécu dans ta jeunesse, ça forge ce que t’es donc pour quelqu’un qui fait de la musique, ça forge sa musique. Après comme je te dis ce morceau quand je l’ai écrit c’était vraiment une fulgurance, et le texte il est sorti sans vraiment de réflexion. C’est des références qui sont venues naturellement. En fait la première, j’avais toujours cette impression, et je l’ai toujours aujourd’hui.. Quand j’en ai discuté avec le petit qui fait mon playback dans le clip, je lui ai expliqué toutes les parties du texte pour qu’il puisse s’en imprégner le mieux possible. Et quand je lui ai parlé de ça je lui ai dit “tu vois quand t’es devant le centre commercial de Jaude, et que tu vois tous les gamins de quartiers qui sont devant, et tous les gens qui passent autour, et que t’as l’impression que t’as un no man’s land autour d’eux, parce que personne veut s’en approcher, tout le monde a peur de ce qu’il va se passer etc. Bah voilà quand j’ai écris cette phase c’était exactement ça”. Quand t’es dans le centre-ville et que, forcément t’as les habitudes et la dégaine du quartier, que tu dégages cette aura du quartier, tu sens que les gens sont pas à l’aise. Et y a aussi derrière le côté que c’est Simba qui rayonne, et les gnous ce n’est que ce qu’on appelle aujourd’hui des moutons. Vous suivez tous la même chose, vous avez tous la même idée sur ces gens qui sont au milieu, sans même vous poser la question “Pourquoi ils sont comme ça?” “Qu’est-ce qui les a poussés à devenir comme ça”, sans même peut-être se dire que certains peuvent vous apprendre des choses. Non, vous courrez tout droit et vous fermez les yeux.
Et pour Obélix, quand t’es petit dans ces quartiers-là. Et je vais même aller plus loin, je pense que c’est pas une question de quartier, mais d’environnement. Quand t’es dans un environnement hostile, je pense que c’est dans la condition d’être humain d’essayer de se débrouiller, pour la survie en fait. Là où y a un autre parallèle c’est que, là où beaucoup verront ça comme une tare, moi je le vois comme une force en vrai. Quand à cet âge-là, tu dois trouver tous les moyens du bord possibles pour t’en sortir, après dans la vie de tous les jours ça te sert. Moi les meilleurs commerciaux que je connaisse, c’est des mecs de quartier, parce que quand ils étaient petits ils étaient obligés de négocier le moindre bout de gras. Les mecs ils ont un bagou de fou et ils sont capables de vendre un grain de sable à un Touareg. Je trouve que dans un certain sens c’est une force, et c’est un peu une potion magique que de tomber dans la débrouille quand on est petit.

Toute dernière question, le site s’appelle VraisSavent en référence au titre Les vrais savent  de Lunatic. D’après toi c’est quoi LA chose essentielle que les vrais devraient savoir ?

Hm… Les gens devraient savoir que les seules barrières qui existent c’est celles qu’on se met à nous-même. Je pense que c’est une clé dans la réussite, dans la vie en général. Mon nom Pess, il vient du diminutif de Pessimiste, parce que quand j’étais gamin et que je rappais, j’avais toujours une vision très pessimiste de mon avenir, et ce que j’allais devenir. Dieu merci j’me suis trompé, parce qu’un jour j’ai compris que les seules barrières qui existent c’est celles qu’on se met.

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