Interview Vrais Savent : Pumpkin & Vin’S da Cuero
InterviewsVendredi 23 octobre, le monde avait le droit à un nouvel album du duo, dans la vie comme dans la musique, Pumpkin & Vin'S da Cuero. Une écriture incisive et millimétrée, des productions léchées, Abysses Repetita est la quintessence de leur style. Parsemé de références aussi bien musicales que culturelles, le couple nous a éclaircis sur leur façon de les choisir et les intégrer dans l'album.
« Globalement ça se ressentait déjà avant, mais sur Abysses Repetita tous les morceaux ont un thème, le disque a été développé comme ça ou ça s’est fait naturellement ?
P : Un peu des deux. Je suis dans cette recherche de précision depuis plusieurs années, et j’ai envie de m’emparer et d’aller au bout de certains sujets. Après c’est quand même venu naturellement, je me suis pas dit “je dois parler de ça, ça et ça”.
En général, je prends des notes à longueur d’années, et une fois que je commence une phase de création, je fais le tri dans mes notes, et des sujets se dessinent et ressortent malgré moi. Donc à partir de ce moment-là, je réfléchis à comment je vais les développer.
J’ai cru comprendre que l’absence de feat n’était pas forcément voulu, mais est ce que ça a aidé à en faire un disque plus personnel que les autres ?
P : Je ne suis pas certaine parce qu’on sait pas à quoi l’album aurait pu ressembler avec des featuring. Si on avait eu des feat ils n’auraient pas été là pour combler des trous, mais vraiment choisis de manière pertinente. Au départ, on pensait en avoir, comme sur tous nos disques, mais ça n’a pas pu se faire pour différentes raisons. C’est intéressant parce que ça m’a laissé plus de place et je me suis rendu compte que j’avais assez de choses à dire toute seule sur un disque entier.
Un autre changement qu’on peut remarquer, c’est la réduction du nombre de samples dans le disque, même s’il y en a. Est ce que c’était voulu de moderniser un peu comme ça la formule ?
V : C’était un mélange. D’un côté, c’était voulu artistiquement, parce que quand je me lance dans un nouveau cycle de singles, EPs, pour aboutir à un album, j’aime bien essayer de changer un peu ma manière de travailler. Par exemple, sur Peinture Fraîche, je prenais un “sample pauvre” (seulement un ou deux éléments utilisables), et je construisais autour, souvent avec des synthés. Astronaute, c’était l’inverse, je voulais revenir à ma façon de composer de mes 18-20 ans, donc associer les couches de samples, et on a ajouté quelques musiciens. Là, j’avais envie de plus composer. D’un côté parce que t’as plus de possibilités, par exemple pour tout ce qui est changement de tonalité, changer de grille d’accords… Un sample est modulable, mais c’est plus compliqué d’aller exactement où tu veux si t’as une idée précise en tête. J’avais donc un côté un peu plus permissif. J’ai pas mal diggé de synthés et instruments virtuels, qui sont très organiques mais aussi modernes. L’autre côté, c’est qu’on commence à être diffusé sur des réseaux nationaux, et en samplant des morceaux, on peut avoir des problèmes de droit.
Sur le précédent album, le morceau d’ouverture était Make Boom-Bap Great Again, là c’est Fougue, qui est dans une autre vibe. On sent que, même si c’est évident qu’il y en a dans le disque, vous vous revendiquez un peu moins de cette mouvance boom-bap.
V : C’est ça qui est assez drôle, avec Astronaute on voulait revenir à un truc très 90’s. Mais en fait, on n’est pas du tout en mode “c’est ça le vrai rap et le reste c’est de la merde”. On a toujours kiffé plein de styles différents, et cet album-là, c’était juste une envie. Pour Abysses Repetita, on voulait une vraie intro. On ne voulait pas que ce soit construit comme un morceau classique, c’est pour ça qu’on n’a pas mis de refrain. Il y avait cette volonté de prendre un BPM très boom-bap mais en intégrant des sonorités trap, pour amener vers le titre suivant, qui est lui beaucoup plus trap, comme d’autres morceaux de l’album.
Dans la preview du disque, Pumpkin disait sentir un côté Beastie Boys dans Pisser Sous La Douche, même si la musique évolue au deuxième couplet. Globalement il y a pas mal de références musicales, toi, comment tu concentres tes influences ?
V : En fait, parfois je vais piocher des idées chez les autres.Pour ce morceau là par exemple, je le disais dans la preview, j’ai écouté le morceau Down Bad de Dreamville. En fait, ce titre il samplait James Brown, et ça vient d’un morceau qui me rappelle l’adolescence et mon plongeon dans la culture hip-hop, parce qu’il était utilisé, en morceau instrumental, comme jingle sur MTV Base. Quand je l’ai entendu dans la musique de Dreamville je trouvais ça vraiment bien utilisé, et je me suis dit que je voulais faire la même chose mais différemment. En fait, j’aime bien intégrer des clins d’œil, que les gens qui connaissent bien la culture hip-hop vont pouvoir capter. C’est comme des easter eggs.
Toi qui a décidé là d’être un peu plus dans la compo, tu as gardé les samples pour ces clins d’œil justement ?
V : Tout dépend des morceaux, souvent c’était pour ajouter de la texture, parce que mine de rien il y a des tessitures et textures de sons des années 60-70 qui sont bien différentes. Je trouvais que ça apportait autre chose.
Sur cet album, il y a souvent des outros aux morceaux, avec du beatbox ou des parties ralenties, pourquoi avoir fait ça ?
V : Il y en avait quelques-unes sur Astronaute, mais je trouve que ça construit un album, ça crée une homogénéité, une unité. Des fois il y a même des clins d’œil dans les enchaînements de sons. Par exemple Pisser Sous La Douche qui commence par une alarme qui rappelle les sirènes de police, juste après Luna Park sur les violences policières. C’était une volonté à ce moment-là par exemple de les enchaîner, comme ça l’auditeur même sans s’en rendre compte, il sent la continuité, et ça créer une sorte de voyage. Après, on essaye de pas en faire trop non plus, juste en guise de respiration, pour ne pas saouler l’auditeur.
On retrouve aussi beaucoup de scratchs de DJ Odilon dans le disque, souvent en début ou en fin de morceau, mais qui choisit les extraits, est ce que c’est vous ? Est ce que c’est en fonction du thème du morceau ? Ou une fois que l’écriture est terminée ?
P : En fait, ce que je fais, c’est que je digge pendant des heures et je choisis des phases pour Odilon (il arrive qu’il en ajoute également de son côté), puis avec Vin’S on lui soumet des placements. Ensuite, il s’occupe de toute la partie création et technique du scratch. L’idée, c’est que sans forcément qu’on le sache, ça me permet de rajouter des éléments à mon texte. Moi qui suis attaché au sens, je veux que ce soit plus que musical, que les phrases soient vraiment choisies en fonction du titre.
Au-delà des références dans la musique, forcément, il y en a dans les textes
Dans ce disque en particulier, les références ne sont pas choisies au hasard, elles font pas mal écho aux titres. Par exemple, quand tu rappes « Larmes coulent comme Amoco Cadiz » sur Banana Bread, le choix de la référence n’est pas là juste pour du name dropping pour montrer que t’es cultivée, c’est en lien avec le thème du morceau. Est ce que, justement, tu fais attention à ce que les références choisies aient un lien avec le titre ?
P : Ouais, j’essaye d’avoir un équilibre, de ne pas faire les choses au hasard, même si je m’autorise parfois des références plus légères. En général je fais en sorte que les références soient les pièces d’un ensemble. C’est tout l’enjeu de l’écriture, le choix des mots, de l’image. Il faut anticiper la manière dont les choses vont être comprises. En même temps ça reste souvent personnel et pas juste une sorte de listing de références à la mode, qui vont être évocatrices aux auditeurs.
J’ai relevé quelques références dans les textes, sûrement pas tout, mais j’aimerais bien qu’on en discute un peu. Sur Sales Draps, tu dis “Bienvenue dans Oz”. Pourquoi parler de cette série-là plutôt qu’une autre ?
P : C’est parce que c’est celle-là que j’ai regardé quand j’étais ado ! C’est une série hyper dure. J’ai pas pu m’empêcher, quand j’ai visité le monde carcéral, à penser à cette série. J’ai aussi du mal à citer des références que je ne maîtrise pas, ça peut m’arriver, mais c’est très rare. Pour moi c’est important, même si c’est pour faire des métaphores, il ne faut pas simplement que ça marche mais aussi que ça ait du sens pour moi ou que ça me touche.
Donc, par exemple, quand tu dis “Quand on quitte l’innocence dans un Naruto” tu maîtrises cette référence ?
P : Ah là typiquement, pas forcément, je me place vraiment comme quelqu’un d’extérieur, une sorte d’observatrice d’un phénomène. L’idée c’était de parler de l’exposition à la violence entre le monde réel et de faire un parallèle avec le monde imaginaire des mangas qui peut aussi être violent. Mais c’est pas du tout une critique du manga ! Je fais toujours attention à ne pas me mettre en position de faire semblant de maîtriser des choses que je ne contrôle pas. Par exemple, quand j’écris Sales Draps, sur le monde carcéral, l’angle du morceau, c’est simplement mon expérience personnelle dans ce contexte et pas autre chose. Ce serait pas honnête et mal venu que de prétendre connaître ce milieu comme les personnes qui y évoluent alors que je n’ai pu y aller qu’une dizaine de fois.
Sur Quart D’heure Américain tu dis « Quand le DJ joue Dang oui ça me réjouis » est ce que tu parles du morceau de Mac Miller et Anderson .Paak ?
P : Oui ! J’adore les deux, ils font partie des artistes qui m’ont le plus fait kiffer ces dernières années. J’avais envie de mettre un clin d’œil, donc dès que j’ai pu, je l’ai fait. Pour moi d’ailleurs, l’intro de l’album, c’est déjà un hommage à Mac Miller. Si tu le sais pas tu ne le vois pas forcément, mais quand je dis “Regarde Mac on est pas moins triste dans l’opulence”, c’était une manière d’aborder aussi cette question de la dépression et des drogues dans le rap, comme étant un truc qui devient normal et même une esthétique.
Sur Pisser Sous La Douche tu dis “Le seul plastique utile est sur Discogs, ta teub, fait les courses en vrac dans les petites scoops”, donc le plus important c’est la musique ?
P : Et les capotes, il ne faut pas oublier la fin de la phrase. Pour Discogs je parle du vinyle, mais sur le morceau je parle de la réduction des matières plastiques. Je suis assez sensibilisée à cette question-là, et c’est intéressant de se poser la question de “qu’est ce qu’on fait de tous ces disques”. Est ce que c’est intelligent ou pas ? Je trouvais ça marrant de dire qu’ils font partie des plastiques autorisés, d’un point de vue éthique. En vrai j’ai pas forcément d’avis tranché sur la question, c’était plus pour en rire, mais c’est une manière de questionner sur les plastiques à usages uniques et les emballages, enfin tous les types de plastique. Moi, si je devais juste en garder certains, ce serait ceux-là.
Sur Roman Savon, tu as cité beaucoup de références, notamment des “couples” parce que c’est le sujet du morceau. Ils ne sont pas toujours évident à capter comparé à d’autres artistes qui pourraient se prêter à cet exercice…
P : Oui ! Mais il faut se poser la question de pourquoi toi et le public pensez que je suis une artiste comme je suis, c’est qu’il y a des choix de sujets, de comment les aborder, et forcément de choix des références. Ça m’intéresse pas d’écrire juste pour atteindre une audience large.
Mais pourquoi avoir choisi ces références en particulier ?
P : Parce que ce sont des références qui me parlent. Vin’S et moi, on est un couple dans la vie comme dans la musique, donc quand j’ai écrit le morceau, je me suis amusé à chercher et lister plein de “power couple”. Après, j’ai fait mes choix, sans en prendre trop pour pas alourdir le morceau. Mais ça me faisait marrer par exemple de prendre Jay-Z et Beyoncé, mais quand je prends une référence aussi évidente je vais toujours essayer de l’amener de manière un peu différente. Donc là j’ai pas dit “Jay-Z et Beyoncé”, en fait je dis “Pumpkin et Vin’S Carter” comme ça ça permet aux gens qui savent, de voir de qui il s’agit, sans faire ça avec lourdeur.
Et tu penses que vous vous retrouvez plus dans quel couple ?
P : Je pense que c’est peut-être un composite de tous, mais j’ai pas vraiment de réponse à cette question.
Sur le dernier titre, tu dis “Femme au bord de la crise de nerfs” est ce que c’est une référence au film ? Et quel lien ça a avec le morceau ?
P : C’est une référence, déjà, d’un film qui me parle beaucoup, et d’une culture qui est en partie la mienne parce que je suis d’origine à moitié espagnole. J’ai vécu là-bas pendant 6 ans et pour moi Almodovar est l’un des meilleurs réalisateurs que je connaisse. Banana Bread, c’est un morceau sur mon identité, le fait d’avoir grandi dans un endroit où j’ai toujours pensé que j’étais pas à ma place, à savoir la Bretagne alors que ma mère était espagnole-basque et mon père niçois. Dans mon idéal, petite, je pensais que j’aurais dû vivre en Espagne. Du coup, je trouvais ça intéressant de faire le parallèle et le clin d’œil au film, parce que j’aime beaucoup ce film, et c’est une représentation de l’Espagne, le pays où j’aurais aimé être, et le titre qui reprenait un peu l’état d’esprit de mécontentement.
Sur Can’t Stop Won’t Stop sur l’album précédent, et là sur Roman Savon, tu utilises l’expression Les Vrais Savent. C’est aussi le nom de notre site. D’après vous, c’est quoi la chose essentielle que les vrais devraient savoir?
P : Moi j’aime bien me saisir d’expressions de la culture populaire comme ça, quand on ne sait pas forcément d’où elle vient. Pour s’amuser de la langue et avec la langue française. Mais pour répondre à ta question : “les vrais devraient savoir qu’ils ne savent rien”. Surtout en ce moment où les gens parlent beaucoup sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. Notamment sur les réseaux sociaux et sur les sujets qui nous remuent actuellement.
V : J’ai envie de dire que l’histoire c’est important aussi bien dans la culture hip-hop que la vie en général. Parce que pour comprendre le monde dans lequel on vit, c’est super important de comprendre tout ce qu’il s’est passé avant et comment on en est arrivé là. Je trouve que c’est une des choses les plus importantes dans la vie. À partir du moment où tu t’intéresses à toutes ces choses là, t’es peut être plus apte à comprendre les différentes situations et à avoir différentes perspectives sur ce qui t’entoures, plutôt que d’avoir toujours le même point de vue et pas se remettre en question. Ça permet de comprendre ce qu’on peut faire pour le futur pour améliorer les choses. »