Interview Vrais Savent : Sheldon
InterviewsAprès avoir sorti l'un des albums concepts les plus réussis du rap français en 2019 avec Lune Noire, et quelques EP aux 1001 références, Sheldon a publié ce 5 novembre son nouvel album, Spectre. Plus épuré, plus dans l'introspection et moins dans les références directes, le rappeur de la 75e session a quand même continué d'utiliser ses champs lexicaux qui lui sont chers, entre science-fiction, fantastique et fantasy. En près de 2h d'entretien, il est revenu avec nous sur ses références, de Star Trek à Naruto, en passant par Magritte, Dark Souls ou même la Sexion d'Assaut.
Là tu sors Spectre, ton deuxième album, après Lune Noire qui était très conceptuel dans la forme et dans le fond. Spectre il est beaucoup plus personnel. À partir de quand tu t’es dit qu’il fallait que tu fasses un disque plus perso ?
En fait c’est même pas une question d’idée. C’est plutôt, je l’ai fait au moment où c’était pertinent, où j’avais des choses à dire. Avant j’y pensais même pas. J’essaye de prendre les moments de création comme ils viennent. Au moment de faire Lune Noire ce qu’était bien pour moi c’était de faire Lune Noire parce que c’était l’idée que j’avais. J’aurais peut-être pu faire un album qui parle de moi au moment de Lune Noire et inversement, mais j’ai fait en fonction des idées. Et pour Spectre j’étais suffisamment bien dans ma vie pour me dire que c’était intéressant d’en parler.
Dans une interview il me semble que tu disais que Lune Noire devait vraiment être écouté en tant qu’histoire et pas comme une métaphore de ta propre vie. Et pourtant en écoutant Spectre il y a des moments où on peut voir certaines similitudes. Avec le recul, maintenant, tu dirais que ta vie à inspiré à quel point Lune Noire ? Surtout comparé à ce nouvel album.
Quand t’écris l’histoire d’un petit garçon comme ça, en tant qu’ancien petit garçon… Je pense que dans Lune Noire y a le même manque de transparence que n’importe quel auteur de fiction peut avoir avec son personnage principal. Si le personnage lui ressemble un peu. Donc oui, forcément indirectement, je parlais de moi. Mais ce que je voulais dire c’est que je l’ai pas écrit comme un truc égocentrique ou je parle de moi à la troisième personne. Et bien sûr dans cette histoire de fiction j’ai essayé d’y mettre des trucs de moi sinon c’est compliqué d’avoir des choses à dire. Mais je parle pas de moi. Spectre c’est différent dans le sens où c’est une parole directe adressée à mon public de qui je suis, ou en tout cas qui je crois être.
Dans Spectre tu te dévoiles beaucoup plus qu’avant donc, en revanche y a une spécificité dans ton écriture qui change pas, c’est les champs lexicaux utilisés et les métaphores. Y en a énormément, dont certains qui doivent faire référence à des œuvres que t’as lu, vu ou joué, et que t’as digéré pour les ressortir à ta sauce. D’abord il y a un truc assez important, pour pas encore citer Lune Noire, tu parles beaucoup des astres et de l’espace. Cet aspect-là il est pas là par hasard j’imagine ?
Non. C’est peut-être pas le truc le plus référencé. Je suis un type ultra fan de SF et je pense que ça se voit. Cinéma, littérature, tout ce que tu veux. Ensuite y a un truc hyper présent dans ma vie et qu’est pas forcément la ref la plus attendue. C’est Star Trek, les anciennes séries. J’ai énormément regardé quand j’étais petit et ado. Je pense que ça a été ultra formateur pour moi à plein de niveaux. Star Trek c’est la série de SF très “philo”, qui parle d’énormément de sujets et qui se sert des aliens et des relations entre les peuples pour parler de nous. Du coup j’pense que c’est quelque chose qui m’a grave marqué dès très jeune, qu’est ancré en back up tout le temps, dans ce que je fais. Notamment ce que j’aime bien et qu’a pu m’inspirer pour Lune Noire même si l’histoire a rien à voir de près ou de loin avec Star Trek. C’est la façon de se servir d’un sujet fantastique pour parler des choses du réel et essayer d’amener des concepts qui sont plus difficiles à amener en étant très terre-à-terre et premier degré. Star Trek fait ça très bien. Ils peuvent te proposer de réfléchir sur le racisme pendant un double épisode mais en décontextualisant complètement, où il est même pas question des humains. Ou alors les humains vont intervenir dans un conflit racial entre deux peuples de deux planètes différentes. Et ça je pense que c’est un truc qui m’a fort marqué.
Et après le champ lexical de l’espace c’est aussi un truc que j’attribue un peu au mystique. Je parle pas tant de l’espace dans son caractère science fiction, enfin pour moi en tout cas quand je l’utilise c’est plutôt un appel à ce qui est plus grand que nous. Et donc ça va plutôt être, si je dois linker, Lovecraft où ce genre de trucs. Où on utilise l’espace comme une force supérieure, quelque chose de plus grand que nous, qu’a forcément une espèce de pouvoir influent sur la Terre. Ce qu’est pas forcément le cas en réalité, mais moi ça m’arrange de l’utiliser comme ça, comme une espèce de poids au-dessus de nous. Quand je dis par exemple que je veux aller dans l’espace, ou que je suis avec les étoiles, ce genre de trucs. J’appelle plutôt au fait de passer à un stade suivant plutôt que d’aller me balader dans l’espace. J’ai pas spécialement volonté à me foutre dans une fusée et aller me promener. C’est plutôt l’idée que c’est la strate d’au-dessus. Et que du coup ton élévation en tant qu’être humain, elle passe par le fait de passer ailleurs.
Vu que tout est pas mal métaphorique, notamment avec ce thème, est-ce que l’idée c’est pas que l’auditeur puisse aussi s’emparer lui-même de ces métaphores et les rallie à sa propre vie ?
Ouais c’est ça. Les étoiles on les a tous au-dessus de la tête. Quand je suis pas dans le domaine de la référence pure où je veux faire appel à une référence pour que la personne qui a déjà lu, ou vu l’œuvre dont je parle puisse s’identifier directement à ça. J’essaye d’avoir des références très simples qui sont des trucs qui traversent tout le monde. Les étoiles y a tous des moments où on les regarde, donc on a tous des moments où on se pose des questions. Je pense que chacun a sa propre curiosité et son intérêt pour ça à différents niveaux. Du coup c’est suffisamment vague et précis pour que les gens puissent enclencher un processus d’identification, enfin je crois.
Et comme tu disais que ça remonte à ton enfance avec Star Trek notamment ? Est-ce que ce truc des étoiles c’est le premier thème qui t’as touché ou y a eu d’autres choses avant ?
Je pense que ça a toujours été présent. En plus, quand j’étais petit avec mon père, on allait voir les étoiles. J’aimais bien ça. Non je crois que mes deux premiers accès à la culture en vérité c’est la musique et les bd. Dans deux contextes un peu différents. Et le truc qui me fait et faisait rêver quand j’étais petit, c’est de me plonger dans les mondes immersifs que les gens arrivent à créer. Je me rends compte que ça m’intéresse presque plus que la réalité. J’aime mieux un voyage en 20 tomes qu’un voyage à 800km quoi. Je suis un peu ouf avec ça. L’envie de faire Lune Noire devait venir de ça aussi. En vérité je pense que le premier traumatisme c’est Le Seigneur des Anneaux. Quand j’étais petit, mon père qui me le lisait. J’ai trouvé ça complètement dingue de créer un univers aussi dense avec autant de matières, avec le Silmarillion avant, et tout l’environnement et le backup du monde. Alors après ce monde il est discutable, discutable idéologiquement, y a plein de trucs à redire, comme on pourrait redire sur Lovecraft. Je fétichise pas du tout ces auteurs. Mais par contre la capacité à créé des mondes aussi complexes et à se projeter et à recréer une réalité parallèle aussi dense. Je trouve ça assez fascinant. Et dans la musique t’as moins ça, parce que tu brasses plus de l’instantané. Tu crées des espèces de micro-capsules de micro univers de 3min. J’aime énormément aussi mais assez vite ça m’a trotté la question de comment j’allais faire le parallèle entre les deux. C’est-à-dire comment j’allais faire des morceaux de 3min à peu près toute ma vie, et faire en sorte que tout ça puisse s’inscrire dans un espèce de truc plus large. Et qu’ils soient linkés. C’est pour ça que je répète beaucoup, qu’il y a des phases que je répète d’un morceau à l’autre. Y a beaucoup de parallèles. Tu disais qu’y a beaucoup de réutilisation de certains champs lexicaux. C’est parce que ça me créer des espèces de repère pour moi avoir l’impression une espèce de toile, mon petit univers à moi.
En même temps, ça permet aussi à l’auditeur d’avoir quelque chose auquel se rattacher. Y a un autre thème très présent dans l’album et dans ta discographie, c’est les éléments. Et ça, ça doit venir de l’univers fantastique, mais ce sera à toi de me dire. Mais ces éléments comme l’eau, le vent, le feu, et notamment la foudre, qui était déjà présente sur Lune Noire, et qu’on retrouve énormément dans Spectre.
La foudre ça me rend ouf, parce que tu peux pas la voir. A priori si tu l’as vu c’est pas très bon pour toi. C’est très compliqué de voir la foudre bien. Au max t’as vu un éclair tomber sur un arbre très loin. Et la foudre c’est un des éléments naturels qui me ramène le plus à un truc magique. Cette espèce de truc de décharge électrique qui tombe du ciel. Donc moi forcément un truc qui me fascine un peu. Parce que je suis en permanence en recherche de quelconque trace de magie dans le réel. Ce que je veux dire c’est que je suis extrêmement triste que le monde soit pas magique. Qu’on n’ait pas de pouvoirs, qu’on soit pas capable de sortir de flammes du bout de nos doigts. C’est vachement dommage je trouve. Et comme j’ai été complètement nourri et drogué à la science-fiction, à l’heroic-fantasy au fantastique en général. Je suis en permanente quête de ce qui ramène un peu à ça dans le réel. Et du coup la foudre ça m’évoque ça. La foudre et le feu. Le feu c’est un truc fou. Si tu l’as pas fait depuis longtemps, t’asseoir devant un feu et essayer de capter l’étrangeté de ce truc, qui chauffe mais qu’est pas physique. Et dès que t’essaies de le retirer de son état scientifique de combustion de gaz, pareil, y a un truc un petit peu magique. Un espèce de truc incandescent, un peu coloré, qu’a une forme qui bouge. Et du coup j’aime bien ça. Ça me renvoie à un truc magique. Je pense que les briquets c’est des objets que j’aime bien dans la vie. Et je suis pas pyromane pour deux sous. Mais le briquet ça me donne un peu l’impression que je peux faire apparaître une flamme, c’est cool je trouve.
Oui mais d’ailleurs la magie c’est quelque chose qui revient énormément dans tes textes. Même là dans l’album tu parles de talisman, de potion. Encore une fois c’est tout un champ lexical qui se répond super bien justement. Est-ce que derrière ces mots, tu as une signification à chaque fois, ou c’est un peu plus vague.
Non justement ce que je trouve cool avec ces termes c’est que tu peux les reprendre un peu comme tu veux. C’est-à-dire que tu peux les prendre pour références. Si je parle de potions et que ça fait trois mois que tu t’écrases la tête à Diablo 3, peut-être que tu vas le prendre pour une ref à ce jeu. Ce qu’est cool c’est qu’avec le champ lexical du fantastique, c’est que c’est très réatribuable. Le problème d’une chaise c’est que c’est une chaise, ça a quatre pieds tu t’assois dessus. Ce qui est cool avec une potion, c’est que ça peut être un peu ce que tu veux. C’est une fiole avec un truc dedans qui fait un truc. À partir de là, ça peut être malfaisant, bienfaisant. Ca peut être pour te faire du bien à toi, pour du bien aux autres, te faire du mal à toi. Du coup c’est libre, réutilisable, détournable un peu ce truc-là. Et pareil un talisman ça peut être 1000 trucs. Ça peut être une pierre runique magique dans un jeu vidéo, ça peut être aussi le truc que t’accroches au-dessus et on lit parce que tu ‘las depuis tout petit et que ça te sécurise pour dormir. J’aime bien parce que c’est des mots valise où tu peux mettre plein d’idées différentes. Et si tenté que tu t’adresses à des gens qu’ont compris que c’est des mots-valises, ça veut dire aussi que eux ils peuvent avoir plein de lectures différentes de ce que tu fais.
Et ça t’en as énormément dans ta discographie. Et comme tu les réutilises souvent ça créé un liant entre les projets. Justement y a pas mal de thèmes importants comme ça, la magie, l’espace, le temps, le japon et termes japonais aussi. Tout ça c’est des univers finalement assez différents. Comment t’arrives à mêler tous ces univers-là ?
Il suffit de retirer le caractère personnel des choses. Si t’arrives à garder l’essentiel de ce qui fait le personnage de Naruto, tu peux sans problème le faire interagir avec une version dépersonnalisée de Dark Vador. Si tu prends Luffy, et que tu lui enlèves que c’est un pirate, qu’il a bouffé un fruit, tu lui enlèves son équipage et tout ce qu’il y a autour de lui, qu’est ce qui reste en fait ? Il reste le profil psychologique très simplifié de Luffy. Qu’est en fait un profil psychologique que tu retrouves dans la vraie vie. Un mec con comme un balais, hyper enthousiaste et hyper loyal, c’est des choses qu’on croise dans la vraie vie. Moi c’est ça qui m’intéresse. J’ai deux solutions dans un morceau. Soit je peux dire : “je suis comme Luffy”. Soit “je suis comme ce mec hyper loyal, mais un peu teubé qui lâchera jamais ses amis…”. Donc en fait je dis “je suis comme Luffy, ça me fait gagner énormément de temps. Mais après le piège à ça c’est que tu prives les gens qui n’ont pas les refs, d’accéder à la totalité de ton propos. Mais d’un autre côté ça te permet de dire tellement plus de choses. Et quand tu commences à cultiver un peu ce délire. Et que du coup t’essaie de faire des trucs un peu plus élaborés que “je suis comme machin”. T’essaies de faire appel à un truc juste dans une référence. Par exemple moi j’utilise grave Pain de Naruto. Mais je l’utilise pas parce qu’il est méchant, je l’utilise parce que si la personne a lu l’arc Pain, elle comprend tout de suite la complexité et l’étrangeté qu’il y a dans le parcours du personnage. Et ça me permet de mettre en avant le côté contradictoire de ce que je peux dire. Le fait que dans une même phrase je peux dire “je fais pas de la musique pour la vendre mais en même temps j’aimerais avoir plein de thunes”. Le fait d’utiliser Pain par exemple ça me permet de synthétiser très facilement, pour ceux qu’ont lu ou vu Naruto, la dualité bien mal dans un personnage ça leur parle. Du coup moi les refs ça me sert à ça, de dire des choses plus compliquées. En tout cas dans un premier niveau de lecture.
Le deuxième truc qu’est un peu plus inconscient mais que je me suis rendu compte en faisant Spectre, où y a beaucoup moins de références immédiates à des trucs. Je me suis rendu compte que c’était un espèce de verrou de sécurité qui me permettait d’être écouté à peu près que par des gens qui me ressemblent plus ou moins. Ça je m’en suis rendu compte après, c’était pas forcément le but, mais rétrospectivement, en écoutant un projet comme FPS par exemple, j’me dis merde, t’as aucun chemin d’accès pour un projet comme ça si t’as pas beaucoup de choses en commun avec moi de base. Mais ça fait que j’ai un public avec qui on a des choses à se dire, ça c’est cool.
Sur le discord du projet (disponible pour ceux qui ont participé au crowdfunding du disque), les gens doivent énormément parler de références. En écoutant ta musique ça revient presque obligatoirement.
Ouais c’est un délire. Si tu lis le nom des salons rapidement du discord, c’est quasiment que ça. Y a un serveur pour parler de Pokemon, un pour parler de Hack, un pour parler d’ingé son, un pour parler de beatmaking, un qui s’appelle jeu vidéo et débats, un serveur qui s’appelle Lune Noire Minecraft, un repère otaku, un gaming, un cinéma. Enfin oui c’est ça. C’est sûr que c’est une communauté qui me ressemble à ce niveau-là. Donc du coup pas de problème, on me parle beaucoup de ce qu’on a en commun en matière de culture populaire.
Alors, tu l’as dit là un peu en parlant d’FPS. Mais fonction des projets tu distilles pas les références de la même manière. Sur Lune Noire y en avait pas vraiment c’était plutôt tout le champ lexical qu’on a de cité avant qu’était utilisé. Sur RPG et FPS tu les dilapide énormément, et la sur Spectre on est sur un espèce d’entre deux, avec quelques morceaux qui en contiennent quand même plus que d’autres. C’était conscient justement de mettre moins de références ?
Ouais c’était hyper conscient. C’était même une contrainte avec laquelle j’ai décidé d’aller. C’était de me dire “maintenant que t’as bien utilisé tes mots-valises et tes trucs qui te servent à dire des choses compliquées mais y a que 2 personnes sur 20 qui les comprennent, est-ce que t’es capable de parler aux gens et de transmettre des choses synthétiser tes idées autrement qu’avec ça« . Après je suis pas en rejet de ça. J’adore ça, j’ai toujours envie de le faire, y aura sans doute des projets qui seront similaires à RPG, FPS. C’est juste que ça m’intéressait de voir ce que j’étais capable de produire sans utiliser ce trick-là. C’est-à-dire que quand t’as un tricks, c’est bien de l’utiliser, de le maîtriser et d’expertiser le niveau. Mais c’est bien aussi de savoir si t’es capable de faire sans. Qu’est-ce que t’es capable de véhiculer, sans ce petit tour de magie. Et du coup Spectre un des défis c’était d’essayer de raconter des trucs sans m’abriter derrière ce que j’ai lu, vu, ce à quoi j’ai joué.
Et en même temps il y en a quand même quelques-unes, est-ce que tu te serais vu ne pas en mettre du tout ? Ou bien ça reste essentiel ?
Nan, en fait au moment où j’ai été capable de pas en mettre, c’était suffisant pour moi pour m’autoriser à en remettre quelques-unes. Une fois que j’avais mon sujet avec Spectre et que j’arrivais à dire quelque chose, j’me suis un peu fait plaiz. Sur des morceaux comme Inunaki. Parce qu’en fait le truc, c’est qu’il faut pas négliger ma part de plaisir d’utiliser ces refs. C’est comme si tu t’autorises le droit d’utiliser un personnage qui t’appartient pas du tout. Qu’est bien plus stylé en plus que ce que tu pourras faire toi-même, et que t’as le droit d’incarner trois secondes. C’est comme si t’es l’auteur de Tintin et que pendant 3 minutes tu décides de faire venir Astérix dedans. C’est très plaisant à faire. Donc moi j’aime bien quand j’ai fini d’écrire un morceau comme Inunaki j’me dis “ah c’est bien on a bien tout mis à l’intérieur, c’est bien n’importe quoi, y a bien une manifestation de super-héros à l’intérieur, je suis très content”. Moi j’essaye de pas bouder dans ma façon de faire de la musique, c’est le fait de prendre du plaisir à la faire. Et j’essaye de ne pas oublier que c’est ce truc-là qui fait que je fais de la musique, c’est parce que j’aime en faire. Enfin la contrainte c’est intéressant tant que ça te permet de faire des choses que t’aurais pas fait sans, mais le moment où ça commence à t’empêcher de faire des trucs que t’as envie de faire c’est jamais très bon.
Donc t’as commencé à concevoir l’album sans faire de références du tout et après tu t’es dit que tu pouvais faire des morceaux avec des références ?
Un peu. En fait quand t’es au studio, que t’as fini d’enregistrer des morceaux comme Docu, c’est un peu lourd dans la pièce, ça te prend de toi de faire ces morceaux. Donc juste en fait tu te crées des petites récrés “maintenant j’vais être un super-héros qu’a 4 bras, un pouvoir magique dans chaque bras, j’vais tout casser pendant 2h”. Donc c’est ça un peu le truc. Le projet il est un peu à l’image de ce que c’est la vie de studio. Que si tu fais que des morceaux très sombres ou très importants, c’est hyper assommant en studio et tu vas gonfler les gens. Donc j’pense que l’album il est à l’image de ça. Il essaie de proposer des trucs différents parce que quand t’es en studio t’as des moods différents. C’est toute la palette d’émotions par laquelle tu peux passer quand tu crées, que t’essaie de remettre sur l’album pour que les gens puissent traverser cette palette d’émotions quand ils écoutent l’album.
L’album sort même pas un an après DLC, et il y a des références qu’on retrouve dans Spectre qu’on pouvait entendre avant sur FPS et DLC justement. Notamment une, c’est la figure de Babayaga. Est ce que ce morceau, Inunaki dont est tiré cette phrase, il vient des sessions de FPS ? Ou bien c’est juste que cette légende-là te parle particulièrement ces derniers temps ?
Juste déjà très pragmatiquement je trouve ça extrêmement pratique de se balader en maison qui marche. Au-delà du fait que phonétiquement Babayaga c’est stylé. Et que je trouve que c’est très très cool. Que tu prennes la légende ou ce que Miyazaki en a fait dans le Chateau ambulant. Se déplacer à dos de maison c’est quand même très pratique. En tout cas moi ça m’arrive très souvent d’être dans mon appart et de me dire que ce serait très cool d’aller où je dois aller sans bouger le cul de mon appart. D’autre part, les sorcières je trouve ça très drôle. Je trouve que c’est un des trucs les plus ratés de l’univers de fiction. C’est à dire que ça a été complètement créé pour angoisser les gens, moi ça me fait que rire. Une vieille dans les bois qui touille une marmite ça me fait pas peur du tout. Les sorcières en tout cas dans leur sens très occidental, la sorcière du conte de Grimm, ça me fait beaucoup rire. Je capte pas le délire. C’est une petite vieille pleine d’arthrite, dans une cabane en bois, je comprends pas à quel moment t’es terrifié. Y a des trucs bien plus cons qui marchent sur moi mais ça pas du tout. Donc j’aime bien les sorcières en fait. Et je trouve que tout le truc fictionnel qu’on a développé en Europe autour des sorcières, les sorcières de Norvège, les sorcières éleveuses de trolls, j’sais pas, ça me plaît, c’est un folklore qui m’amuse beaucoup parce que je le trouve complètement surréaliste. Du coup Babayaga c’est un peu tout ça en même temps, et ouais j’aime bien la légende mais pas tant que la réutilisation de Miyazaki. J’aime bien le côté où elle est sympa aussi.
J’me demandais quand est ce que tu avais fait Inunaki par rapport à FPS parce que tu utilises exactement la même phrase “Babayaga dans le chateau quand j’me transporte”.
Ah ouais je la réutilise parce que j’aime bien le côté très malcommode du transport ça me fait rire. J’arrive avec un truc très gros et je fais chier tout le monde. Babayaga quand j’me transporte dans une rue de Paris c’est pas très pratique. Souvent les refs, plus que pour être impressionnant, c’est qu’elles me font rire. Là, le mec il a l’image d’une grosse maison un peu mal foutu et qui prend plein de place, ça peut le faire rire. Je sais pas si c’est l’effet que ça fait au gens au final mais moi c’est ce qui me traverse à ce moment-là.
Oui et puis comme tu le réutilises, en tant qu’auditeur on voit un espèce d’auto clin d’oeil aussi.
Y a ça, et puis dans Inunaki je dis ça et juste après “Tetsuo sur ma moto quand j’me transporte”. Donc Tetsuo c’est dans Akira, avec sa moto toute fit qui va très vite dans la ville. Et j’aime bien l’opposition qu’y a dans les deux. J’aime bien l’idée que soit t’arrives avec toute ta maison et ton bordel, soit t’arrives en spectre complet, limite personne te voit parce que tu vas très très vite. C’est ça qui m’amuse dans l’opposition des deux.
Justement dans Inunaki, tu fais cette référence à Akira. Il y a aussi une référence à Naruto avec Hachibi. Et c’est pas la première fois que ça revient dans ta musique. Ça a quelle importance dans ta vie et dans ton inspiration les mangas ?
Les mangas ou Naruto ? Les mangas je sais pas quoi te dire, je pense comme beaucoup de gens de ma génération j’me suis tué quoi. Si je dois prendre le level design fantastique des mangas, en vérité c’est pas ouf. Ils utilisent souvent les mêmes recettes. Moi ce que j’kiff de ouf dans les mangas c’est que c’est un moyen ultra access et complètement inconscient de foutre un pied dans une des cultures qu’est la plus opposée à la culture occidentale. Dans un manga, systématiquement on te propose d’explorer une vision de l’humanité qu’est complètement opposée à celle dans laquelle t’as grandi. C’est-à-dire que quand tu lis un manga, en fait, t’as la tête dans ce que c’est un monde fantastique pour un japonais. Et comme ils sont pas du tout nourris des même légendes, et des mêmes traditions. Et ben du coup je trouve qu’y a un côté encore plus dépaysant. Parce qu’en plus de te manger des trucs qu’existent pas, et de te faire rêver, tu fais un rêve sur un truc qu’est basé à priori sur quelque chose que tu connais pas. Quand j’étais jeune, même dans des mangas de réalité, genre Death Note, tout me paraissait étrange, la ville, la façon qu’ils avaient de bouffer. Tout était dépaysant. C’est ce truc-là je pense qui fait que je suis attaché aux mangas. Plus que réellement les histoires. Enfin les histoires sont folles, y a des lores (l’univers qui englobe une oeuvre) qui sont fous. En fait j’aime bien quand les humains te proposent d’avoir accès à un truc sans t’en rendre compte. Je trouve que c’est plus facile d’entrée en compréhension de la culture japonaise, pour avoir fait les deux, en lisant des mangas qu’en partant deux semaines à Tokyo. C’est plus doux comme approche, et ça permet de mieux comprendre. Je connais plein de gens qui sont pas du tout dans les mangas, ils sont partis au japon, ils sont revenus en disant “c’est quoi ce pays de fou, ils sont trop bizarres”. L’avantage d’avoir lu plein de mangas avant d’y aller c’est que t’es un peu plus préparé. T’es plus amusé par tout un tas de trucs qui pourraient être extrêmement dépaysants. Et j’imagine que ça, ça y est dans tout.
Et Naruto là-dedans ça occupe une place un peu particulière parce qu’en réalité je suis totalement connecté sur le fait que c’est pas un très bon manga. Mais déjà c’est le manga qui m’a fait rentrer dedans. Et ensuite je pense que comme pour la génération d’avant moi de ce que ça peut être DBZ, moi Naruto ça joue ce rôle-là. Ça fait peut-être parti des personnages auquels j’me suis le plus identifié parce que la période à laquelle je l’ai lu et vu est une période de ma vie où je me prends le processus d’identification à fond, à l’adolescence. Donc quand je lis ça je me sens directement concerné par ce qui se passe. J’ai complètement envie d’être Itachi… Ce qu’est moins le cas que sur un truc que j’ai lu cette année. Ça m’empêche pas d’aimer. Mais par exemple Demon Slayer j’ai moins le truc tu vois. J’ai 30 piges, j’ai ma life, j’me dis moins “oui c’est moi”. Naruto m’a fait ce truc-là, donc forcément ça m’a laissé une trace. Et quand j’me dis “si tu devais te réveiller et t’es plus Sheldon, t’es qui” ? Bah c’est souvent des persos de Naruto qui reviennent parce que ça m’a marqué et que j’ai l’impression de m’être mis en écho à l’époque avec les personnages.
Ça allait être une des questions classiques de journaliste, mais si tu avais le choix de vivre dans un manga ce serait quoi ? Ce serait Naruto ?
Je sais pas parce que vivre dans Naruto quand même, soit tu te fais chier, soit c’est grave fatigant quand même. Soit t’es un ninja t’es tout le temps en mission, en train de crapahuter partout. Soit… y a pas de lore dans Naruto, dans t’es à Konoha et t’attends. On dirait qu’ils ont pas de vie. Y a les ninjas et autour des ninjas y a des gens qu’attendent. Donc je sais pas. Franchement je crois que si je devais vivre dans un manga ce serait One Piece. Parce que c’est trop cool de faire du bateau. Mais si je devais être un personnage de manga ce serait sans doute un personnage de Naruto dans One Piece. Ça, ça me ferait bien marrer.
Parce qu’en même temps One Piece c’est peut-être l’univers le plus étendu et travaillé dans un manga.
Ouais c’est sûr. Moi c’est pour ça que les gens d’ailleurs, très souvent ça revient, ils sont comme des oufs, ils me disent “pourquoi que Naruto”. Et j’ai souvent des gens qui pensent que j’aime pas One Piece. “Mais en fait c’est quoi ? t’as pas capté que c’est le meilleur manga”. Mais sisi j’ai capté, évidemment. En plus le créneau de One Piece, à une époque très précise, moi dans mon environnement il était extrêmement pris par Youv Dee, ODP (L’Ordre du Periph) et tout. Ils en parlaient beaucoup. Et je trouvais qu’ils l’incarnaient très très bien. Parce qu’y avait vraiment le côté équipage. Pourtant nous au Dojo on était aussi une équipe mais quand ils débarquaient au studio t’avais vraiment l’impression qu’ils arrivaient en bateau. Et du coup ça m’allait, j’avais pas le sentiment d’avoir spécialement besoin d’utiliser ces refs-là. Et en plus y a un truc, si je devais être un tout petit dur avec One Piece. C’est que je trouve que ce qui est stylé c’est le lore et les pouvoirs des persos. Y a plein de pouvoirs qui sont hyper réussis. Les rapports de taille aussi dans One Piece c’est un délire. Le fait que tu peux avoir aléatoirement des mecs de 40cm et des mecs de 10 mètres qui se baladent ensemble je trouve ça très cool. Arlong il est beaucoup trop grand. Y a vraiment une espèce de liberté même avec la physique et tout que je trouve hyper intelligente. Mais globalement, je les trouve tous assez cons en fait. Après Oda il met beaucoup de soin à ce qu’ils aient tous une couillonnerie particulière. Mais par contre j’ai moyen envie d’être eux. C’est-à-dire qu’ils m’amusent beaucoup, j’aime bien les voir évoluer, mais j’ai du mal à m’identifier. J’ai jamais trop envie d’être Zorro, Luffy ou n’importe lequel en fait. Je me dis “putain la plaie”. Tu te réveilles un matin t’es Shanks un peu la flemme. Alors que ce que j’aime bien dans Naruto, c’est tout l’inverse. Le lore est mal construit, les ninjas pas terrible, les pouvoirs sont pas forcément ouf bien que c’est un peu précurseur sur plein de trucs. Si le genjutsu et ses déclinaisons c’est stylé, mais y a beaucoup de trucs… Tu vois le Katon bon tu craches du feu c’est bien tu vois, super. Mais par contre les personnages ils ont une espèce d’epicness complètement folle. Un perso comme Jiraya, ça me va très bien de me réveiller un matin et d’être lui. Beaucoup plus qu’un perso de One Piece.
Et en même temps dans One Piece le côté connerie fait que, quand ils se révèlent, le côté épic est peut-être même encore plus fort. Luffy il est tout le temps con, mais quand il sort une phrase qu’est badass, elle l’est d’autant plus.
Ouais c’est clair. C’est hyper épic One Piece, c’est pas du tout ça que je dis. C’est juste que, c’est même un truc dans le dessin. J’aimerais pas là me réveiller avoir des jambes toute fines trop longues. Alors que c’est hyper paradoxal parce que je kiff le dessin. Je trouve que Oda il est monstrueux ne serait ce que par le fait que maintenant y a soit des gens qui l’imitent, soit des gens qui font du manga traditionnel. Mais il a juste ouvert une autre branche de dessins. Il a carrément des clones quoi. Le mec qui fait Fairy Tail. Des mecs qu’ont reproduits sa façon de dessiner tellement sa proposition est folle. Mais je sais pas. Et puis le truc c’est que One Piece les gens sont comme des oufs avec la suite de One Piece actuellement. Et moi je pense que je suis un peu sorti de ma période shonen en fait. Déjà j’ai un peu l’impression d’avoir fait le tour de la question. Et du coup j’ai du mal à être hypé par lire le prochain scan de One Piece. Ou lire le prochain scan de Shingeki No Kyojin (L’attaque des titans). Ça m’anime moins que ça pouvait m’animer au moment de Naruto, d’avoir la suite. Ce truc-là qu’est quand même très important dans les mangas. Comment t’es fidélisé à attendre ton truc chaque semaine et tout. Je l’ai moins aujourd’hui. Et les shonens j’ai l’impression que ça va être très dur pour moi d’en prendre un nouveau, quand bien même il est très bien fait. De la même façon que j’me suis pris Naruto ou HunterxHunter. En plus à un moment j’avais un peu entamé un processus, comme beaucoup de gens des mangas, où je regardais des shonens sans distinction de qualité. Je pouvais regarder également Bleach et Hunter alors qu’y en a quand même un qu’est très bien et un qu’est très mauvais. Et ça me faisait exactement le même effet. Maintenant moins. Donc à moins de me faire piquer par un truc complètement fou et novateur… Par exemple Shingeki no kyojin j’ai pris mais parce qu’y a justement une proposition un peu différente. C’est moins sur les personnages. C’est beaucoup plus accès sur comment le monde se développe. Du coup j’ai l’impression d’être sorti de ma période shonen et comme prévu par les japonais je suis plus dans une période seinen. C’est ce que le monde du manga te propose. Passer d’adolescent à adulte. J’suis exactement dans le plan prévu par tous ces gens.
J’imagine que quand t’as fait le tour de tous les shonens principaux, ça devient un peu répétitif.
Bah c’est toujours la même chose. Le seul qu’arrive à te proposer un truc un peu différent c’est One Piece, et en fait je pense que c’est une question de longueur. Mais ce que je te dis aussi sur la hype c’est ce truc de découverte des nouveaux shonens. Parce que s’ils avaient pas saboté Naruto comme ils l’ont saboté, et que Kishimoto continuait de sortir Naruto mais pas Boruto. Si Naruto était encore aussi épic que One Piece, je serais peut-être hypé toutes les semaines. Sauf que Naruto c’est très vite devenu très mauvais. Passé l’arc Pain, Naruto ça va plus du tout. Et One Piece c’est long… Et j’ai pas de doute que quand t’es piqué je vois l’epicness que c’est d’attendre son scan ou son épisode. Je remets pas du tout en question la qualité du shonen. Pour moi c’est indubitable que c’est le meilleur shonen. Oda il est trop fort. Il a réussi à prendre tout ce qu’il y avait de bien, enlever au maximum ce qui était éclaté, pour avoir une espèce de quintessence du shonen. C’est juste que le shonen m’intéresse moins. La progression par le haut ou t’es toujours plus fort, ça m’intéresse moins. Les progressions plus deep. Avec un exemple pas très orginal, Berserk, c’est vraiment pas vers le haut que ça se passe, plus en profondeur. C’est des trucs qui me parlent mieux maintenant.
Surtout que, tu parles de Naruto, mais dans la même idée avec Dragon Ball à l’époque, au moment où GT est sorti ils ont dû se dire…
Alors attention parce que moi je suis un mec de Dragon Ball GT. Je suis pas loin de penser carrément que c’est la meilleure partie de Dragon Ball. Et j’pense qu’on est 4 sur Terre. C’est pareil, Dragon Ball c’est bizarre parce que c’est très nul en matière de scénario. C’est vraiment une question de style. Pour moi Toriyama il est trop fort en tenues, les postures, les façons qu’ils ont de se tenir. C’est tous des videurs, on dirait tous qu’ils tiennent des sorties de boite. J’sais pas pourquoi j’aime bien GT, mais j’aime mieux que la fin de DBZ. Comme tout le monde je préfère Dragon Ball parce qu’à ce moment-là c’était vraiment top et c’était même pas un shonen. C’est juste l’histoire de San Goku. Mais j’aime bien GT. C’est juste le côté redondant qu’a malgré moi fini par m’avoir. Alors que c’est ce que je trouvais rassurant dans le shonen, d’avoir cette progression constante prévisible. Et que même quand t’allais te prendre un twist ou un truc imprévu, y a ce truc très confortable que tu vas retomber sur tes pattes. Ou que ça va finir par rentrer au bateau ou à Konoha. Un truc très rassurant qui maintenant me gonfle un peu. J’sais pas je suis moins sensible. Peut-être aussi parce que j’en ai tellement mangé que maintenant j’ai envie d’autres choses.
Faut que les propositions varient aussi. T’as cité Fairy Tail tout à l’heure, pour moi c’est la quintessence du problème des shonens sur cette répétitivité des arcs. Et qu’y a jamais de problèmes réellement.
Ouais, de toute façon Fairy Tail c’est vraiment pas très bien. On bascule dans le côté du shonen où moi je peux pas aller quoi. À défaut que ce soit ultra répétitif, pour moi faut au moins qu’un manga il est son petit truc unique. Fairy Tail c’est même pas le cas. Je suis même incapable de me souvenir du nom d’un personnage tu vois. Et y en a énormément des shonens comme ça.
Rien à voir, mais pour rester dans les mangas. Le fait que le personnage principal de Lune Noire ait un bras et une jambe en moins c’est une référence à Full Metal Alchemist ou pas du tout ?
C’est pas une référence parce que c’est pas les mêmes raisons dans l’histoire. Mais après je te mentirais si je trouvais pas ça extrêmement badass la dégaine des frères Elric. Donc oui. C’est clair qu’en tout cas c’est pas anodin. Après je l’ai pas fait en me disant “on va le mettre comme Edward”. Mais par contre si tenté que j’ai une place dans l’histoire pour qu’il se fasse péter un bras et une jambe très tôt et qu’il ai ça à la place, j’étais bien content que ce soit possible.
Et toujours dans ce clip-là, comme on a parlé d’Hunter x Hunter, pour moi y a une légère inspiration dans l’utilisation de l’électricité façon Kirua. Ça peut s’apparenter à beaucoup d’autres choses mais…
Ouais ça pourrait aussi être le chidori. Mais le truc en tout cas, c’est que Manu le dessinateur du clip et de la BD, c’est sûr que c’est un bousillé d’Hunter. Lui pour le coup il est encore plus scientifique des mangas que moi. Il regarde absolument tout sans aucune distinction de qualité, il consomme tout. Et je pense que c’est un mec qu’est très très influencé par Hunter et One Piece. Mais de toute façon Hunter, au risque de faire rager les fans de One Piece… c’est le meilleur shonen. Enfin non, c’est sans doute One Piece le meilleur shonen, mais si One Piece avait dû durer 273 épisodes ça serait sans doute beaucoup moins bien qu’Hunter. En terme de synthèse Hunter il est trop trop chaud. Il a fait un des meilleurs shonen en moitié moins de temps que tout le monde.
Y a autre chose dans l’album, tu parles beaucoup de niveaux, de missions, et même de compétences, avec des phrases comme “t’as tout mis dans la sagesse j’ai tout mis dans la colère”. On pense forcément aux jeux vidéo. À quel point tu penses ta vie comme un jeu vidéo ? Et à quel point tu penses le rap comme un jeu ?
Pour moi c’est plutôt dans l’autre sens. Ça vient pas vraiment du jeu vidéo. Si on remonte à l’origine aux jeux de roles. Les mecs se sont dits à un moment “il fait trouver un moyen de définir les personnages dans ce qu’ils sont capables de faire, comment on fait ?”. Et “bah on va faire un tableau, on va dire force, intelligence, dextérité, charisme, et puis on va leur mettre des stats sur 20”. C’était Donjons et Dragons, et après chacun a fait son petit système. Et ça a infusé jusqu’aux jeux vidéo. Jusqu’au fait qu’encore maintenant on a pas trouvé de meilleurs moyens de hiérarchiser les compétences d’un personnage. Donc moi pas du tout. Évidemment que dans la vie j’me dis pas “j’ai pris un point de dextérité cette semaine parce que j’ai réussi à enjamber la barrière devant chez moi sans me viander”. Par contre je trouve ça très pratique, c’est un moyen infini de donner des reliefs à des personnages qu’en ont pas, parce que quand tu crées un perso dans un jeu, notamment dans un MMO. Ton personnage il a pas de relief. Toute sa personnalité s’exprime par son stuff et ses compétences. Ils ont pas d’expressions de visage, de sentiments. Et du coup je trouve ça très rigolo de déporter ce truc là sur les trucs de la vie. Mais moi tu vois je suis jamais en quête d’accumuler de l’expérience. Comme tu peux l’être dans un jeu dans ma vie. J’me dis jamais “bon j’vais faire ça, ça, ça, j’aurais appris ça, je saurais faire ça et du coup je pourrais porter ce truc là”. Mais par contre je trouve que c’est rigolo à utiliser dans un couplet de rap, parce que c’est une façon très très simple de véhiculer une idée. Si je dis “t’as tout mis dans la sagesse j’ai tout mis dans la colère”. C’est beaucoup plus simple pour moi de dire ça, comme je te disais tout à l’heure, que de dire “alors mes choix dans ma vie m’ont amené à devenir quelqu’un de plutôt colérique tandis que toi tu as fait l’effort de…”. Infini tu vois. Donc ça me permet pareil de synthétiser des idées très très simples, mais encore une fois avec cette contrepartie que si t’as pas la ref, t’as juste l’impression que je m’exprime mal. Si ma grand-mère elle lit cette phrase elle va juste me dire que cette phrase n’est pas bonne syntaxiquement. Et en fait elle aura raison. Je vais pas m’amuser à lui faire finir The Witcher… Donc ça a une fin ce truc-là, la limite c’est que tu t’adresses qu’aux gens qui ont la ref. Du coup c’est un choix, et c’est pour ça que je fais pas que ça.
Et donc tu parles beaucoup de missions. Je le vois par le biais des jeux vidéo, mais on parlait de Fairy Tail ou Naruto, ils sont un peu dans ce même état d’esprit d’aller faire des missions. Donc j’imagine qu’en fonction de tes propres références tu vois pas ces termes de la même manière.
Ah ouais mais de toute façon le principe de quête je kiff trop. Et je l’utilise beaucoup parce que je trouve ça fort pratique. Mais transpose n’importe quelle quête secondaire de RPG dans ta vie. Ça ne peut jamais se passer aussi simplement. “Va chasser 6 sangliers”. Personne se demande comment tu fais pour les ramener. T’as tué 6 sangliers, t’es plus intelligent. Personne comprend pourquoi. Tu l’as fait, c’est bien, on te donne de l’expérience. Dans le vrai monde ? Beaucoup plus relou. Va chercher 6 sangliers. Tu t’organises, tu y vas, tu les chasses, faut les ramener, t’as de la boue partout, tu les stock chez toi, ça pue, tu les ramènes au mec qui te les a demandé, ils sont faisandés, faut y retourner. Infini tu vois. Du coup je trouve ça très pratique le système de quête. Et ça c’est plus un truc que je peux appliquer dans ma vie dans comment j’essaie de simplifier mes objectifs au maximum. Le but c’est ça, donc va là bas. Et essaye d’occulter tout ce qui fait que ça va être compliqué d’y arriver. Fixe-toi juste sur le fait d’arriver à cet endroit-là et fait le.
En tout cas c’est sûr que les jeux vidéo, ça m’a énormément aidé à mettre un semblant d’organisation dans ma vie. Et pas du tout l’école par exemple. L’école je trouvais ça toujours très très désorganisé comment on te demandait d’atteindre tes objectifs. Alors que dans un jeu vidéo, c’est très lisible. “Tu veux ça, fait ça”. Ça m’a permis de me construire des schémas d’objectifs dans ma vie à moi. Je suis persuadé que c’est hyper éducatif. Moi je suis la génération en plus où on expliquait encore aux gens que les jeux vidéo c’est dangereux pour les enfants. Moi c’est tout l’inverse je sais que c’est sûr et certain que ça a participé au fait que je sois pas con comme un manche.
Les jeux vidéo ça te permet beaucoup de compartimenter.
Même le principe de farming, j’aurais pu le comprendre à l’école. J’aurais pu comprendre que faire ses devoirs ça servait à moins s’emmerder devant les contrôles mais à l’école on me l’a très très mal expliqué. Alors que le délire de “passer trois niveaux et récupérer du stuff avant d’aller en mission” je l’ai beaucoup plus vite compris alors qu’en fait c’est exactement la même chose. C’est juste de te préparer à ce qui va t’arriver sur le coin de la gueule. Si les mecs qui travaillent en game design faisaient les programmes scolaires, ce serait incroyable. Ils sont très très très chaud sur comment te faire comprendre très facilement, et de plus en plus. Y a des jeux, t’as pas de didacticiel, tu comprends exactement ce que tu dois faire. Par exemple, les Souls, c’est un truc fou. Le niveau de rapidité d’apprentissage que tu peux avoir sur un Souls c’est fou. Les enfants devraient finir Dark Souls à l’école ils sortiraient plus intelligents. Le projet d’autonomie dans Dark Souls il est immense. T’arrives, on te dit rien à la fin tu sais tout. Et ça, avec un minimum de fenêtre de textes, de cinématique et d’histoires. C’est que ton cerveau qui doit comprendre, c’est trop bien. Je suis persuadé que tu fais mûrir ton cerveau à une vitesse folle avec les jeux vidéo. Et je dis pas qu’y a pas d’autres moyens, mais si tu fais le poids de ce que ça apporte et retire à ton cerveau t’es clairement dans le positif tout le temps.
De manière générale dans ta discographie tu fais énormément référence à l’univers vidéoludique, là sur l’album y en a un peu moins mais ça va de Starcraft avec les protoss jusqu’à Mario Kart. C’est quoi pour toi la recette qui fait qu’un jeu te touche ? Vu qu’à priori, tu aimes beaucoup de choses différentes.
Je sais pas, c’est tellement vaste. Justement c’est ça qu’est très cool avec le jeu vidéo. T’as des jeux pour tous les emplois. Donc la recette je sais pas. Entre un Darkest Dungeon et Animal Crossing, ce qu’on te propose de faire est différent. Pour moi c’est pas une activité en soit le jeu vidéo. Là je suis en train de faire Disco Elysium, c’est pas du tout une expérience de gaming. J’ai complètement l’impression de lire un bouquin. Après pour moi le truc le plus important c’est le rêve. En tout cas ceux qui marchent le mieux sur moi. Mais y a vraiment pour tout. Si t’as juste envie de former ton cerveau à être un hardcore gamer à Tetris c’est bien aussi. C’est pas du tout la même proposition que faire 100% sur Breath of the Wild. En tout cas pour moi la formule relativement parfaite c’est les Souls. L’équilibre, l’autonomie, la proposition d’apprentissage et d’élévation de toi-même. La satisfaction d’avoir réussi un truc. Le fait que le lore est ultra présent mais qu’on te l’impose pas. Et que c’est à toi d’aller lire la description des objets ou de parler 9 fois au PNJ pour extraire le truc. Moi je dirais que c’est ça qui me touche le plus. Mais ça veut rien dire. Le jeu auquel je joue le plus en ce moment c’est Binding of Isaac, en terme de lore c’est un peu particulier. Je sais pas vraiment parce que j’aime tout. Enfin non, j’aime pas Far Cry par exemple, ça m’emmerde.
J’ai l’impression que tu as souvent besoin d’un univers qui se détache de la réalité.
Pendant longtemps c’était ça. J’étais carrément réfractaire aux jeux réalistes. Mais en fait pas vraiment parce que par exemple tout ce qu’ils ont fait avec GTA Online sur GTA 5 je trouve ça dingue. Donc c’est pas tant une histoire de réalité qu’une histoire de créativité. Si c’est très créatif et que des gens se sont vraiment emmerdés à avoir une proposition incroyable, c’est très bien. Maintenant ce qui m’emmerde c’est les recettes. Parce que là j’ai dis Far Cry mais je pourrais très bien prendre un truc fantastique qui m’emmerde tout autant. Assassin’s Creed Valhalla c’est non pour moi, ça m’intéresse pas. Pas plus qu’Odyssey, qui m’intéressait pas plus qu’Origin, et en fait si j’ai envie de jouer à ça je joue à Witcher 3 et tout est dit. Mais voilà c’est plutôt la reproduction à l’infini de certains jeux qui va m’emmerder. Le fait de répéter le geste, que ce soit toujours la même chose, les quêtes Fedex ça m’emmerde. Les jeux qui sont remplis de ces quêtes là, qu’ont l’air d’être hyper denses alors qu’en fait ils sont tout vides de l’intérieur avec des open world immenses, ça m’intéresse pas. Je trouve qu’y a infiniment plus de trucs dans Binding of Isaac et ses 9 niveaux, que dans Assassin’s Creed Odyssey et sa map gigantesque.
Surtout que la rejouabilité d’Isaac elle est monstrueuse.
C’est infini. Mais moi je pète un plomb parce qu’en plus je commence tout juste à être dans la phase où je sais bien jouer. Je connais les objets, je commence à comprendre ce que je peux faire en terme de synergie, un peu bien. Et c’est incroyable. C’est un jeu incroyable. Comment optimiser ton étage. Comment dans un étage en apparence t’as rien et tu finis avec 4 coeurs en plus. C’est très très satisfaisant. Isaac c’est vraiment un jeu, quand t’as réussi une run tu te sens intelligent. Tu te dis “j’ai bien niqué le jeu”. Donc ouais pendant longtemps, d’ailleurs pas que dans le jeu vidéo, j’avais besoin qu’on m’emmène dans des univers hors réalité pour que ça me plaise. Maintenant moins. J’ai surtout besoin que ce soit créatif.
Pour rester dans les univers créatifs, toujours dans Inunaki tu parles de Cthulhu, et sur un autre titre tu dis “Elle et moi c’est comme dans les bouquins”. Même question que pour les mangas, si t’avais le choix de vivre dans un livre ce serait quoi ?
Laisse-moi réfléchir une minute parce que j’ai très envie de te répondre quelque chose, que j’ai pas envie de te répondre. Si j’y réfléchis pas du tout j’pense que c’est le Seigneur des Anneaux. Mais un peu comme Naruto c’est un truc d’enfance. Je crois que malgré le fait que c’est pas forcément la meilleure écriture, le meilleur lore et tout, je crois que le monde d’Harry Potter ça me plairait bien. En tout cas quelques années à Poudlard ça me ferait bien marrer. Après ça pourrait être 1000 trucs. Ça pourrait être Les Princes d’Ambre. Ce serait sans doute pas un truc de réalité en tout cas. J’irais sans doute pas me foutre dans un roman de Balzac.
On pourrait parler cinéma ou série parce qu’y a encore quelques références dans l’album par-ci par-là, mais il y a une phrase marquante, je trouve, dans Top Boy, c’est “J’suis comme les Grelots dans les tableaux de Magritte, tantôt dans les nuages tantôt dans la rue”. Tu veux bien parler un peu de ton rapport à ces tableaux ? Et à cette récurrence dans l’œuvre de Magritte.
Magritte c’est ouf. C’est pas forcément un peintre que j’aime beaucoup mais par contre j’me souviendrais toute ma vie de quand j’avais 12-13 ans, y avait une expo Magritte au Jardins du Luxembourg à laquelle je suis allé avec ma grand-mère. Et en fait j’allais souvent voir des expos avec ma grand-mère, et les expos de peinture, quand t’es jeune c’est un peu particulier parce que pour qu’elle soit intéressante y a tout le rapport à l’histoire de l’art qui va autour qu’est nécessaire. Une expo de Rembrandt si tu veux l’embrasser un peu correctement c’est mieux de connaître le contexte, les peintres d’avant, qu’est ce que Rembrandt a permis de faire aux peintres d’après. Et Magritte j’me souviens très bien. Juste je suis rentré et j’ai pas compris ce qui m’arrivait, les peintures étaient folles. Magritte c’est un espèce de peintre surréaliste. Il peint des bouquins de science-fiction quoi. Donc ouais j’arrive et je me prends une espèce de grande toile avec un château qui vole dans le ciel. Puis à côté je me prends une toile avec une fenêtre avec un carreau pété et le décor qu’est resté figé dans les carreaux de la fenêtre qui sont brisés au sol. Des trucs hyper visuels et simples à comprendre. Ça m’avait grave marqué petit. Et les Grelots de Magritte, si je dois être très franc, j’en connais très peu sur la symbolique qu’il a voulu mettre dedans, mais j’aime bien la répétition en art. On en parlait au début, tu vois comment je fonctionne. Moi dès qu’un artiste commence à être un peu obsess, à dessiner toujours la même chose, ça me plaît beaucoup. Même en terme de geste technique. Faut imaginer que le mec a passé des années et des années à sciencer sa façon de peindre des grelots. Je trouve ça très très satisfaisant. Donc c’est de ça que je parle.
Et la ref elle est un peu dans le sens aussi où, il fout des grelots partout, essentiellement dans des endroits très inappropriés. Trois grelots dans le ciel on sait pas trop pourquoi, ou une nature morte avec une corbeille de fruits et tu sais pas pourquoi, derrière la table, y a un énorme grelot posé. Y a un peu un côté “moi mon truc c’est les grelots, j’ai même pas besoin d’avoir une raison pour les mettre là, donc m’emmerde pas j’ai décidé qu’y avait un grelot-là et c’est comme ça”. Et moi je peux avoir un peu ce truc-là.
Il y a presque un côté énigme, et même d’interprétation. Le fait qu’il y ait des grelots tout le temps, quand tu regardes ses tableaux, c’est pas écrit pourquoi ils sont là. Donc le spectateur se fait sa propre interprétation de pourquoi ce truc là revient tout le temps.
C’est ça. Moi j’aime bien que ça t’appartienne pas en tant qu’artiste. Que les gens en fassent un peu ce qu’ils veulent. Dans le genre, ALT 236 a fait une vidéo sur L’ile aux morts, qu’est un espèce de tableau qui a été énormément réinterprété et repeint par plein de mecs. Un jour un mec a fait un tableau de l’île aux morts, ça a percé le cerveau de tout le monde et tout le monde peint des îles aux morts maintenant. Je trouve ça fou ce truc-là. Ça parle un peu de cette histoire de grelots, de répétitions, de l’obsession de l’artiste à refaire toujours la même chose.
Ce truc des grelots me fait penser à une autre phrase. Dans Docu tu dis “heureusement qu’y a eu des chanteurs, des peintres ou des musiciens”. Tu dis dans le son que c’est quand t’avais 14 piges, et la Magritte tu m’as dit que c’était quand tu avais 12-13 ans, donc finalement ça se répond. C’est quels artistes ou quelles œuvres qui t’ont sauvé à cette époque ?
C’est infini. Le truc c’est qu’à cet âge-là t’es tellement boulimique d’assimilation, qu’en fait tu prends tout. Et en plus tu prends tout relativement également. C’est pour ça d’ailleurs que pour moi y a une petite mission de l’artiste à pas raconter trop n’importe quoi. Moi à ce moment-là j’intégrais avec la même importance un couplet de Lunatic, une chanson de Tryo et une toile de Dali. Pour moi l’adolescence c’est un moment où t’es une espèce de méga éponge. Et du coup c’est un peu ça que je dis. Heureusement qu’y a eu tous ces gens pour me proposer une vision du monde un peu moins triste que juste quand je sors de chez moi. Je sais pas si j’aurais su faire avec juste ce qu’il y a dehors. Si j’aurais trouvé le beau de la vie tout seul. Et les artistes sont extrêmement importants dans la société à ce niveau-là et surtout à cet age là. Peut-être qu’après on est plus en étude des artistes, essayer de comprendre en profondeur ce qu’il se passe, pourquoi lui il a fait ça et tout. Mais à 14 ans, jusqu’à 20 ans même globalement, tu es une espèce d’éponge et tu reçois tout. Je sais pas si tu te souviens mais à 15 piges, les premiers films traumatiques que t’as vu où à la fin tu restes assis bêtement devant le générique et tu te dis “je viens de voir quelque chose de complètement fou”. Ça me l’a fait avec plein de films, notamment plus jeune qu’à l’adolescence ça me l’a fait avec Fight Club. J’étais assis en mode “bon, qu’est ce qui vient de se passer”. Et c’est hyper important ces trucs-là. Alors que c’est sûr que si j’avais vu Fight Club pour la première fois cette année, sans me faire spoiler avant, ben effectivement c’est un bon film. Mais je sais pas du tout si ça aurait activé des leviers aussi fort dans mon cerveau qu’à l’époque. À la fin de Fight Club j’me suis dis “ok, tu peux mindfuck complètement les gens avec une histoire”. Et du coup y a rien de fou parce qu’en plus dans Fight Club il utilise des twist somme toute assez classiques. C’est pas non plus la grande révolution. Mais moi ça m’avait ouvert une fenêtre de l’esprit sur, comment à l’aide d’une œuvre d’art tu peux niquer la raison de la personne qu’est en face de toi. Et comment tu peux la forcer à réfléchir à des choses auxquelles elle avait pas du tout prévu de réfléchir en se levant le matin. Mais ce que je retiens dans cette histoire c’est pas Fight Club, mais plutôt qu’à cet âge-là t’es hypersensible à recevoir les œuvres d’art, et les trucs en général. Et moi je le vois, chez les gens qui sont très jeunes et qui m’écoutent. Les proportions que ça peut prendre et l’importance que ça peut avoir chez certaines personnes. Et c’est grave une fierté mais c’est une vraie responsabilité. Ce mec-là il se lève le matin, il met du Sheldon a toute patate toute la journée. C’est sûr que là pendant quelques mois voir années il va penser Sheldon. Donc c’est mieux que j’essaie de limiter le nombre de saloperies que je mets à l’intérieur.
Moi un des derniers trucs où j’étais hypersensible et j’étais extrêmement réceptif, c’est la Sexion d’Assaut. C’est quand on commençait le rap donc à la fin de l’adolescence, où j’ai complètement pris le truc. Je connaissais tout par cœur, avec Népal on écoutait tout en boucle. Et ça c’est un des trucs qui m’a vachement éveillé sur l’importance de ce que tu mets dans tes chansons, parce que Sexion d’Assaut ils racontent grave de la merde. C’est hyper homophobe, hyper misogyne. Y a plein de trucs qui vont pas du tout dans le discours. Et je vois comment j’ai pu être une éponge de ça alors que c’est extrêmement loin de ma façon de penser, et ça c’est un des trucs qui m’a éveillé sur la responsabilité que t’as en tant qu’artiste de pas véhiculé trop de trucs de merde aux autres.
Ouais et quand une œuvre te marque ta réalité se déforme aussi un peu, et ta perception des choses et des gens.
C’est clair y a une espèce de distorsion entre ce que tu penses et ce que la personne a bien voulu te faire croire que t’es d’accord avec elle qu’est fou. Et quand tu te réveilles de ce truc-là tu te dis “mais qu’est ce qu’il raconte”. Et ça, ça joue dans mon rapport à l’art et ma façon de penser mes chansons.
Avant dernière question, dans l’album et depuis toujours, tu fais énormément référence au Dojo et à la 75e session, et les featuring sont en majeure partie fait en famille. Ça fait des années que le collectif et l’endroit existe, comment t’as vu l’évolution de tout ça ? Et comment tu vois la suite ? Notamment avec des artistes comme Zinée qui reprennent un peu le flambeau.
La suite je veux pas voir parce que je déteste me faire spoiler les trucs, donc j’essaie de pas trop y penser on verra. Et l’évolution ça a été un truc de ouf. Le Dojo c’est fermé, on a fermé le lieu y a quelque temps. La maison existe toujours mais y a plus de studio et nous on est en train d’ouvrir un nouveau studio, qui va avoir un nouveau nom. Il va s’appeler Studio Winslow, en référence au personnage de Phantom of the Paradise. Donc le nouveau studio on verra. Et en termes d’évolution ça a été une aventure de fou. Ça a été 10 ans de vie commune avec des gens à faire de la musique dans un studio, une maison où on vivait au-dessus du studio en coloc et tout, c’est une expérience de fou. Moi ça m’a forgé et c’est ce qui fait que je peux faire ce métier et que j’ai même une légitimité à le faire. J’ai fait mes armes, appris à mixer des morceaux, faire des prods, mieux rapper. Mais aussi en jouant aux jeux vidéo, en lisant des mangas, en faisant des jeux de rôle avec les gens. Donc c’est un truc hyper important pour moi. J’en parle souvent, j’essaye de pas être nostalgique parce qu’en vérité je trouve qu’on s’en sort très bien. On est tous proches, on continue de se voir, chacun fait ses trucs, on est pas comme dissous. Valise ça envoie peut-être une ride un peu nostalgique mais c’est plutôt un espèce d’hommage à ça. A notre vie ensemble et au fait que j’ai eu de la chance dans ma vie d’avoir une deuxième famille. Déjà avoir une famille c’est super mais quand t’as la chance d’en avoir une deuxième c’est précieux. Et je sais que tout le monde n’a pas ça. Donc j’en parle souvent parce que c’est un moyen de leur rendre hommage et de nous féliciter d’avoir réussi à avoir ce truc-là ensemble. Je considère que c’est une chance éternelle d’avoir eu ça.
Toute dernière question, le site s’appelle VraisSavent en référence au titre Les vrais savent de Lunatic. D’après toi c’est quoi LA chose essentielle que les vrais devraient savoir ?
Les vrais savent que l’art c’est pas anodin. Les vrais savent l’importance et la fonction sociale que joue l’art dans la société. Et que c’est extrêmement important en terme d’équilibre, au même titre que les sciences humaines, les sciences, et ça participe grandement à notre équilibre psychique à tous.