Jeunes et ambitieux
PochettesCette semaine, Dinos et Loveni ont illustré leurs disques par une photo d'enfant. Une tendance finalement assez répandue dans le rap, mais qui peut avoir toute sorte de significations. Retour et tour d'horizon sur ces pochettes incarnées par un ou plusieurs jeunes, et sur leurs différentes déclinaisons présentes dans le rap français.
En 1994, deux albums classiques du rap américain sortaient, chacun arborant une photo d’enfant : Illmatic de Nas et le malheureusement prophétique Ready to Die de Notorious B.I.G.. Les rappeurs en question n’ont rien inventé, mais ont popularisé un type de cover qui sera énormément repris dans le milieu du rap, aussi bien américain que francophone. Depuis, des dizaines de disques ont eux aussi eu droit à leurs illustrations composées d’un ou plusieurs marmots, qu’il s’agisse de photos d’archives, de mise en scène ou de montage. Avec la sortie cette semaine, de deux albums incarnés par des enfants, Stamina, Memento de Dinos, et In Love de Loveni, retour sur ce type de pochette, aux symboles et visions multiples, ainsi que leur place dans le rap français.
Avant même de voir les tendances et les types de pochettes représentées par des enfants, il faut bien comprendre que ces covers ne sont pas des cas isolés, et les Américains ne sont pas les seuls à avoir eu des classiques de ce genre. Les jeunes ont été représentés dès les années 90 sur les disques des rappeurs français, et certaines pochettes sont devenues iconiques. Déjà en 1995, Assassin présente une des covers les plus emblématiques de sa décennie avec le disque L’Homicide volontaire. S’en sont suivis, plusieurs albums, connaissant un certain succès et ayant été reconnus nationalement, alors que figuraient justement des jeunes sur leurs jaquettes, de Youssoupha à La Caution, en passant par Zoxea ou encore Despo Rutti.
À l’image du disque de La Caution, ou bien celui du « bon gamin« , Loveni, sorti cette semaine, le style le plus courant et répandu est sans doute la simple photo d’archive du rappeur en question, dans sa jeunesse. Mais les pochettes peuvent être drastiquement différentes en fonction des intentions. Comme pour ces deux disques, ou certains sortis ces derniers mois (Darryl Zeuja, Djado Mado, Tonio le Vakeso), il y a d’abord celles qui reprennent un portrait simple du rappeur, enfant, sans artifice.
Utiliser une photo de soi à un âge primaire est un acte relativement ordinaire mais peut avoir de nombreuses significations. Que ce soit pour montrer que l’album est un commencement, qu’il a été fait avec une certaine “innocence” comme une première fois, ou bien qu’il retrace la vie de l’artiste depuis ses débuts dans la vie, les interprétations possibles sont multiples. Innocence ou évolution, la pochette seule ne révèle souvent pas tout et c’est à l’écoute du disque que l’on comprend (ou non) sa signification. Mais comme le portrait seul n’apporte pas nécessairement d’éléments de réponses assez précis, certains rappeurs choisissent d’anciennes photos où l’environnement, leur pose, voire même leur tenue est singulière.
De la même façon que les autres photos d’archives, certains rappeurs sont représentés jeunes, mais cette fois en famille. Symbolique particulièrement importante chez Bigflo & Oli ainsi qu’Hayce Lemsi & Volts Face puisqu’ils sont frères dans la vie. Leur complicité, en musique comme dans les textes, est immédiatement montrée par ce rapprochement sur la pochette. De manière différente Youssoupha représente l’attachement à sa famille par une photo de sa grand-mère et de ses petits fils, accordé avec le titre du disque : Polaroid Experience. Cette présence de la famille n’est d’ailleurs pas réservée aux photos datées, il existe le même cas à différentes échelles dans le rap français.
Disiz en a fait une quasi-spécialité puisqu’on retrouve ses enfants sur plusieurs de ses disques, pourtant parus à près de dix ans d’écart. Là encore, les significations sont drastiquement différentes, entre le côté équipe prête à tout pour Rap Machine et le côté quasi-divin de Les histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue. Mais le rapport à la famille qu’il a fondé, et surtout la pose de l’enfant dans les bras existe aussi dans plusieurs déclinaisons.
Cette présence des enfants des rappeurs, sur les pochettes, est devenu récurrente. Si les enfants ici sont beaucoup plus jeunes, Alonzo et Gradur amènent une idée d’argent et d’armement où les balles sont omniprésentes. Comme si leur éducation était faite pour les préparer à une certaine violence. Gradur reprend d’ailleurs presque trait pour trait la cover de Doc Gynéco, qui elle, est beaucoup plus sobre. Mais ce n’est pas la première fois qu’il reprend une pochette déjà existante. Pour son disque Where is l’album de Gradur, incarnée aussi par un bébé, à son effigie, il reprend Ready to Die. Et évidemment il n’est pas le seul à illustrer son disque avec un enfant en bas âge.
Les pochettes avec un bébé gardent plus ou moins la même idée qu’avec les photos d’enfants classiques, simplement le parcours part d’encore plus loin. D’ailleurs, l’information est répandue, mais sur l’album de JoeyStarr il s’agit en réalité d’une photo de son fils. Seulement, dans son regard, comme dans celui de Joke jeune, il y a une idée de détermination, comme si dès leur plus jeune âge, ils étaient prêts à briller. Et c’est justement une des caractéristiques de certaines autres covers. Comme celle de Zoxea sur À mon tour d’briller, qui annonçait clairement une envie d’aller au sommet, certains rappeurs, juste à travers leurs pochettes, montrent cette volonté de hauteur.
La coupe de champagne pour Busta Flex, qui ferait presque jeune entrepreneur, la tenue et la pose de Tito Prince, le regard de GLK dans le miroir, chacun incarne à sa façon une réussite future. Il faudrait même rajouter la cover de Memento, où l’enfant qu’on voyait sur le disque de Stamina, guidé par Dinos, est devenu un champion. Au même titre que l’artiste lui-même est enfin reconnu et couronné de succès avec son dernier disque. Que les photos soient datées ou pris récemment, la notion de parcours est toujours présente. Et cette soif de succès, ou en tout cas d’aller plus loin, existe aussi en dessin.
Les titres (Super Héros, L’épée II justice) sont déjà largement explicites sur l’aspect vainqueur et justicier des rappeurs, mais les personnages et le fond apportent un background supplémentaire sur l’univers. L’inspiration des héros affichés au mur par Demi Portion, et, au-delà de l’inspiration asiatique, la notion d’atrocité avec la ville à feu et à sang pour Katana en font des œuvres à part entière, qui en disent long, avant même que l’artiste n’est besoin de s’exprimer en musique. Encore une fois, les enfants en dessin ont été déclinés de nombreuses façons, mais le collectif qui a le mieux su représenter cet âge, par leur concept, et par leurs pochettes, c’est Le klub des 7.
À l’image d’une classe (d’école ou de musique comme les deux disques se présentent), les rappeurs du klub des 7 ne font pas partie d’un groupe. Ces disques sont simplement un passage dans leur vie où ils se sont retrouvés à collaborer tous ensemble. Comme dans une classe, ils font parfois les choses ensemble mais ils ont leurs particularités et leurs individualités. D’ailleurs ils ne sont présents tous ensemble que sur peu de titres. La présence d’un groupe d’enfant n’est en revanche pas réservée au Klub, d’autres disques ont eu aussi pu faire passer une idée avec une pochette à plusieurs.
Si la détermination est incarnée par des rappeurs seuls, sur certains albums, elle peut aussi l’être par des jeunes en équipe. Qu’il s’agisse de la rue, la dure, la vraie, présente sur la pochette du 113, ou celle qui rêve peut-être de s’embourgeoiser sur le disque d’Abou Tall, tous les enfants présents montrent cette quête de se surpasser. Les visages, les poses, le contexte; sont différents, la musique aussi d’ailleurs, mais l’idée générale reste semblable. La rage que les enfants montrent sur la pochette du groupe porté par Rim’K est d’ailleurs perceptible d’une manière un peu différente sur un de ses disques solos.
Évidemment, le nom du projet, Monster Tape, n’y est pas pour rien. En plus du regard perçant des protagonistes de la cover, les enfants sont maquillés comme ils pourraient l’être pour Halloween. Ce maquillage de la fête des morts est aussi présent sur le disque de Columbine, et peut s’apparenter à une des caractéristiques des enfants, l’insouciance et une sorte de « folie douce« . Le disque de Rim’K fait exception, mais sur la pochette du groupe rennais et sur l’album de Naza, règnent une joie de vivre. Celle de ce dernier est d’ailleurs vraiment à l’image de sa musique, décontractée et épanouie. La cover est presque prémonitoire de son tube sorti quelques années plus tard, Souris Verte, repris de la comptine pour enfants. Au final si des ambiances ou des tenues peuvent se ressembler, chaque photo a son propre univers qui se rattache à l’artiste ou au groupe en question. Les enfants sont une source inépuisable d’inspiration, et il y a encore de nombreuses autres pochettes importantes, parfois uniques en leur genre, qui ont jalonné le rap français.
Encore une fois, si des similarités avec d’autres covers peuvent se faire, certaines sont vraiment singulières. Le testament de La Brigade a cet aspect vanité, la photo trouvée sur Internet par Columbine représente dans un sens les deux rappeurs principaux du groupe, et la pochette de Kalash Criminel est lourde de sens et frappe dès le premier regard. Presque toutes les jaquettes étant incarnées par des enfants, ont au moins une particularité qui les détache des autres, et qui symbolisent de près ou de loin la direction de l’album en question. Elles ont pour la plupart un point commun sur l’insouciance ou l’élévation, sur le parcours et sur les origines des artistes. Nul doute que de futurs covers seront encore illustrées par des enfants, qu’ils soient mis en scène, pris d’archives, ou même dessinés.
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Dinos - Stamina, Memento
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Loveni - In Love
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Assassin - Homicide Volontaire
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Zoxea - À mon tour d'briller
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La Caution - Arc-en-ciel pour daltoniens & Peine de maures
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Despo Rutti - Les sirènes du charbon
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Youssoupha - Noir D****
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Darryl Zeuja - Chilladelphia 2
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Djado Mado - Noor
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Tonio le Vakeso - J A M
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Bigflo & Oli - La vie de rêve
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Hayce Lemsi & Volts Face (Les frères lumières) - À des années lumières
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Youssoupha - Polaroïd Experience
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Disiz - Les histoires extraordinaires d'un jeune de banlieue
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Disiz - Rap Machine
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Doc Gyneco - Quality Street
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Gradur - L'homme au Bob
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Alonzo - Règlements de comptes
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Gradur - Where is l'album de Gradur
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JoeyStarr - Egomaniac
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Joke - Ateyaba
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Busta Flex - C pas sérieux
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Tito Prince - Un Roi dans un HLM
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GLK - Un jour ou l'autre
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Demi Portion - Super Héros
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Katana - L'épée II justice
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Le klub des 7 - Le klub des 7
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Le klub des 7 - La classe de musique
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113 - Dans l'urgence
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Abou Tall - Ghetto Chic
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Naza - Incroyable
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Columbine - Enfants terribles
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Rim'k - Monster Tape
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Sniper - Trait pour trait
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La Brigade - Le testament
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Columbine - Adieu bientôt
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Kalash Criminel - Sélection naturelle