Souviens-toi que tu es mortel
PochettesLa mort est inévitable, un sentiment que tout le monde connaît. Dans l’art pictural, représenter ce repos éternel porte un nom : la vanité. Crâne, fleurs, sabliers, nombreux sont les objets symbolisant ce côté éphémère, qu’on retrouve aussi dans les pochettes de rap français.
Memento mori, deux mots afin de ne pas oublier la fragilité de la vie. Deux mots utilisés depuis des siècles pour rappeler aux êtres humains qu’ils sont mortels. L’angoisse de la mort ou son acceptation ne sont pas des lots du monde moderne. Avec une espérance de vie moitié moins élevée que la nôtre, les hommes des siècles précédents y songeaient eux aussi. Guerres, pandémies, des mots déjà bien connus de nos ancêtres. Avec une lucidité réelle sur leur destin, quelques peintres ont initié un mouvement au XVIIe siècle, la vanité. Son intention pourrait être résumée par ces deux mots memento mori, « souviens-toi que tu es mortel ». De l’œuvre de Philippe de Champaigne en 1644 au crâne orné de diamants de Damien Hirst en 2007, l’art n’a cessé de montrer que la mort nous attend à la fin de la vie. Un message présent dans les textes de certains rappeurs, mais aussi directement dans les pochettes de leurs albums.
Pour symboliser le temps qui passe, et qui est loin d’être éternel, on utilise plusieurs objets dans la vanité. L’un d’eux, qui semble évident et présent sur le tableau de Champaigne, est le sablier. Lorsqu’on pense classique du rap français, quelques albums viennent en tête, et très rapidement se place l’un des piliers des années 2000, Temps Mort, de Booba. Le sablier, au centre de la pochette de l’album en dit long sur le disque, et semble raisonner avec le morceau Repose En Paix. Ici, c’est le rap à qui il reste peu de temps à vivre.
Loin d’être aussi classique, Espace Temps, le premier album de Maska reprend ce symbole du sablier. La ressemblance avec la pochette de Booba est apparemment involontaire, pourtant, on retrouve cette même idée du temps qui passe et qui finira par s’arrêter. Le rappeur de la Sexion D’assaut (présent aussi en fond), se retrouve dans le sablier, raccroché à un micro. Il n’apparaît alors pas comme le Duc, en tant que faucheuse du rap. Au contraire, la signification semble plutôt inverse, comme si seul le rap pouvait peut-être, le sauver de ce temps qui passe. L’aspect vanité se trouve alors moins évident, mais relativement présent.
Le but de la vanité est assez simple, représenter ce qui ternit, ce qui meurt une fois les secondes, minutes, années passées. Pour ça, la meilleure représentation possible reste le crâne, qui, quand on le confronte au regard de l’homme, le met face à sa propre existence et sa faible espérance de vie. À travers ces ossements, on se souvient immédiatement que nos jours sont comptés. Le crâne, est donc le principal symbole des vanités, et constitue l’élément principal de nombreuses œuvres du genre. C’est alors sans surprise que l’on peut aussi retrouver des crânes sur deux pochettes du rappeur Toulousain Furax Barbarossa.
Seulement, en tant que genre, initialement pictural, deux choix s’offrent aux designers des pochettes de disque. Le premier, reconnaître l’affiliation au troisième art. Avec cette méthode, les créateurs de l’identité visuelle d’un album peuvent se permettre de faire directement un clin d’œil à une œuvre plus ou moins connue. C’est dans cette optique qu’on retrouve la vanité de Philippe de Champaigne sur L’album Lent du groupe Le Pakkt.
La seconde solution, évidente, réutiliser les thèmes de la vanité en les modernisant et en les adaptant au propos du disque. L’expert du thème de la mort dans le rap français est sans aucun doute Fuzati. Ironiquement, son dernier album est intitulé Vanité, dans son sens premier du terme, à savoir proche de l’orgueil et de la vantardise. Pourtant, le rappeur du Klub Des Loosers a publié précédemment deux disques ressemblant d’avantage au second sens du terme. La Fin De L’espèce, son second album, arborait alors une pochette qu’on pourrait résumer en trois mots « On naît, on vit, on meurt« .
Le rappeur versaillais n’est pas le seul à avoir représenté la vanité sur une de ses pochettes. Bazoo par exemple, avec sa B-Tape dévoilait une cover qui pourrait presque s’apparenter à celle du Duc de Boulogne. Avec un crâne sur un vinyle, difficile de ne pas imaginer alors le message fort « le disque est mort » et par extension, le rap aussi.
D’autres artistes, eux, ont décidé de s’en donner à cœur joie sur leurs pochettes d’album. Pourquoi se contenter d’illustrer un crâne, quand on peut y rajouter sablier, bougie, fleurs, instruments ou fruits, tous les symboles que l’on retrouve dans les différentes vanités des siècles passés. Tous ces objets, qui ont chacun leur signification dans la vanité se retrouvent alors sur la sublime pochette en noir et blanc de L’homme Vivant de Lucio Bukowski et Haymaker. Ils se retrouvent aussi sur le dernier disque de Swift Guad et Al’Tarba, Musique Classique, où eux-mêmes sont représentés au milieu de ses items mortuaires.
Contenue aussi bien dans leurs morceaux que sur leurs covers, la mort est présente de nombreuses fois dans le rap francophone. Il existe bien évidemment d’autres vanités dans les pochettes d’album, comme sur les disques de Bu$hi avec la Bushi Tape, Butter Bullets avec Memento Mori ou encore Limsa avec Les Fleurs de Lisma. Sans oublier les disques qui représentent la mort de façon différente, avec des tombes, comme Renaissance de LIM, Le Testament de La Brigade ou encore de nombreux disques du rappeur VII. La mort est un sujet inépuisable, car commune à tous les humains, et elle sera sans aucun doute encore présente dans de nombreux futurs projets.
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Booba - Temps Mort
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Maska - Espace Temps
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Furax Barbarossa - Testa Nera
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Furax Barbarossa & Jeff Le Nerf - Dernier Manuscrit
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Le Pakkt - L'album Lent
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Klub Des Loosers - La Fin De L'espèce
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Bazoo - B-Tape
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Lucio Bukowski & Haymaker - L'homme Vivant
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Swift Guad & Al'Tarba - Musique Classique