La mélancolie cachée d’Al Green

Il n’est pas forcément le premier qui vient en tête quand on pense à la musique Soul. Pourtant, Al Green fait partie de ces grands noms, ces grands contributeurs, qui auront marqué le genre. Bien que sa carrière s’étende sur plusieurs décennies, la majeure partie de son œuvre est comprise entre la fin des années 60 et la fin des années 70. Durant cette période, il connait un gros succès aux États-Unis, si bien que son nom fini par s’internationaliser. Sa carrière a connu des variations plus ou moins importantes, mais certains de ses tubes ont traversé les époques. En tant qu’artiste de soul, genre de prédilection des samples de manière générale, il semble évident que certaines des mélodies d’Al Green se sont retrouvées dans le rap français.

La musique Soul est souvent associée à un thème, qui vient immédiatement en tête à l’écoute des tubes du genre : l’amour. Si les chansons d’Al Green, et de cette catégorie en général, ne sont pas toujours centrées sur cet aspect, il reste tout de même bien présent dans son œuvre. Une association paraît alors évidente, entre le chanteur américain et l’un des rappeurs français les plus connus pour ses expressions sentimentales. Pourtant, quand Doc Gynéco pose sur des boucles d’Al Green, ce n’est pas pour chanter les louanges d’une femme, mais au contraire parler de sa solitude.

Le combo des deux artistes aurait sans doute pu produire un titre plus joyeux. Cependant, contrairement à la plupart des cas, le rappeur de Clichy-sous-Bois a écrit sur le même thème que le titre d’Al Green. Choisir un sujet similaire à celui du sample est assez rare pour être souligné. En revanche, Doc Gynéco ne le fait pas à chaque fois. Sur le même disque, il reprend encore un titre du chanteur, issu du même album. Mais cette fois, le thème est complètement dissocié du morceau initial.

Utiliser deux extraits d’un même album pour produire un disque peut paraître relativement exagéré. Heureusement, les deux samples fonctionnent totalement, qu’ils respectent le sujet de la musique d’Al Green ou non. Les deux morceaux utilisés par Gynéco sont issus de l’album Call Me, sorti en 1973, alors que le chanteur de Soul est déjà bien installé en Amérique. La même année, il publie un autre album Livin’ for You, qui aura permis à Jeff le Nerf de construire un titre encore loin du thème de l’amour.

Le ton est vite donné. « Solitude en guise de prime de Noël« . Les rappeurs sont toujours loin du bonheur. Pourtant, Al Green, toujours dans sa lancée et son succès, multiplie les disques les années suivantes autour de l’amour. En 1975 il publie Al Green Is Love, qui contient un titre particulièrement utilisé dans le rap français.

Une fois n’est pas coutume, bien que le titre soit évocateur, les rappeurs ne parlent pas d’amour. Qu’il s’agisse de Guizmo ou de Morad de la Scred Connexion, leurs textes dépeignent un quotidien loin des paroles de I Wish You Where Here.

Ce même ton abattu s’entend sur un morceau du duo de Tepa et Princess Anies : Les Specialistes. Leur producteur Madizm a d’ailleurs repris le même titre d’Al Green , mais en le samplant à un endroit différent.

La fougue et surtout le succès d’Al Green commenceront à s’essouffler l’année suivante, en 1976. Avant d’entamer un changement de carrière vers le gospel, il publie l’album Have a good time. Loin des ventes de ses précédents projets, le disque s’est tout de même retrouvé dans les oreilles de quelques Français. Le titre Something est alors samplé sur les morceaux de Freeman et du duo Lucio Bukowski & Milka.

« L’amour enterré comme peut l’être une âme morte » – « Le moral à 0 en lisant le journal du matin« . Encore une fois, la malédiction d’Al Green frappe sur les rappeurs, qui explorent des sujets relativement ternes. Avant de s’orienter vers le Gospel, et avant la perte de succès, le chanteur a connu son apogée en 1972, à travers deux disques : Let’s Stay Together et I’m Still in Love with You. Le second, le plus vendu de sa carrière, s’est évidemment bien exporté. En France il aura permis notamment un storytelling bien particulier de la part du 113, grâce à une boucle hypnotique signée DJ Mehdi.

Si le disque s’est retrouvé en France, il n’est pas étonnant de se rendre compte qu’il a aussi eu un certain succès dans d’autres pays, notamment au Canada. La partie francophone du territoire, le Québec, s’est alors, comme la France, emparée des mélodies d’Al Green. Toujours dans I’m Still in Love with You, c’est justement le tube de l’album, Love and Hapiness qui sera samplé. D’abord par un des groupes québécois principaux des années 2000, Sans Pression.

À l’instar des Français, les rappeurs n’ont pas choisi Al Green pour parler d’amour, contrairement à ce que le titre utilisé pourrait laisser penser. Les rappeurs d’Accrophone, faisant actuellement parti du collectif Alaclair Ensemble, sont d’ailleurs les seuls à proposer un morceau relativement joyeux.

En l’espace d’à peine cinq ans, Al Green aura produit assez de morceaux pour inspirer énormément le rap francophone. Il est même possible d’entendre ses morceaux sur un freestyle des X-Men ou chez IV My People. Contrairement à ce que n’importe qui pourrait s’attendre, ce ne sont pas des morceaux radieux, mais plutôt sombres qui ont été produits grâce à sa musique. De nombreux sujets auxquels il ne s’attendait peut-être pas à être rattaché quand il a chantait dans les années 70.

Si vous aussi, vous avez déjà repéré un sample d’Al Green dans un morceau de rap, en particulier s’il est positif, n’hésitez pas à nous le dire sur nos réseaux. Si les samples vous intéressent, d’autres légendes dans la musique sont passés dans nos articles, de Bob Marley aux Beatles en passant par Serge Gainsbourg.