Miles Davis, révolution jazz

Il a collaboré avec les plus grands jazzmen de la planète. Il a donné, plusieurs fois, le ton à son genre musical. Il a traversé les décennies en ne cessant jamais de se renouveler. Miles Davis n’est pas un trompettiste comme les autres. Sa reconnaissance internationale, il la doit à un travail acharné et une envie d’aller toujours plus loin. En plus de 40 ans de carrière, il a défini les contours d’une musique mouvante, qui n’a eu et n’a de cesse d’évoluer. Il est de ces musiciens qui resteront à jamais fondateurs, façonneurs et innovateurs, d’un courant musical. Alors sans surprise, avec un répertoire si important et si long, il s’est retrouvé plusieurs fois dans le rap français.

Pour bien comprendre l’œuvre de Miles Davis, il faut revenir à ses débuts. Très rapidement dans sa vie de trompettiste, il rencontre le top du top des musiciens de jazz de l’époque. Dizzy Gillespie, Charlie Parker, ou encore la chanteuse Billie Holliday. Avant même d’être reconnu comme compositeur et musicien seul, il se fait remarquer dans des formations déjà connues du grand public. Seulement, après plusieurs années à se retrouver parmi ces groupes, il souhaite faire sa propre musique. Il part donc avec une idée en tête : trouver une autre façon de faire du jazz. C’est alors qu’à la fin des années 40, il révolutionne une première fois la musique, en inventant le « cool jazz« . Un style qui se veut complètement différent du bebop qui domine le marché à ce moment-là. L’idée est de faire une musique plus lente et avec plus d’arrangements face à une musique rapide et complexe. Même si l’engouement n’est pas tout de suite présent, les disques de cette période ont trouvé un public. Ils sont même arrivés jusqu’en France, puisque le groupe Odezenne, a samplé le titre Yesterdays sur son premier album.

Bien décidé à faire sa propre musique, il continue sur sa lancée et fini par se faire réellement remarqué en solo. Il forme ses premiers quintets avec une particularité qu’il gardera toute sa vie : toujours bien s’entourer. À cette époque, il est accompagné notamment par John Coltrane, qui deviendra aussi très vite une légende du jazz. Ensemble, et avec les autres membres du quintet ils continuent d’expérimenter. Ils forment alors un nouveau courant musical : le jazz modal. Sans rentrer dans les détails techniques, ce style, notamment popularisé par l’un des albums les plus importants du jazz mondial, Kind of Blue (toujours de Davis), contient peu d’accords et permet une grande part d’improvisation. Cet album, aussi classique soit il a résonné partout dans le monde. En terme de rap, on peut l’entendre à plusieurs reprises et à différentes périodes en France. Le titre Blue in Green par exemple a été samplé par deux artistes à priori aux antipodes l’un de l’autre. 20syl d’Hocus Pocus, et Ateyaba, à l’époque où il s’appelait encore Joke. Deux visions différentes des textes et de la musique, qui ont pourtant puisés au même endroit pour leurs sons.

Même si on peut entendre la trompette de Miles sur le titre d’Hocus Pocus, ce sont bien les « 73 touches » du piano qui sont essentielles dans ces deux titres. Derrière le clavier, encore une légende, le pianiste Bill Evans. On peut d’ailleurs l’entendre sur un autre sample tiré du même album. Dans le morceau So What, le trompettiste ne fait son apparition qu’autour des 50 premières secondes, mais ce sont les notes de piano des 15 premières secondes qui ont été samplées pour le titre d’Oxmo Puccino & Sadik Asken.

Après cet album, Miles Davis devient l’un des musiciens de jazz les plus importants au monde. Mais il n’est pas du genre à rester bloqué sur ses acquis et à refaire la même musique qui marche inlassablement. Il continue alors d’explorer de nouveaux horizons, de collaborer avec de nouveaux artistes, et puis, dans les années 60, la multiplication d’autres courants musicaux va le pousser à réinventer encore le jazz. Le funk et le rock l’inspirent particulièrement. Il est alors en pleine « révolution électrique« . Il s’entoure encore particulièrement bien, et devient un des précurseurs du jazz-fusion. Du jazz qui emprunte des instruments et des rythmiques du rock. De cette période sortiront de nombreux albums, et surtout, de nombreux titres repris dans le rap français.

Les premiers enregistrements qui annoncent cette révolution datent de 1967 et 68. On peut en entendre dans l’album Water Babies (sorti bien plus tard, en 1976). Le morceau éponyme de cet album a eu droit à un petit prélèvement pour être entendu un court instant dans le morceau Qu’est ce qu’on attend d’NTM sorti en 1995.

Cette période prolifique en disques saura alimenter toute une époque du rap français. La même année qu’NTM, ce sont Les Sages Poètes de la rue qui auront leurs samples de Davis. Seulement le groupe de Boulogne n’a pas utilisé un, mais deux titres du génie trompettiste.

Les artistes de cette époque ont dû se passer le mot, puisque Fabe se retrouve lui aussi avec un sample de Miles Davis et son jazz fusion dans son album Befa surprend ses frères, sorti la même année que Les Sages Poètes et NTM. Seulement cette fois l’extrait est tiré de l’album le plus connu de cette période de Davis, Bitches Brew.

L’année 1995 n’a pas été la seule à puiser ses boucles musicales dans la révolution électrique de Miles Davis. Sur le featuring entre La Brigade et Lunatic sorti en 1997, on peut par exemple entendre quelques notes tirées de Lonely Fire.

Durant toute sa vie, Miles Davis a continué de se challenger et de proposer une musique innovante à ses auditeurs. Dans les années 80 il flirt même avec le funk et la pop. Après sa mort en 1991, comme de nombreux autres artistes, il a eu droit à son album posthume. Sur ce disque intitulé Doo-Bop, on peut apercevoir ce qui aurait été encore un virage dans sa vie artistique : des collaborations hip-hop. Il avait peut-être déjà compris que ce courant musical serait la suite logique de ce qu’il avait entrepris, et qu’il finirait par être samplé par des beatmakers pour du rap. En tout cas, qu’il l’ai compris ou non, les membres de la Fonky Family n’ont pas hésité à rapper sur une boucle du titre Fantasy issu de cet album posthume.

En France, de nombreux moments importants de sa carrière ont donc été samplés dans le rap français. Cette accessibilité à ses disques, très tôt, a plusieurs raisons. D’abord, il a composé la musique du film Ascenseur pour l’échafaud en 1958. Le succès du film, ainsi que sa relation avec Juliette Gréco lui ont permis d’avoir un nom en France. L’année suivante, accompagné encore par Bill Evans et John Coltrane, il collabore avec Michel Legrand, un musicien jazz français, connu entre autres pour avoir composé, plus tard, les bandes originales des Parapluies de Cherbourg, de Peau d’Âne et des Demoiselles de Rochefort. De cet album, quelques notes du titre Django se retrouveront sur le morceau Guérilla d’Oxmo Puccino.

Difficile de trouver un artiste avec une constance pareille dans la qualité et l’innovation, avec une aura mondiale aussi importante. Miles Davis incarne sûrement mieux que quiconque le jazz et son évolution. Il aura su marquer son genre musical, plusieurs époques, en apportant toujours sa touche. Avec un répertoire aussi riche que le sien, il y a de très grandes chances que certains de ses morceaux soient encore samplés pendant des années.

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