Berserk, dark fantasy et rap

Dans le monde des mangas, il existe plusieurs catégories. Il y a d’abord les plus populaires : les shonens (Dragon Ball, One Piece, Naruto, GTO…). Ils sont destinés aux adolescents, avec, pour les plus importants, des récits souvent basés sur une ascension, une quête initiatique. Il y a aussi les shojos (Nana, Fruits Basket, Sailor Moon, Jeanne et Serge…), type de mangas « destinés aux jeunes filles« , avec là aussi, leurs propres codes esthétiques et des histoires souvent à base de romances. Et puis parmi toutes les autres catégories et sous-catégories, il en existe une autre très importante : les seinens. Destinés aux garçons, comme les shonens, mais plus âgés, la grande différence de ces mangas réside dans les sujets traités et souvent la violence aussi bien visuelle que psychologique qui est montrée. Et parmi les maîtres du genre, il y a Kentarô Miura. Un auteur qui a consacré la quasi-totalité de sa vie à une œuvre majeure : Berserk. C’est le premier manga de dark fantasy, très inspiré de Conan le Barbare, de peinture occidentale et, nécessairement, de l’univers médiéval. Et avec cet univers, tout ce qu’il peut engendrer : guerres de religions, hiérarchie hyper marquée entre noblesse, clergé et peuple. La misère a donc totalement sa place dans ce monde impitoyable, et les lourds traumatismes portés par la plupart des personnages apparaissent rapidement comme presque inhérents à l’époque du récit. Toutes ces caractéristiques ne prédestinaient pas à Berserk un tel succès. D’autant que, contrairement à la majorité des mangas ayant été écoulé à des millions d’exemplaires, l’œuvre de Kentarô Miura n’a pas eu droit à une adaptation animée digne de ce nom, hormis dans les années 90, mais s’arrêtant, de fait, assez tôt dans l’histoire. Pourtant, près de 35 ans après ses débuts, Berserk a marqué des générations, et des rappeurs.

Avant même de s’intéresser à son histoire, si Berserk est reconnu dans le monde entier, c’est avant tout pour deux choses assez liées. D’abord, la qualité du dessin, où les lecteurs sont unanimes. Rarement un auteur aura mis autant de détails dans les planches de ses mangas. Ensuite, la violence et le côté « trash » de l’œuvre, qui ne peut donc pas être dissociée de la qualité du dessin. Et ce côté « trash« , « gore« , c’est quelque chose que les rappeurs ont eux aussi bien retenus de Berserk.

Dans la même idée, même si cette fois, c’est un peu lié au récit, Vald dit se ressentir dans « Berserk et ses passions« . Rien d’anormal pour un titre aussi sombre que Kid Cudi. Mais tout de même, si vous avez lu le manga, vous savez qu’il vaut mieux ne pas connaître le même sort que les personnages.

Mais il y a plus important encore que le côté gore et impactant visuellement. Pour que le manga gagne en popularité des premières publications, il a fallu un personnage : Guts. Et ce qui l’a rendu identifiable, iconique, et a même inspiré de nombreux auteurs par la suite (à commencer par les créateurs de Final Fantasy 7), c’est son épée d’une taille démesurée.

Hasard, ou auto référence, le fait que les membres de Foulques Nera et Sheldon soient proches a peut-être joué sur l’écriture similaire de « Grande épée comme Guts« . Comme vous pouvez le constater avec la planche ci-dessus, impossible d’oublier une telle lame après l’avoir vu ne serait-ce qu’une fois. Dans la même idée esthétique, mais pas que (en particulier sur les derniers tomes), la tenue de Guts est un élément important de l’intrigue. Une armure qui n’aura pas échappé à Zeu.

Cette tenue, cette épée, elles ne sont pas là par hasard. Parce que, ce que fait Guts le plus clair de son temps, c’est combattre des démons. Malheureusement pour lui et comme le soulignent Django, Beamer et Mazoo, il porte une malédiction qui l’empêche d’être tranquille. Les démons sont continuellement à sa poursuite. La seule différence avec les rappeurs, c’est que pour lui il ne s’agit pas d’une métaphore.

Le contexte est posé. Berserk, ça parle donc d’un guerrier avec une immense épée, qui combat des démons presque malgré lui. C’est une longue histoire, et les lecteurs savent à quel point il ne faut pas spoiler l’intrigue du manga, mais si Guts a ces monstres qui lui tournent autour, c’est à cause d’une personne en particulier.

Rencontré dès les premiers tomes, Griffith va devenir un personnage capital, qui vous fera passer par toutes les émotions possibles. Car la grande force de Miura, c’est de créer des personnages ambivalents, où il peut être assez difficile pour le lecteur de se placer face à eux. Entre amour et haine, entre compréhension et incompréhension, entre admiration et mépris. Et cette dualité, elle n’existe pas qu’entre le lecteur et les personnages, mais aussi entre les deux personnages principaux, Guts et Griffiths. Deux grands rivaux, opposés, ayant un destin chargé et un rapport parfois ambigu. Toujours est-il que le faucon blanc comme il se fait aussi appeler, a une notion de la réussite et de l’ascension bien particulière.

L’un des chapitres les plus traumatisants et impactant de l’histoire des mangas… Quand HZY dit qu’il va être « leur éclipse« , soyez certain qu’il va être dans l’exact opposé de la douceur. Les références, à Griffith et à Guts tournent assez souvent autour des mêmes thèmes donc. L’ambition pour l’un, l’esprit torturé (et l’épée) pour l’autre. Et même si le manga regorge d’autres personnes importants, ils ne sont pas cités. À l’exception d’une femme, ayant un enjeu crucial dans l’œuvre : Casca. Malheureusement, son nom se retrouve très rarement, mais vous pouvez l’entendre dans la bouche de Cendar sur Oshod.

Autre point important, en dehors des personnages, c’est l’existence d’un objet très étrange appelé le beherit. Son utilisation reste obscure, proche en quelque sorte d’un pacte avec le diable, et ayant encore un intérêt considérable dans le manga. En plus de pouvoir le retrouver dans quelques textes, il est aussi sur la pochette d’album de Onze.

Les références sont souvent autour des mêmes thèmes, personnages et objets, mais aussi souvent faites par les mêmes artistes. Et il faut donc finir en parlant du rappeur Carson. Car si vous avez lu l’interview sortie il y a quelques semaines sur le site, ou simplement que vous êtes un de ses auditeurs, vous savez forcément à quel point le manga l’a traumatisé. Il a été si important qu’il parle de Berserk dans de nombreux titres. « J’les découpe en deux à la manière de Guts ou de Tapion » sur Shadow Moses. « Traumatisé comme Guts et l’éclipse » sur Bodie. Ou encore « J’vous calcule pas je suis là uniquement pour Griffith et ses apôtres » sur 300 Sseudi, pour ne citer que ces phases. Il a même un morceau intitulé Casca. Et si tout cela ne suffisait pas, sa trilogie d’EP sortie entre 2020 et 2022 se nomme Falconia, en référence à un arc entier du manga et une ville-monde importante.

Berserk fait partie des légendes, et il le sera sans doute d’autant plus maintenant que son auteur est décédé et que son avenir reste incertain. Il a inspiré toute la série des jeux de From Software (Dark Souls, Bloodborne ou très récemment Elden Ring), de nombreux auteurs de mangas et même la pop culture au sens large. Ses thèmes sur la profondeur et la noirceur de l’âme humaine en ont fait une référence absolue en ce qui concerne les mangas pour adultes. Même s’il n’est pas forcément à mettre en toutes les mains, en vue du sort réservé aux personnages, l’œuvre de Kentarô Miura reste et restera durant encore des décennies un des indispensable de la bande dessinée japonaise. Alors sans aucun doute vous en entendrez encore parler dans le rap français.

Si vous aimez les mangas, mais plutôt de type shonen, vous pouvez lire l’article sur les références à GTO ou bien celui sur celles faites aux personnages de l’équipage de Luffy dans One Piece. Et si vous êtes plutôt portés animés et bandes originales, vous avez un article sur les samples tirés de l’OST de Saint Seiya.