Le rap comme au Casino

En 1995, Martin Scorsese est déjà un réalisateur accompli et surtout connu et reconnu à travers le monde entier. Parmi ses chefs d’œuvres déjà sortis : Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull, La valse des pantins ou encore Les Affranchis. Autant de longs-métrages importants que de collaborations avec son acteur fétiche à cette époque : Robert De Niro. Après un dernier film, en 1993, Le Temps de l’innocence, qui ne marche que moyennement au box-office, pour son prochain film, il utilise sa recette gagnante : le duo De Niro / Joe Pesci. Il retrouve aussi un environnement qu’il connaît bien et a déjà traité en profondeur avec Les Affranchis, l’univers des gangsters. Casino est alors un véritable carton au box-office, un film magistral où l’imagerie et les excès des personnages notamment auront beaucoup inspiré le monde, et surtout les rappeurs.

Une des grandes particularités du rap quand il s’agit de films, plus que de faire des clins d’œil occasionnels dans des textes, c’est d’aimer passer directement des extraits dans les morceaux. La plupart du temps, c’est à la fin ou au début des pistes, et évidemment, c’est en français, parce que les rappeurs sont des fervents défenseurs de la VF. Pour ce qui est de Casino, les extraits concernent essentiellement XV et Sadek. Pas étonnant pour ce dernier, puisqu’il a énormément développé cet univers avec son album Nique le Casino et la mixtape Roulette Russe qui le précédait.

S’il y a bien une chose à remarquer dans tous ces extraits, c’est l’omniprésence du personnage de Nicky Santoro. Un fait pas si étonnant quand on a déjà vu le film. Alors même que le personnage principal Ace, est interprété par Robert De Niro, celui qui crève l’écran, vraiment, c’est le nerveux Joe Pesci. À l’instar de son personnage dans les Affranchis, Nicky est un véritable gangster, sanguin, capable de tuer quelqu’un pour un simple mot de travers. Et c’est ce personnage en particulier qui inspire le plus tout le rap français, et qui sera le plus cité. Violence, haine, « casser des gueules », tout un lexique très à propos quand on le cite. Une mentalité qui colle d’ailleurs aussi à son personnage dans Les Affranchis. Si bien que lorsque les rappeurs font des références à Joe Pesci, pas forcément très précises, elles pourraient convenir aux deux personnages. « Souvent à cran, énervé comme Joe Pesci » disait Fayçal sur 25 printemps, ou « j’suis plutôt têtu comme Joe, Joe Pesci » par Laylow sur Lime. À vous de voir à quel personnage vous accordez ces références.

Si vous avez déjà vu Casino, il y a forcément une scène qui vous a marqué, dont vous vous souvenez tant sa violence est démesurée et disproportionnée, et qui résume à elle seule ce fameux Nicky Santoro.

Si vous vous en souvenez, et surtout, que vous aviez deviné qu’il s’agissait de celle-ci, vous devez vous douter que vous n’êtes pas les seuls. Cette scène est la plus grande référence au film utilisée dans le rap français. Plus d’une quinzaine de rappeurs y ont fait allusion, de Sidi Sid à El Matador, en allant même jusqu’à Ill, Zek, Rohff, Sameer Ahmad, Rymz ou encore Swift Guad. Elle est généralement utilisée dans deux contextes. D’abord, certains comme ci-dessous, vont y chercher totalement et simplement la violence de Santoro.

La violence, oui, difficile de ne pas la voir. Mais la majorité des rappeurs vont plutôt se servir de cette scène mémorable pour métaphoriser leur puissance lyricale !

Nicky Santoro est sur toutes les lèvres, comme dans le film, parce que c’est lui qui fait le plus de bruit, celui que tout le monde remarque, le véritable gangster. Mais en tant que personnage principal, Ace Rothstein, interprété par De Niro, n’est pas en reste, et a droit lui aussi à quelques apparitions dans des textes de rap français. Il y a déjà les rappeurs, classiquement, qui se comparent ou comparent des personnes au personnage.

Et puis il y a ceux qui vont aller chercher un aspect en particulier de Ace. Et en l’occurrence, l’aspect que les rappeurs ont le plus retenu, ce n’est pas sa capacité à diriger des équipes de centaines de personnes. Ni même sa connaissance accrue du jeu ou sa capacité à trouver leurs failles. Non, c’est simplement l’argent qu’il brasse au Casino et ce qui en ressort qui a retenu leur attention.

Un bon film dramatique, qu’il s’agisse d’un film de gangster ou non, a besoin en général d’un rôle féminin important. Pour Casino, il fallait une actrice qui soit au niveau de Robert DeNiro et de Joe Pesci. Et le choix de Scorsese s’est porté sur pas moins que Sharon Stone. Un choix plus que propice, car il est impossible d’oublier Ginger en regardant le film. Et un très bon choix, reconnu, puisqu’elle a reçu le golden globe de la meilleure actrice dans un film dramatique, en 1996. Ainsi qu’une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice la même année.
Sans que l’on ne soit fixé sur son histoire, Ginger marque un tournant dans la vie des deux autres protagonistes. C’est quand elle rentre dans la vie de Ace que tout se met à changer. Aussi bien dans sa vie à elle, où elle passe de manipulatrice experte, à plus ou moins femme au foyer, sans objectif et ne vivant que par le biais de l’argent du personnage de DeNiro. Leur relation montre d’ailleurs assez bien l’emprise qu’un homme peut avoir sur elle, et comment la drogue la fait passer de personne réfléchie à cocaïnomane, incapable de gérer sa propre vie. Mais c’est aussi par le biais de Ginger que les relations entre Nicky et Ace se détériorent et les mènent à leur perte. Seulement, dans le rap français, on parle peu de Ginger. Encore plus rarement sans l’accompagner de De Niro. Et surtout, on en parle souvent sans référence précise. Il n’y a que Mister You qui creuse un peu, mais ne le fait clairement pas pour un aspect positif.

Nicky, Ace et Ginger, chaque personnage a eu droit à son lot de clin d’œil dans le rap français. Mais évidemment, en dehors d’eux, le film lui-même a été cité quelques fois. Souvent, c’est pour établir un contexte, avec les thématiques récurrentes : la violence ou l’argent.

Il y a donc ces rappeurs qui illustrent des moments de vie en parlant du film. Et puis il y a ceux qui parlent directement de l’objet filmique, du fait de regarder Casino. Comme très récemment okis ou encore Diam’s qui montre une fois de plus qu’elle a dû réellement baigner dans les films de Scorsese et de De Palma.

Et enfin, il y a les derniers. Ceux qui ont tellement bien regardé le film, qu’ils ont des références vraiment pointues. Là, si vous n’avez vu Casino qu’une fois, il y a des années, les scènes ne vous viendront peut-être plus en tête, mais les rappeurs eux les ont bien retenues.

Des références précises, qui font plaisir aux initiés. Si vous êtes fan du film, ce sont sans doute celles-ci qui vous toucheront le plus, avec celle sur le stylo de Nicky Santoro. Mais, il y a un rappeur qui a été plus loin. Hormis Sadek qui en a fait un album, plus ou moins inspiré, il y a un rappeur, habitué des storytellings et habitué à s’inspirer du cinéma qui a repris toute la romance entre Ginger et Sam pour en faire un titre. Prince Waly, sur le morceau Ginger.

Véritable classique du cinéma de gangster et de Scorsese, Casino a longtemps marqué les esprits. Ne souffrant de comparaison qu’avec son grand frère Les Affranchis, il dépeint encore à la perfection l’univers mafieux. C’était déjà le cas à la fin des années 90, ce sera sans doute encore le cas lors de la prochaine décennie. Alors vous entendrez peut-être encore des rappeurs parler de Nicky Santoro et de son stylo dans les années à venir.

Vous aimez les films avec de la violence, et le rap ? En plus de l’article sur Les Affranchis, vous pouvez aussi lire celui sur Snatch. Ou bien aller encore plus loin en terme de cinéma, avec celui sur Shining ou encore Rocky.