Ta dernière vision…

Fin des années 90, avant même de sortir leur premier album, Lunatic, le duo de Booba & Ali, est déjà dans les radars des auditeurs de rap. Le groupe, quasi-inconnu, propose alors des performances de hautes volées, notamment à travers des compilations toutes devenues plus légendaires les unes que les autres. La première véritable claque que le public se prend se trouve sur l’album Hostile Hip Hop. Avec le titre Le Crime Paie, présent sur le disque, Lunatic se fait un nom. L’année suivante, ils proposent encore une démonstration de force avec Les Vrais Savent, sur la compilation L 432. Dans ce morceau devenu classique, inspirant même le nom de certains sites, se trouve quelques phases d’anthologie. L’une des plus mythiques, reprise par Booba lui-même, et aussi par de nombreux autres rappeurs est des plus explicites.

De 1997 à 2020, ces quelques mots seront réutilisés à de nombreuses reprises, devenant un clin d’œil évident à tout un héritage. Seulement, c’est avant tout un auto-héritage que Booba se destine. Au-delà de l’aspect frappant de la punchline, elle symbolise l’époque où il s’est lancé dans le rap. Au cours de sa carrière, le rappeur boulonnais devient un expert de l’auto-citation. Il l’avait fait pour Jimmy Deux Fois, il le fait aussi évidemment avec cette réplique culte. On retrouve alors la même formulation sur trois de ses morceaux, toujours dans la même ambiance.

Une phrase simple, la dernière image d’un homme avant sa mort. Une image qu’on arrive tout de suite à se représenter. Pas étonnant qu’en plus d’un clin d’œil évident, elle fut réemployée par d’autres artistes pour son côté incisif et immédiat. Le plus avare d’entre eux est sans aucun doute Dosseh. Employant ouvertement la formule dans 45 Scientifik avec Booba, il réitère l’hommage à plusieurs reprises, entre extraits publiés sur Facebook et réels morceaux.

Le but incontesté de cette punchline, représenter Booba, le chauve, et la mort, le gun. C’est par son crâne, dépourvu de pilosité, que le Duc a souhaité se représenter. C’est évidemment en utilisant d’autres images que les rappeurs se présenteront, mais toujours avec un « flingue » dans la main.

Si les locks ou les cheveux bouclés sont des attributs physiques qu’on peut immédiatement associer à Jok’Air ou JeanJass, d’autres ont des représentations d’eux même encore plus particulières. Moins sérieux, beaucoup plus proche de l’auto-dérision, Bazoo ou Nikus Pokus des Svinkels préfèrent la limite de la parodie plutôt que la menace.

Sans se prendre au sérieux, les rappeurs amènent cependant toujours la même idée. Ils s’autorisent quelques écarts de représentation, tout en voulant rester proche de leur personnage. Poussant la métaphore, Scylla décide d’employer aussi la formulation, en s’identifiant à son personnage d’ogre.

Plus loin encore que les parodies et représentations métaphoriques, il y a les rappeurs qui raconte des histoires. Ici, ils remplacent le chauve et le gun par tout et n’importe quoi, tout en gardant la forme de la phrase et son idée. Qu’il s’agisse de science-fiction ou d’attaque volatile.

Au final, la punchline de Booba aura marqué de nombreuses générations de rappeurs. Toutes y sont passées, des années 90 avec des rappeurs comme Kohndo, jusqu’à la vague actuelle avec Hamza. Même Médine, qui avait déjà fait la référence en 2008, l’a transmise à son fils qui reprend alors le flambeau pour son album Grand Médine sorti il y a quelques jours.

Les citations sont encore nombreuses avec toujours cette représentation de la mort, et des dernières secondes de vue d’un homme. L’impact de Booba sur le rap français est indéniable pour de nombreuses raisons, mais la reprise d’un de ses vers par tous ces artistes le prouve encore plus. Du sérieux au plus parodique possible, il a touché l’intégralité du rap français. Même les premières vidéos d’Orelsan, où il se déguise en Batman, contiennent cet héritage.

Des expressions utilisées dans le rap francophone, il y en a énormément, des phrases de rappeurs, réemployées à outrance, il y en a moins. « Leur dernière vision sera un gun et un chauve » fait partie des rares à avoir perduré à travers les époques.

Pour vous, quel a été la meilleure réinterprétation de cette punchline ? Dites le nous sur nos réseaux !