Le top albums 2020

Depuis plusieurs années, la scène belge rayonne bien au-delà de ses frontières. De Caballero & JeanJass à Damso en passant par Isha, Hamza ou même Scylla, les rappeurs du plat pays ont tous trouvé leur formule pour se démarquer dans la francophonie. Malheureusement, comme dans toute scène, certains artistes sont injustement mis en retrait. Les Alchimistes en font partie, et pourtant Ruskov & Rizno n’ont rien à envier à leurs pairs. Depuis 2016, le duo belge a sorti de nombreux projets, affinant lentement son style et sa technique. En ressort alors, début 2020, OSEF un douze titres maîtrisé sur le bout des doigts. Un sens aigu des mélodies, parfois une certaine rage au micro, et surtout une vraie osmose entre les deux rappeurs, qui pourrait même expliquer leur nom de groupe. Les quelques invités de l’album (JeanJass, Geeko, Laylow, Sirap & Youv Dee) ajoutent une vraie consistance et agrandissent encore la palette du disque. OSEF est l’un des projets principaux du début d’année et annonce une très belle suite pour le groupe.

Quand on pense au rap, on pense en premier lieu à ceux qui sont derrière le micro, on pense aux textes. Bien moins mis en avant, les beatmakers font pourtant partie intégrante de l’ADN de cette musique, ils en créent toute la substance. Aux États-Unis, il n’est pas étonnant de voir des projets de beatmakers de renoms avec de nombreuses têtes d’affiches sur leurs disques. En France, les exemples sont beaucoup plus rares, presque inexistants. Twinsmatic, ancien duo, désormais seul derrière les machines, a décidé de changer ça avec son album ATLAS. Loin d’une superproduction hollywoodienne, le producteur a préféré inviter des talents certains, allant de rappeurs quasis inconnus aux têtes d’affiches. MarJ, Ashkidd, Dinos, SCH, 13 Block, Koba LaD, Box, Slimka, Mister V et Dosseh, un casting éclectique mais logique dans la recherche du producteur. Toute la force d’ATLAS, ce ne sont pas les forces brutes des rappeurs, mais la façon dont Twinsmatic s’en est servi pour faire un tout cohérent. Les morceaux s’enchaînent de manière totalement naturelle, les productions ont été calibrées pour former une seule et longue musique, découpée en plusieurs chapitres. Twinsmatic a capté toute l’essence des rappeurs pour les intégrer à une œuvre plus grande, plus complète, où tout paraît parfaitement coordonné.

“Toi tu me parles de rap mais je fais l’art d’après” sur Proz, pourrait bien résumer la façon de concevoir la musique pour Wit.. Les anciens projets de l’artiste dessinaient déjà un univers singulier, la pochette de NO FUTURE annonce un parti-pris encore plus radical. Proche de Laylow depuis plusieurs années (ils ont sorti Digital Nights, un EP commun en 2015 avant même leurs projets solos), son rapport à la musique peut se comparer à celle de son ami. Considéré comme un EP par son auteur, NO FUTURE a tout d’un album. Plus sombre que la majorité des productions actuelles, le disque nous plonge dans l’obscurité. Wit. ne se démarque pas par un flow fulgurant sur tous les morceaux, mais par une maîtrise de son univers. Dès la première piste, une tension apparaît et se prolongera sur tout le disque. Les productions, les textes, l’interprétation, l’ensemble de l’œuvre est à l’image du titre punk de l’album : NO FUTURE.  » Y a des bruits sans cesse dans mes songes« , « Vieux démons t’serrent la main, te disent de perdre la foi« , chaque titre possède ses réflexions pessimistes. Toute l’ambiance du disque, en particulier la phrase « J’ai pas d’avenir, j’ai qu’un passé » sur Loco résonne par rapport à l’année vécue.

L’album le plus attendu de l’année dernière est finalement sorti cette année. Depuis Batterie Faible en 2016, chaque projet de Damso est un événement, pour cause le talent du Bruxellois n’est plus à démontrer. Une de ses principales forces, c’est sa constante évolution. En seulement quatre projets, il a démontré une véritable croissance dans sa façon d’aborder la musique. QALF se veut comme un tournant dans sa carrière artistique, émancipé de ses propres codes et de ses failles. Il a décidé de se faire plaisir et de s’écouter totalement pour ce nouveau disque. Se trouve alors un Damso plus apaisé, aussi bien dans les thèmes, les textes que dans la musique. Hormis l’excellent BXL Zoo, les morceaux sont relativement calmes, bien moins dans l’insulte facile qu’auparavant. Il cherche même à provoquer l’émotion dans des titres comme 911 ou Deux Toiles De Mer. L’album a beau rester fondamentalement rap, il possède une toute nouvelle palette musicale qui va chercher aussi bien dans la musique africaine que dans la new wave des années 80. QALF peut rebuter les fans du rappeur, il reste néanmoins fait avec sincérité, sans avoir perdu le talent de Damso et devient un tournant essentiel dans sa carrière.

Traverser les époques, c’est difficile. Devenir meilleur d’années en années après quasi deux décennies de carrière, ça semble impossible. Médine contrecarre les pronostics et sort le meilleur album de sa carrière avec Grand Médine. « On gâchera trente ans de nos vies, si on voit le monde à cinquante ans comme on le voyait à vingt » disait-il sur Besoin d’Évolution en 2013, force est de constater qu’il respecte à la lettre ses rimes. Médine reste fondamentalement le même, mais rajeunit sa formule, propose une musique plus sophistiquée, plus réfléchit. Il revient avec une maturité sans être moralisateur, une aisance dans les flows et dans la façon de traiter ses sujets. Il se dévoile aussi, signant avec Tue L’amour l’une des plus belles chansons d’amour de l’année. Il se pose aux frontières des époques en mettant d’accord aussi bien l’ancienne que la nouvelle génération. Malgré un tracklisting s’élevant à 17 titres, aucun n’est à jeter. Médine est comme le bon vin, meilleur avec l’âge, et si Grand Médine est son meilleur cru actuellement, ses prochaines bouteilles risquent de faire partie des plus grands millésimes.