Nile Rodgers et le rap, c’est Chic

Lorsqu’il s’agit d’établir qui sont les producteurs de tubes les plus importants des dernières décennies, encore en vie, le nom de Nile Rodgers vient rapidement. Il faut dire qu’entre les années 80 et maintenant, il a travaillé et produit des morceaux à succès pour, entre autres, Madonna, Duran Duran, David Bowie, les Daft Punk, Diana Ross et même pour Étienne Daho. En somme, en plus d’aimer les allitérations en D, il a ce génie de transformer de bons musiciens ou groupes en véritables stars. Mais avant même d’être producteur pour d’autres, il était d’abord une des têtes pensantes d’un groupe majeur de la fin des années 70 : Chic. En à peine plus de 5 ans le groupe est passé d’inconnu à incontournable avec de nombreux hits sous le bras. Et les quelques notes de piano ou de basse qui auront fait danser les gens, ont aussi été samplées à de nombreuses reprises. Si vous vous êtes un jour intéressé ne serait-ce que quelques minutes à l’histoire du rap, vous avez forcément écouté Rapper’s Delight de Sugar Hill Gang. Si le morceau est important pour de nombreuses raisons historiques, il nous intéresse ici parce que sa célèbre basse vient justement d’un des tubes du groupe Chic.

Cette ligne de basse que tout le monde a déjà entendue, elle vient donc d’un morceau ayant connu un succès auparavant : Good Times. Mais Chic n’a pas contribué qu’au rap américain. En France aussi on peut entendre quelques notes du groupe ici et là. Si vous aimez Rapper’s Delight par exemple, et que vous aimez les rimes de Doums et Népal, sachez qu’ils ont repris la même instrumentale pour leur Wannagain Freestyle, lorsqu’ils rappaient sous le nom de 2Fingz.

Toujours avec le même morceau, ce sont les pionniers IAM, et notamment le membre Kheops pour ses morceaux solo instrumentaux qui aura repris de tout petits extraits du titre, incrustés au milieu d’autres. Sur Kheops Appartient À L’horizon par exemple, c’est simplement la petite envolée de cordes qui est extraite et réutilisée plusieurs fois. Alors que sur Total Kheops, c’est vraisemblablement le « Good » de Good Times qui a été isolé et placé au milieu du titre. Des utilisations bien plus discrètes que la longue ligne de basse bien connue, mais qui restent des détails importants pour les solos du DJ d’IAM.

Cette façon de n’utiliser qu’une ou deux secondes d’un morceau, pour l’insérer de manière presque cachée dans un titre de rap, il n’y a pas qu’IAM qui l’a fait. Plus ou moins à la même période, en 1995, le groupe Timide Et Sans Complexe reprenait un petit extrait de Chic Cheer pour un morceau qui s’appelait déjà, malgré la période, Old School. On l’entend peu, mais en tendant bien l’oreille, le sample est bel et bien là.

Autrement, si Good Times était un tube, et que sa popularité a été repropulsée avec Rapper’s Delight, ce n’est pas le seul hit à avoir eu droit à une seconde vie importante. L’excellent Soup For One, par exemple a eu une autre jeunesse au début des années 2000 avec sa reprise par le groupe Modjo. Mais il était déjà samplé quelques années auparavant par Lamifa. Un groupe qui n’aura pas eu une activité très longue, alors même qu’ils avaient été repérés par Jimmy Jay à l’époque où son influence était encore particulièrement présente.

En écoutant le titre de Lamifa, on reconnaît instantanément la mélodie de Soup For One. Mais d’autres mélodies du groupe de Nile Rodgers ont été reprises aussi naturellement dans le rap français. Par exemple, ce n’est pas un mais deux groupes (au moins) qui ont repris le titre Will You Cry. Ils ont choisi la même structure, mais l’ont simplement remodelé de manière différente. On peut donc l’entendre de manière relativement similaire au titre initial, sur un remix de J’suis F du groupe Tout Simplement Noir. Remix paru sur une compilation de leurs meilleurs morceaux sortis à la fin des années 2000. Ou bien samplé de manière plus rapide par le groupe La Clinique, sur leur premier album Tout Saigne.

Aussi bien aux États-Unis qu’en France, une des particularités de Chic, qui a contribué à leur notoriété, c’est l’utilisation du français dans leurs textes. Parmi les titres typiquement français de leur répertoire, il y a eu par exemple Savoir Faire. Un terme qu’on pourrait employer en parlant de Yezi L’escroc puisque c’est, entre autres, grâce à lui que la Mafia K’1 Fry a sorti son disque Légendaire. Mais surtout, un mot qui le défini bien puisque c’est ce titre qui est samplé pour son morceau Le Dernier Cowboy.

Cette particularité de la langue française dans les morceaux de Chic, elle a eu une importance capitale pour le succès d’un de leur refrain dans l’hexagone. Leur morceau connu du plus grand nombre en France, c’est sans doute Le Freak. Un titre où de nombreux auditeurs loin d’être bilingues devaient comprendre « le fric, c’est chic« . Ce célèbre refrain, il se trouve au milieu de références aux Nuls ou à Richard Gotainer, dans un morceau des Svinkels sobrement intitulé : Le Svink, C’est Chic.

Rien qu’avec Chic, Nile Rodgers a produit assez de titres pour alimenter les beatmakers pendant encore des années. Alors si l’on comptabilise tous les morceaux d’artistes avec qui il a collaboré, le nombre de samples déjà produits, et à venir est proche de l’infini. À seulement 70 ans, il a déjà un répertoire sans limite derrière lui, et laisse un héritage à la musique qui n’a pas de prix.

Véritable légende de la musique, Nile Rodgers a énormément alimenté le rap français, au même titre, par exemple, que Miles Davis, Al Green ou encore Bob Marley.